mardi 18 juin 2019

Le juge UDC Yanick Felley amende les mandataires juridiques


7 juin 2019       Le juge Yanick Felley, membre de l’UDC et juge au Tribunal administratif fédéral (TAF), a rendu au moins 6 arrêts en 2018 et 2019 amendant les représentants juridiques du canton de Vaud qui avaient aidé des requérants d’asile à déposer un recours. L’amende est de 500 frs à chaque fois, c’est-à-dire que le mandataire est condamné à payer les frais de procédure de recours solidairement avec le recourant. Mais comme les recourants sont des requérants d’asile à l’aide d’urgence pour la plupart, ils ne possèdent pas le premier centime de sorte que l’entier de la somme est à la charge du mandataire.

Voyons de quels arrêts il s’agit :

D-2171/2019 Cet arrêt non publié sur le site du TAF concerne une femme originaire d’un pays africain dont la classe dirigeante, depuis 50 ans, se maintient en place par la répression violente et arbitraire de l’opposition politique. La recourante en l’occurrence a un parcours d’engagement politique au sein de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et de lutte contre les pratiques de la torture par les agents de la police ou des prisons. Plusieurs membres ou dirigeants de ces organisations sont inquiétés, voire emprisonnés et torturés en détention. La recourante s’est affichée au sein de ces organisations où elle occupe des fonctions actives et parfois quasi-dirigeantes. Plusieurs vidéos sur Youtube la montrent en train de manifester et porter une banderole « Les victimes de la torture disent NON ». Les risques étaient énormes et quand elle commence à recevoir des menaces téléphoniques anonymes contre son intégrité et sa vie, elle fuit le pays. En Allemagne où elle transite, elle est happée par un réseau de prostitution forcée, séquestrée et abusée pendant plusieurs mois avant d’atteindre la Suisse. Elle est prise en charge en psychothérapie de soutien et suivie par une organisation spécialisée pour l’aide aux victimes de traite humaine. Les violences subies ne sont pas reconnues par le SEM comme motif suffisant en soi pour lui octroyer l’asile, tant les violences sexuelles contre les femmes sont banalisées, minimisées ou même niées par les autorités fédérales. Les autorités sont complètement blasées. Elles n’y prêtent plus attention. Les violences contre les femmes, qui concernent probablement 8 femmes sur 10 dans l’asile, le sujet le plus important dans le domaine, sont devenues si difficiles à faire reconnaître vous ne pouvez pas imaginer. Après un premier recours négatif, de nouvelles preuves sont rassemblées. Il n’est pas possible de renoncer à la défense de cette femme sans renier tout ce qui est au cœur de l’asile : la protection des défenseurs de la démocratie victimes de la répression politique, et la protection des victimes de la torture. De nouvelles démarches sont donc engagées qui se terminent récemment par la sanction de la mandataire à l’issue d’un recours plié en 21 jours.

D-6891/2018 Cet arrêt non publié sur le site du TAF concerne un jeune homme originaire de Somalie dont la seule famille se trouve en Suisse. Il s’agit de sa tante elle-même mère de 5 enfants. Elle l’accueille chez elle et affirme qu’il est mineur, ce que le SEM conteste, car les mineurs bénéficient d’une protection particulière contre le renvoi. Elle se démène pour se procurer un acte de naissance, mais l’autorité fédérale n’en a cure et ordonne le renvoi du jeune en Italie. Là-bas, il ne trouve pas de logement, vit sans abri et sans aide, complètement désoeuvré et après quelque temps, trouve le moyen de revenir en Suisse auprès de sa tante. Après plusieurs mois d’hésitation, il est décidé de retenter la demande d’asile. Un nouveau renvoi vers l’Italie est ordonné et le mandataire sanctionné à l’issue du recours, pour avoir défendu un jeune qui se prétend mineur sans preuve. Le juge n’a pas relevé que le SEM n’a pas de preuve non plus que le jeune n’est pas mineur. Quant à sa famille, les autorités fédérales considèrent que les jeunes adultes dès l’âge de 18 ans n’en ont plus besoin. Suite à cette sanction, le mandataire s’est trouvé contraint de résilier le mandat au grand dam de l’important réseau de soutien qui s’était mis en place autour de ce jeune et de sa tante, notamment pour l’aider à apprendre le français et à envisager une formation et un avenir. Dans ce cas, la sanction affecte non seulement le droit du jeune à la protection juridique et au conseil en matière de procédure, mais également les mandataires engagés dans la défense des migrants, qui n’ont aucun moyen de recours, et qui perdent la confiance des personnes de soutien avec qui ils collaborent habituellement.
Les autres arrêts où le mandataire est condamné à payer 500 frs solidairement avec le recourant sont : D-5772/2017, D-716/2019, D-1289/2018 et D-6826/2018. Aucun n’est publié sur le site du TAF.

