lundi 14 décembre 2020

Faire-part

 



 

Arrivé à 19 ans en Suisse en octobre 2009, où il avait déposé une demande d’asile, Abdoul Mariga, titulaire d’un CFC en restauration, travaillait comme cuisiner au Centre Hospitalier Universitaire Vaudois (CHUV). Son employeur le décrivait comme un jeune homme exigeant, soigneux, respectueux, de très bonne sociabilité, apprécié de son entourage et investi dans son travail, « un collaborateur sur qui nous pouvons pleinement compter ». D’après d’autres témoignages de son entourage, Abdoul était persévérant, déterminé dans ses apprentissages et il avait montré beaucoup de courage pour mener à bien sa formation professionnelle, réussie avec succès.

Renvoyé en Guinée par la force le 6 novembre 2019, Abdoul Mariga s’est retrouvé seul à Conakry, sans logement et rapidement désargenté. Il a survécu sur place grâce à son dernier salaire du CHUV puis grâce à l’aide privée d’amis suisses. Sa santé s’est vite dégradée et il n’a pas pu avoir accès aux soins médicaux. Il a été hospitalisé alors qu’il se trouvait au plus mal et est décédé quelques jours plus tard, seul, sans l’accompagnement d’aucun proche. Cette terrible nouvelle nous laisse dans l’incrédulité et la colère, ainsi que dans une profonde tristesse.

 

Voici un témoignage d’Abdoul Mariga qui décrit sa situation et sa détresse à Conakry :

 « Ma santé ne va pas bien. Mes bras et mes jambes s’endorment. Ça a commencé pendant ma détention en Suisse, avant l’exécution du renvoi, et maintenant c’est de plus en plus fréquent. J’ai des vertiges et parfois je perds l’équilibre et je tombe. J’ai été à l’hôpital au début, mais je n’ai plus accès, faute d’argent. J’ai pris un traitement quelque temps, mais maintenant c’est fini, je n’ai plus de médicaments et plus de soins.

 Même me loger devient très difficile. Je suis là avec beaucoup d’angoisses parce que les prochains jours, je ne sais pas comment je vais être. Je vis très difficilement ici et chaque fois que la police me contrôle, ils me prennent tout l’argent que j’ai sur moi. Chaque sortie est risquée et me fait perdre encore mes moyens pour vivre.

 Le ministre de la sécurité a refusé de me donner un document de circulation. Je n’ai pas la nationalité guinéenne et pas de papier d’identité et je risque à tout moment d’être expulsé. J’ai pris un avocat pour avoir un permis de circulation. Mon avocat a saisi la Présidente du Tribunal de première instance de Kaloum. Mardi 25 février 2020, j’ai été convoqué devant le juge du tribunal de Kaloum. Actuellement, la procédure n’a pas abouti et je n’ai plus de moyen de recours et plus d’argent pour payer mon avocat.

  Je suis malade je ne dors plus. Partout quand je vais dans les hôtels on me demande un passeport et si je sors pour manger, je risque de me faire arrêter par la police et racketter. Pour le logement, on me demande de payer 8 à 12 mois d’avance, ce que je ne peux pas. Je suis complètement bouleversé, des fois, je ne mange pas. Je paie seulement l’hôtel. C’est trop difficile pour moi. »

  Sans ce renvoi décidé par le SEM, Abdoul Mariga serait certainement toujours en vie et contribuerait aujourd’hui encore aux services essentiels du CHUV, tant estimé en ces temps de pandémie. Son destin était dans vos mains. Nous vous tenons responsables de ce décès. Malgré les interventions de son avocate, vous avez persisté dans votre décision alors même que le canton de Vaud vous avait demandé de lui accorder un permis pour cas de rigueur après 10 ans de séjour en Suisse.

Pourquoi lui avoir refusé ce permis ?

Renvoyé dans l’indifférence, décédé dans la solitude : la vie brisée d’Abdoul Mariga

 Le 6 novembre 2019, Adboul Mariga, 29 ans, cuisinier au CHUV, a été renvoyé de Suisse par la contrainte, en Guinée. Le 17 octobre 2020, il décédait, seul, dans un hôpital de Conakry, probablement des suites d’une hépatite B. Le collectif Droit de Rester avait publiquement dénoncé ce renvoi d’un jeune homme très intégré vers un pays où il n’avait aucune attache.

«Ma santé ne va pas bien. Mes bras et mes jambes sendorment. Ça a commencé pendant ma détention en Suisse, avant lexécution du renvoi, et maintenant cest de plus en plus fréquent. Jai des vertiges et parfois je perds l’équilibre et je tombe.

