dimanche 31 janvier 2021

Des nouvelles de Solomon

Suite au vol spécial vers l’Éthiopie du mercredi 27 janvier 2021 qui a eu lieu malgré la grève
de la faim et de la soif, les protestations et la grande mobilisation, les prises de position et
les résolutions de l’ONU en Suisse, vous trouverez ci-dessous des nouvelles de Solomon et
la manière dont les derniers jours avant son expulsion ce sont déroulés.
Ce témoignage soulève de nombreux incidents qui méritent des investigations
supplémentaires et qui doivent être dénoncés !
Contact 
collectif at stoprenvoi.ch

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Un plan de vol pour l'Éthiopie a été remis à Solomon il y a cinq mois. Plan de vol qu'il a refusé. Sa vie était en Suisse. Il travaillait dans un atelier de mécanique vélo, était engagé dans le foyer dans lequel il vivait, apprécié de tout le monde. C'était évident qu'il ne pouvait pas accepter de partir. Suite à son refus, il a continué à recevoir, comme auparavant, l'aide d'urgence (qu’il devait renouveler tous les 2-3 mois). Puis, rien d'autre, la vie continuait. Pas d'assignation à résidence l'obligeant à rester à la maison en attendant que la police l'emmène, pas d'ordonnance pénale, rien. Rien n'indiquait qu'il allait être arrêté prochainement dans les locaux du service de la population (SPOP).

Mardi 19 janvier 2021. Au matin, Solomon va renouveler son papier d'aide d'urgence (action qu'il devait faire régulièrement pour garder son droit au logement à l'EVAM entre autres). La personne au guichet lui demande de patienter dans la salle d'attente. 10 minutes plus tard, deux policiers pénètrent dans les locaux du SPOP et l'embarquent. Menottes aux poignets, sans aucune explication. Solomon se sent traité comme un criminel. Sans que personne ne lui explique ce qui lui arrive, il est emmené en voiture. Pendant le trajet, Solomon demande à joindre son patron pour le prévenir qu'il ne sera pas au travail l'après-midi. C'est la seule demande qui lui est consentie. Il va changer plusieurs fois de véhicule - voitures et fourgonnettes - il est complètement déboussolé et ne comprend pas pourquoi tout ce cirque pour le transporter qui sait où. Ce n'est qu'en arrivant sur place qu'il apprend qu'il a été emmené à Genève, à la prison de Frambois, où il passera la nuit. 

Mercredi 20 janvier. Solomon est ramené à Lausanne pour comparaître devant le tribunal des mesures de contrainte et d'application des peines. Là, Solomon rencontre pour la première fois, et qui fut aussi la dernière, l'avocat qui lui a été attribué (qui était, en fait, le stagiaire de l'avocate censée s'occuper de sa situation), accompagné d'un interprète anglais, langue que Solomon ne parle pas. Lorsqu'il le fait remarquer au procureur, ce dernier lui répond : "On va faire avec". Sous-entendu par-là que Solomon ne connaîtra pas le contenu du jugement, à part quelques éléments qu'il a compris en français et de bribes d'anglais. Oui, malgré le fait qu'il ait précisé qu'il ne parlait pas anglais, l'ensemble du jugement lui a été traduit dans cette langue.

Ensuite, Solomon est ramené à Frambois, au sous-sol, dans une pièce avec toilettes et lavabo. Il y est placé en isolement jusqu'au mardi suivant. Il n'est autorisé à voir personne, mesure COVID. Il reçoit les appels seulement quand le personnel de la prison est disponible pour les lui transférer. Impossible non plus de lui rendre visite.

Plus aucune nouvelle de sa supposée avocate jusqu'au lundi 25 janvier, date à laquelle il reçoit un appel pour lui dire qu'elle passera mardi. Or, mardi, personne ne vient.

Dans la nuit de mardi 26 à mercredi 27, ses ami.es, son équipe de foot, viennent devant la prison de Frambois depuis Lausanne, pour être là au cas où Solomon serait emmené de nuit à l'aéroport. Iels veillent toute la nuit jusqu'au petit matin, avant de retourner à Lausanne pour le travail. Deux heures plus tard, on apprend que la police vaudoise est arrivée à Frambois avec l'intention de ramener Solomon dans le canton de Vaud. Il est dit aux personnes encore postées devant la prison en soutien aux incarcérés, que le vol n'aurait "peut-être pas lieu".