Dans l’arrêt D-7088/2017, non publié sur le site du TAF, le mandataire est menacé de sanction en cas de nouveau recours ultérieur dans cette affaire. Il s’agissait d’une femme ayant fui l’Ukraine pendant la période de conflit à Donetsk, d’où elle était originaire. Le juge a balayé le recours alors que la décision initiale du SEM n’était pas même motivée ! Le SEM déclarait dans sa décision que les soulèvements de groupes rebelles ne relèvent pas des problématiques de l’asile et que la recourante étant en bonne santé, rien de l’empêchait de retourner dans son pays, quitte à s’installer dans une autre région. Or, elle déclarait qu’en tant que membre de la minorité russophone, il lui était impossible de s’installer ailleurs en Ukraine en raison des menaces, intimidations, insultes voire violences dont sont victimes les russophones, considérés comme des traîtres à la patrie, spécialement ceux qui proviennent de la région « séparatiste ». Ces discriminations engendrent de graves difficultés à se procurer un logement, un l’emploi ou une l’aide sociale. Les personnes déplacées par le conflit sont mal considérées par la population et les autorités locales. Le SEM n’a prêté aucune attention à sa condition de membre d’une minorité discriminée, et a rejeté la demande d’asile par des généralités. Après une tentative de renvoi en Ukraine, la femme s’enfuit en France où elle dépose une demande d’asile qui aboutit à son renvoi vers la Suisse en application des accords de Dublin. Aujourd’hui, avec son enfant de 3 ans, elle survit dans la clandestinité et l’insécurité sans savoir à qui s’adresser ni comment se faire entendre. De nouvelles démarches juridiques sont d’emblée vouées à l’échec vu la grave menace de sanction du TAF. Il faudra renoncer à l’avenir à déposer un recours, les risques financiers étant trop élevés. Le SEM, qui a déjà violé les droits procéduraux de la recourante sans être inquiété, pourra donc toujours à l’avenir traiter cette affaire comme il l’entend c’est-à-dire négativement.

Avec cette nouvelle pratique d’un juge du TAF, et peut-être bientôt de plusieurs d’entre eux, on se trouve dans la situation où déposer un recours dans tous les cas est risqué, quelle que soit la situation individuelle et quel que soit le stade de la procédure. Le recours est toujours conflictuel c’est-à-dire qu’on a nécessairement toujours affaire à des gens dont le SEM a considéré qu’ils n’avaient pas de raisons d’obtenir l’asile ou une protection provisoire. Chaque recours s’oppose à la décision de l’autorité administrative et est donc potentiellement sanctionnable pour peu que l’on tombe sur le mauvais juge, ce que l’on ne peut pas prévoir à l’avance. Il n’existe pas de « bon » ou de « mauvais » recours, ou bien tous les recours sont subversifs, parce que précisément ils défendent des populations indésirables et amènent un point de vue sur l’asile ou sur le besoin de protection qui va à l’encontre des positions politiques dominantes, que représentent les décisions de l’administration fédérale.

La démarche de recours est aussi une forme de participation de la société civile aux enjeux du droit d’asile. En sanctionnant les représentants juridiques, le juge sanctionne la liberté d’opinion, d’expression et de revendication dans le domaine de l’asile. Les représentants juridiques soutiennent nécessairement une idée autre de ce qu’est la vulnérabilité, parce qu’ils sont directement en relation avec les personnes concernées. Nous sommes brimés par le juge parce que nous défendons une vision autre de la société, démocratique et solidaire, ouverte et libre, où il ne nous paraît pas acceptable que seules les autorités puissent avoir toujours le dernier mot, sans que les intéressé-e-s puissent le contester ou faire valoir leur point de vue.

