mardi 15 janvier 2019

Jeanne contre Goliath


Jeanne contre Goliath
F en B : l’improbable régularisation (2)

Jeanne est une vieille dame de 83 ans qui est au bénéfice d’une admission provisoire (permis F) depuis son arrivée en Suisse, il y a 18 ans. Sa demande de permis B, une « autorisation de séjour », lui a été refusée. Pourquoi les autorités laissent-elles Jeanne dans une situation si précaire ?
De nos jours, le canton de Vaud refuse encore régulièrement l’octroi d’un permis B à des personnes arrivées âgées au bénéfice d’un permis F. Les motifs principaux de ces refus sont qu’elles ne parlent pas assez bien le français ou qu’elles n’aient jamais travaillé en Suisse. Etant arrivées, pour la plupart, après 60 ans et parfois sans formation, ni alphabétisation, ces exigences semblent être inadéquates pour ces situations. Malheureusement, maintenir ces personnes dans des statuts précaires « d’admission provisoire » n’est de loin pas une solution admissible. Le permis F s’accompagne de diverses problématiques et craintes que l’on ne peut ignorer. Tout d’abord, son renouvellement : en effet, le permis F est à redemander chaque année et même s’il est rarement retiré, cela n’est pas à exclure totalement. Ensuite, les aides sociales seront moindres, voire non octroyées pour ces personnes âgées n’ayant jamais travaillé ou cotisé en Suisse. Par ailleurs, l’interdiction de voyager sans avoir obtenu une autorisation du Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) est l’une des conséquences les plus difficiles pour les personnes ayant un permis F.
Jeanne a aujourd’hui plus de 80 ans, il semble évident qu’elle n’apprendra pas plus le français, ni aucun nouvel apprentissage dans ses futures années. Ce qui est exigé d’elle par les autorités est illusoire. Il s’agit d’une discrimination à l’encontre des personnes âgées qui n’ont pas ou plus les mêmes aptitudes d’adaptation qu’avant. Jeanne a dû faire face à un premier refus lorsqu’elle a demandé une autorisation de sortir de Suisse afin d’assister au mariage de sa petite-fille dans son pays d’origine. Ce refus a été accueilli avec beaucoup de peine. Cela faisait 17 ans qu’elle n’avait pas vu sa petite-fille et elle savait que ce serait certainement la seule fois où elle aurait pu la voir.
A ces situations particulières, les autorités appliquent des critères généraux. Elles qui sont censées traiter chaque cas avec ses spécificités semblent plutôt rassembler sous des critères inadéquats des situations précaires nécessitant au contraire une protection accrue.
Ensuite, Jeanne a souhaité rendre visite à sa fille à Londres. Cette dernière pour des raisons familiales ne peut se rendre en Suisse. Jeanne souffre profondément de l’absence de sa fille unique. Son médecin qui la suit depuis son arrivée appuie fortement cette demande en rappelant que la patiente est âgée de plus de 80 ans et qu’elle présente des idées suicidaires en péjoration avec la situation actuelle d’isolement familial. Pour lui, aucun remède médical ne va pouvoir compenser le manque de sa fille. Il insiste que même du point de vue médical, il est urgent que Jeanne puisse se rendre auprès de sa fille. Son mari est mort en 2007 et elle n’a aucune famille en Suisse. Vivre auprès de sa fille pour ses dernières années de vie est son vœu le plus sincère.
Face à ce terrible refus, Jeanne a perdu tout espoir et goût à la vie. Pourtant, notre Constitution stipule des droits à la liberté personnelle, à l’intégrité physique et psychique (art. 10 Cst) et demande le respect de la dignité humaine (art. 7 Cst).
Ce refus reste incompréhensible, ne serait-ce que par l’âge de Jeanne et son intégration en Suisse depuis près de 20 ans. En effet, il est inapproprié de réduire l’intégration aux compétences linguistiques. Jeanne était largement intégrée au sein de son Eglise, par exemple.
La protection des droits et la défense juridique des personnes migrantes est un combat. L’application des lois n’est pas neutre. Les principales victimes de ce bras de fer inégal sont comme toujours des personnes vulnérables qui mériteraient notre plus grande protection.

Pour citer ou reproduire cet article : « Jeanne contre Goliath », article publié par Droit de rester pour tou.te.s, janvier 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/

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