Les ami.es de Salomon appellent Frambois pour savoir où il a été transféré. Les gardiens leur répondent qu'ils ne peuvent pas donner cette info, qu'ils doivent appeler le service de la population (SPOP) vaudois. Lorsque ses ami.es appellent le SPOP, on leur dit que seule l'avocate peut avoir accès à ces informations. Sa sœur ne compte pas. Son avocate n'en a rien à faire de lui, mais plusieurs personnes essaient de l'appeler tout de même puisqu'elle semble être la seule à avoir droit à cette information si confidentielle. On pense qu'il a été emmené à nouveau dans les locaux de la police cantonale de la Blécherette. Le pourquoi du comment les policiers ont procédé ainsi reste un mystère. L'avocate attend la journée du mercredi 27 janvier, le jour du vol spécial, pour faire une demande de réexamen, qui bien sûr arrivera trop tard. Elle laisse encore cette journée s’écouler avant de lâcher qu’elle ne sait pas où se trouve Solomon, sans avoir pris la peine de passer un coup de fil à la réception de la police cantonale.

Mercredi 27 janvier. Dans la soirée, Solomon est transféré depuis Lausanne vers l'aéroport de Genève (matin à Frambois, après-midi à Lausanne, retour à Genève le soir). Il aura dû d’abord subir la torture psychologique de la police de la Blécherette. Affaibli par sa grève de la faim et cherchant à trouver du repos, Solomon est réveillé à maintes reprises par les policiers qui entrent dans sa cellule, lui enlèvent la couverture, puis repartent. Il est ensuite déshabillé, et plaqué contre le mur pour une fouille intégrale - lors de laquelle les policiers se foutent de lui.

"Ils m'ont humilié jusqu'au bout"

 A nouveau menotté, il est embarqué dans une voiture. Personne ne lui dit où il va. Une fois arrivé à l'aéroport de Genève, il est contraint de se diriger vers l'avion, encadré par deux policiers. Quand Solomon monte dans l'avion, les policiers précisent qu'il a un certificat médical. Dans l'avion, ils étaient 7 Ethiopiens de Suisse, 3 des cantons romands et 4 des cantons germanophones, plus de 40 policiers. Pendant le trajet, un des policiers lui tend une enveloppe en lui disant que c’est de l’argent auquel il a droit, une somme d’un peu plus de 1000 .-. Solomon signe une sorte de reçu, attestant qu’il a bien reçu l'argent, un papier écrit à la main. Arrivé à Addis Abeba, il ouvre l'enveloppe dans laquelle il n'y a plus qu’une centaine de francs, le policier lui a donc dérobé 1000.-. « J'aimerais comprendre pourquoi il a fait ça ».

Solomon a pu sortir de l’aéroport et il va « bien », il atterrit.

[Témoignage recueilli par les ami.es de Solomon]

jeudi 28 janvier 2021

Le renvoi de la honte vers l'Ethiopie a eu lieu!!

 Nous relayons le communiqué des ami-e-s de Tahir et nous associons à leur colère!


Communiqué de presse – 28 janvier 2021

 

Tahir expulsé: les autorités genevoises exécutent un renvoi inqualifiable!

Une mobilisation large d’ami·e·s de Tahir a organisé une présence jour et nuit du 25 au 27 janvier devant le Centre de détention administrative de Frambois pour dénoncer le renvoi de Tahir et de 2 autres personnes vers l’Ethiopie, un renvoi organisé par vol spécial Frontex.

Depuis plusieurs jours, Tahir était en grève de la faim et de la soif. Mardi matin 26 janvier, la police l’a contacté pour lui proposer 1'000 CHF en échange de l’acceptation de son renvoi, ce à quoi Tahir a répondu que sa vie n’était pas à vendre. Il s’agit d’une pratique inacceptable et que nous dénonçons.