Aujourd’hui d’ailleurs, ce qui fait le plus cruellement défaut au sein de la société civile et plus particulièrement des organisations de défense du droit d’asile, est précisément une réflexion sérieuse et engagée sur le sens qu’il y a à ne défendre les requérants d’asile que par la lorgnette du droit de recours. Ces démarches juridiques sont massivement vouées à l’échec. Les procédures juridiques aujourd’hui sont de nouveaux instruments de la répression des opposants. Les autorités veulent d’abord que les mandataires juridiques obéissent à leurs instructions et recommandations telles qu’elles les énoncent dans leurs lois et leur jurisprudence. On le voit partout autour de nous, l’opposition aux décisions des autorités dans le domaine de l’asile devient un délit. La sanction pécuniaire des mandataires juridiques est symptomatique d’une déviance généralisée de tout le système juridico-administratif vers la répression.


Condamnée à la prison pour « séjour illégal »

7 juin 2019          Les plus touchés par la répression politique ambiante actuelle sont les requérants d’asile. La semaine dernière, une femme qui séjourne depuis 10 ans en Suisse, a été condamnée à 15 jours de prison avec sursis et à 200 frs de frais de procédure parce qu’elle n’a pas accepté d’attendre au centre de requérants d’asile que la police vienne la prendre de nuit sans préavis, n’importe quel jour que Dieu fait, pour la conduire manu militari à l’aéroport puis dans l’avion. L’infraction en termes juridiques est le non-respect d’un ordre d’assignation à résidence.
Ces condamnations, également prononcées pour « séjour illégal », donc très fréquentes, sont une forme de répression systématique, donc discriminatoire, des populations indésirables que sont les requérants d’asile déboutés, les titulaires du fameux « papier blanc ».
Ces ordonnances de condamnation sont de véritables pièges. Les gens ignorent qu’ils peuvent y faire opposition dans un délai de 10 jours et le temps qu’ils s’adressent à quelqu’un pour les aider, c’est trop tard.
Non seulement ils ne sont pas informés de leurs droits, mais ils ne sont pas entendus au préalable. Ils sont condamnés sans examen de la proportionnalité et de l’opportunité de prononcer une peine pécuniaire ou d’enfermement. La police ignore tout d’eux et ignore par conséquent leurs motifs justificatifs. Ils sont présumés coupables.