Jai été à lhôpital au début, mais je nai plus accès, faute dargent. Jai pris un traitement quelque temps, mais maintenant cest fini, je nai plus de médicaments et plus de soins. Même me loger devient très difficile. Je suis là avec beaucoup dangoisses parce que les prochains jours, je ne sais pas comment je vais être.

Je suis malade je ne dors plus. Partout quand je vais dans les hôtels on me demande un passeport et si je sors pour manger, je risque de me faire arrêter par la police et racketter. Pour le logement, on me demande de payer 8 à 12 mois davance, ce que je ne peux pas. Je suis complètement bouleversé, des fois, je ne mange pas. Je paie seulement lhôtel. Cest trop difficile pour moi.»

Abdoul Mariga, septembre 2020

 

Abdoul était arrivé à l’âge de 19 ans en Suisse en 2009. Malgré le refus de sa demande d’asile et une décision de renvoi, il est parvenu à rapidement apprendre le français malgré des conditions de vie difficiles dans les dortoirs d’un abri antiatomique. Par la suite, il a suivi un apprentissage de cuisinier au CHUV. Il a obtenu son CFC et a été engagé. Son employeur qui comptait pouvoir le garder durablement comme employé, le décrit comme un jeune homme exigeant, soigneux, respectueux, de très bonne sociabilité, apprécié par son entourage et investi dans son travail, « un collaborateur sur qui nous pouvons pleinement compter ».

Persévérant, travailleur, Abdoul Mariga a fait un parcours sans faute. Les autorités vaudoises avaient d’ailleurs soutenu sa demande de permis B pour cas de rigueur. Mais le Tribunal fédéral, après un premier rejet de la demande par le Secrétariat d’État aux Migrations (SEM), avait estimé que ses efforts d’insertion, son indépendance financière, le soutien de son employeur, bref tous ces éléments attendus et exigés pour obtenir le précieux sésame, étaient bien réunis mais ne témoignaient pas d’une intégration exceptionnelle.

Après avoir passé son adolescence à chercher un pays pour y poser ses valises et avoir cru pouvoir construire sa vie dans le canton de Vaud, Abdoul est arrêté, jeté en prison administrative, puis renvoyé vers la Guinée, dont sa mère, décédée, était originaire. Abdoul avait pourtant répété à plusieurs reprises aux autorités n’avoir aucune attache en Guinée.

Arrivé sur place, impossible pour Abdoul d’obtenir des documents d’identité. Avec beaucoup de courage et de détermination il a interpellé toutes les autorités guinéennes à même de traiter son cas. Sans succès. Les autorités lui conseillent même de partir en Mauritanie, où il n’a jamais vécu. Vivotant de son dernier salaire du CHUV, l’état de santé d’Abdoul s’aggrave. L’argent arrivant au bout, il se retrouve sans soins, sans médicament, et va d’une petite chambre d’hôtel à l’autre. Nous avons publié l’intégralité de son témoignage, poignant, sur notre site.

Et puis un jour plus rien. Nous apprendrons qu’Abdoul Mariga est décédé à l’hôpital de Conakry le 17 octobre 2020. Seul, dans l’indifférence. Aujourd’hui, nous avons envoyé à tous les collaborateurs du SEM un faire-part annonçant le décès d’Abdoul Mariga, pour les sensibiliser aux conséquences mortelles de la mise-en-œuvre de la politique migratoire inhumaine de la Suisse.

Tout comme nous l’avions fait dans notre communiqué du 10 mars, nous dénonçons son renvoi et nous réitérons nos accusations :

-        Au SEM (Secrétariat d’État aux Migration) de n’avoir jamais accepté la demande d’asile d’Abdoul ;

-        Au TAF (Tribunal Administratif Fédéral) de ne jamais avoir accepté les différents recours d’Abdoul et

-        Au SPOP (Service de la population du Canton de Vaud) d’avoir ordonné l’arrestation, l’emprisonnement et le renvoi de force de ce jeune vers un pays qui n’était pas le sien et qui ne l’a jamais reconnu.

Ce renvoi est inhumain et n’avait nulle obligation d’être exécuté. Les autorités vaudoises avaient d’ailleurs reconnu le parcours du combattant d’Abdoul et préconisaient sa régularisation. Si les autorités fédérales avaient suivi cette recommandation, Abdoul Mariga serait certainement toujours en vie et aurait continué à contribuer aux services essentiels du CHUV, tant estimés en ces temps de pandémie. Quel gâchis de ressources pour s’acharner à appliquer une telle décision absurde, qui a résulté en une mort évitable ! Nous n’oublierons pas Abdoul et nous nous efforcerons de continuer à dénoncer la violence de l’État suisse et de son Secrétariat d’État aux Migrations.

 

Collectif Droit de Rester, Lausanne, le 14 décembre 2020

 

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