Chère passante, cher passant,
Loin de toi, sous terre et sans lumière, on m’enterre avec ma voix et avec mes droits mais je souhaite te parler.
Dans quelques heures, il sera 21h, il fera déjà nuit et très froid. Après une longue journée d’errance et d’occupations futiles, j’irai faire la file pour rentrer là où je dormirai et endormirai ce qui me reste de dignité. Dans un abri PC. Comme chaque jour, on me fouillera et je devrai présenter mon papier, mon malheureux droit à entrer dans ce lieu.
Je rentrerai. L’oxygène se réduira, l’odeur se fera asphyxiante et l’air s’humidifiera. Je respirerai un peu moins fort pour le partager avec les 65 autres dormant dans ce hall dénudé de 35/25 m2.
J’oublierai alors totalement qui je suis pour faire face à cet autre monde où plus rien n’a de valeur. Je tenterai de faire entrer mon sac dans le minuscule casier où je dois faire entrer ma vie et oublier mon intimité. Je serai sous l’œil des caméras et des securitas et quoi que je fasse, où que j’aille, je serai contrôlé, observé. Je ne saurai plus où trouver un espace de liberté, il ne me restera apparemment que ma tête, pour autant qu’elle résiste…
J’irai me coucher entre ces dizaines d'autres hommes dont les destins ont croisé le mien, pour la seule raison qu’ils ont aussi laissé derrière eux un pays trop lointain. Sur un lit métallique qui résonne comme ma douleur de ne plus exister, je trouverai le sommeil malgré le bruit ambiant.
Dans cet anonymat, cette tension et ce contrôle permanent, j’aurai, comme souvent, peur de perdre mes forces et de perdre ma tête. Comme d’autres ici. Peur d’oublier qui je suis.
Je le sens au fil des jours, les potentiels et les richesses en moi se meurent, à force de ne pas être exploités.
A 6h du matin, un securitas me secouera, me dira de me lever et d’aller me doucher. D’autres auront été réveillés déjà bien avant, pour commencer à faire la file : 3 douches pour 65.
A 8h30, la porte de l’abri se fermera derrière moi pour ouvrir celle d’un monde nous fermant d’autres portes : celles des droits au travail, à un logement décent, à une intimité, à une vie sociale, à une reconnaissance et, souvent, celle de la légalité. Que faire ?
J’irai manger les 2 maigres repas qu’on me donnera. Je n’aurai quasi pas d’argent pour m’offrir quoi que ce soit de plus ou même pour prendre le bus. Je passerai alors ma journée à en attendre une meilleure, à ne savoir où aller et que faire pour maintenir mon esprit intact et mon identité vivante. On me regardera comme tu me regardes peut-être, comme quelqu’un de « vide » et sans voix, comme une menace ou même comme une personne dangereuse.
Mon « crime » est d’avoir quitté mon pays, d’avoir cherché la paix et la survie. La sentence est sévère, bien pire qu’une prison.
Chère passante, cher passant, je voudrais que tu ailles au-delà des préjugés et que tu cherches à savoir qui je suis réellement. Que tu t’imagines un instant ce que serait ta vie dans ces conditions.
Le plus grand des crimes est celui de réduire un être humain à néant. Ces pratiques inhumaines détruisent nos vies et violent nos droits les plus fondamentaux.
Nous demandons :
- La fermeture des abris PC et des centres d’aide d’urgence
- Le droit à la dignité, à la parole et à une vie décente
- Le droit de faire valoir nos ressources et nos potentiels
- Le droit d’exister, de travailler et de rester
Tract du 1er décembre 2011