Notre dame dont il est question ci-dessus, nous l’appellerons Gallia, provient des territoires de l’est, d’une région qui s’est coupée en deux États à la suite d’un conflit armé. Elle était née du mauvais côté de la nouvelle frontière, ethniquement originaire du nouveau pays voisin où elle n’avait jamais vécu, donc membre sur place d’une minorité désormais haïe. Elle a dû fuir très tôt avec sa sœur et chacune leur fille respective. Elles ont vécu plusieurs années dans la clandestinité et la misère à Moscou. En Russie, elles sont membres de minorités indésirables et elles ne parviennent pas à se réinstaller, notamment à se procurer de quoi survivre. Elles s’enfuient en Europe, d’abord en France, pays que Gallia fuit au bout d’une année avec sa fille et sa nièce, âgée de 13 ans, qui était prostituée de force par sa propre mère.
Elles demandent l’asile en Suisse où Gallia, après des années de guerre, de fuites et de misères, va devoir encore affronter 10 années de galères dans un système d’asile qui ne veut pas d’elle et va brasser toute une machinerie administrative pour la briser et la condamner au bout du compte à 15 jours de prison et une amende qu’elle ne peut pas payer. Elle n’a pas le droit de travailler et l’EVAM ne lui donne pas un centime d’assistance en espèces, seulement une place dans un centre d’hébergement et une carte pour retirer des aliments au guichet du stock au rez-de-chaussée.
À leur arrivée en Suisse, la nièce, dont la souffrance est indicible, a un besoin d’aide et d’assistance incommensurable. Son regard fixe est fantomatique, elle est sans réaction lors des entretiens avec la mandataire et incapable de suivre ce qui se passe autour d’elle. Elle est ailleurs. Elle est prise en charge dans une psychothérapie de soutien essentielle à la reconstruction de sa personnalité.
La famille cependant est placée par l’EVAM dans une petite chambre d’un centre collectif. Une femme et deux adolescentes se partagent 4x10 m2. La pièce est encombrée par les deux lits superposés qui occupent presque la moitié de l’espace. Le reste est meublé d’un petit canapé deux places, une armoire, un petit buffet, un petit frigo, une petite table de salon de sorte qu’elles ne peuvent prendre leurs repas qu’en posant leur assiette sur leurs genoux, et d’une chaise. Il est impossible de se déplacer sans bousculer ou déranger les autres. Il n’y pas de place de retrait ni d’intimité, pas d’espace propre à chacune, ni de bureau pour faire ses devoirs. Dans les couloirs et les lieux collectifs, les toilettes, la cuisine, la jeune fille doit toujours être accompagnée pour ne pas se trouver confrontée à des remarques ou des gestes désobligeants des hommes qui ne sont pas de sa famille et qui habitent également dans le centre. Cela fait des années aussi que les associations de défense tentent d’expliquer que les centres collectifs mixtes ne sont pas appropriés pour les femmes victimes de violences sexuelles, c’est-à-dire la plupart des femmes dans le domaine de l’asile, mais rien n’y fait. Après deux ans, Gallia demande l’aide de sa mandataire qui sollicite de l’EVAM l’allocation d’un appartement individuel. L’EVAM répond à côté et alloue une chambre individuelle à la nièce dans le même centre, deux étages au-dessus. Avec le soutien de la thérapeute de la jeune fille, la tante supplie l’EVAM de ne pas séparer l’adolescente très fragile psychiquement, qui se sent désécurisée et a besoin de la présence continue de sa famille, mais rien n’y a fait. Elle est placée dans cette chambre et trois jours plus tard, l’adolescente disparaît. C’était en 2008.
Il faut vivre maintenant avec ce drame. La fille de Gallia s’accroche. Elle est brillante à l’école et finalement, après 8 ans de séjour en Suisse l’autorité consent à lui délivrer une autorisation de séjour qui doit lui permettre de poursuivre ses études.
Maintenant, la mère et la fille n’ont plus le même statut. Elles sont séparées à leur tour. La fille reçoit une aide sociale du CRS et accède à un appartement tandis que la mère reste dépendante de l’EVAM qui la place au centre d’Ecublens, une espèce de bâtiment préfabriqué posé dans une zone commerciale hideuse loin de la ville. La mère et la fille n’avaient aucune volonté de vivre séparées. Elles doivent subir ces décisions sur leur vie familiale que leur impose le traitement de la demande d’asile.
Gallia est menacée d’être renvoyée seule en Russie et séparée définitivement de sa fille, ce qu’elles ne peuvent envisager ni l’une ni l’autre.
Nous tentons d’obtenir une régularisation de Gallia, pour la Xème fois. Le SEM rejette à nouveau la demande, en quelques jours. Ce mois-ci, il y a encore une petite chance, jusqu’au 2 juillet, nous avons le « droit » de faire recours.

Déjà ça tourne dans ma tête : et si on tombe sur le mauvais juge ? C’est l’amende assurée ma chère. Ce sera combien cette fois ? Jusqu’où le juge pourra-t-il monter les enchères ? Y a-t-il une limite ? Il faudra bien peser chaque mot du recours. Mais cette précaution même est vaine. La demande d’asile a déjà été tournée et retournée, et tous les motifs sont épuisés. J’aimerais pouvoir écrire :

« Si la nièce de Gallia a disparu, c’est la faute de l’EVAM qui n’a pas pris les mesures appropriées pour la protéger. Les autorités suisses ont un devoir de réparation d’un drame qu’elles ont provoqué. Cette réparation, ce ne peut être que la régularisation. Il est incompréhensible que les autorités n’aient pas réagi immédiatement après la disparition de l’adolescente en régularisant la famille, et que Gallia doive encore lutter pour préserver ses liens avec sa fille, et soit menacée de bientôt faire un séjour en prison d’où il ne sera plus possible d’échapper à l’expulsion, pour de bon. »

Pour citer ou reproduire cet article : Condamnée à la prison pour « séjour illégal », article publié sur le site Droit de rester pour tou.te.s, juin 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/


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