Mercredi 27 janvier vers midi, l’état de santé de Tahir s’est dégradé et il a été transféré aux urgences des HUG. Vers 18h, nous avons appris qu’il serait emmené à l’aéroport. Plusieurs dizaines de personnes se sont postées devant différentes sorties des HUG afin de lui dire au revoir, et de former une chaîne humaine symbolique contre son renvoi.

Alors que nous étions masqués et respections les distances physiques sanitaires, les forces de police ont procédé à des contrôles de papiers et menacé de dresser des amendes. C’est à ce moment que Tahir a été sorti de son lit aux urgences pour être emmené à l’aéroport. Le mouvement s’est alors déplacé devant le Terminal 2, d’où le vol spécial devait partir. De nombreuses démarches ont été menées en parallèle pour demander aux autorités genevoises, en charge de l’exécution du renvoi, d’empêcher ce renvoi inacceptable. L’espoir a persisté jusqu’au bout, l’avocate de Tahir, Maitre Buser, ayant fait un dernier recours ce 27 janvier en fin de journée auprès du Tribunal Administratif Fédéral avec mesures d’urgence.

A 22h, le vol spécial Frontex, mutualisé avec l’Allemagne, s’envolait vers Addis Abeba, avec escale à Athènes pour embarquer d’autres personnes déboutées. Au vu de tous les éléments questionnant la légitimité du renvoi de notre ami, nous sommes extrêmement choqués que le Canton n’ait pas usé de son pouvoir pour renoncer à l’exécution de ce renvoi.

Nous dénonçons tout particulièrement que:

  • Tahir ait été arraché de son lit d’hôpital aux urgences pour être mis de force dans l’avion
  • Aucun test PCR n’a été effectué au départ de la Suisse, alors que cette dernière doit le réaliser avant tout départ
  • Les autorités genevoises n’ont rien fait pour empêcher ce renvoi, alors que son exécution relevait de leur compétence

Nous avons appris ce jeudi matin que Tahir est bien arrivé à Addis Abeba.

Le contact avec lui ne sera pas rompu.

Les ami·e·s de Tahir

samedi 23 janvier 2021

Appel de Migrant Solidarity Network: non aux déportations vers l'Ethiopie!

 Communiqué de presse:


Nous demandons à Karine Keller Suter, Cheffe du Département fédéral de justice et police (DFJP) et Mario Gattiker, Secrétaire d’Etat aux Migration (SEM), ainsi qu’aux autorités compétentes la suspension du vol spécial vers l’Ethiopie prévu le 27.01.2021 et l’annulation du renvoi forcé des requérant.e.s d’asile éthiopien.ne.s résidant en Suisse

NON aux déportations vers l’Éthiopie ! Non au vol spécial du 27 janvier ! 

Lundi S.A. a été arrêté et placé en détention à la prison de Frambois en vue d’une expulsion  vers l’Éthiopie alors qu’il se rendait au Service de la population vaudoise (SPOP) pour renouveler son papier d’aide d’urgence. En période de COVID, de telles interventions se font  loin des regards et loin du bruit !

Dans le contexte de cette arrestation, on apprend que le Secrétariat d’État aux migrations (SEM) organise une expulsion collective par vol spécial[1] de Suisse vers l’Éthiopie le 27 janvier 2021, et ceci malgré la guerre, la crise et la pandémie qui frappent ce pays.

En Éthiopie, la situation ne fait qu’empirer !

Alors même que la situation politique se détériore en Éthiopie, nombreuses sont les voix qui s’élèvent pour dénoncer cette pratique et demander « un arrêt immédiat des renvois forcés en Éthiopie »[2] , dont l’OSAR – Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés –,  la Confédération en profite pour y organiser un vol spécial. De manière plus cynique, pourrait-on dire, qu’elle en profite justement avant que des mesures diplomatiques ne soient prises qui l’en empêcherait ?

Selon des haut-e-s-responsables de l’ONU et de l’UE, il existe des « rapports concordants à propos de violences ciblant certains groupes ethniques, d'assassinats, de pillages massifs, de viols, de retours forcés de réfugiés et de possibles crimes de guerre »[3] (Josep Borrell, Haut représentant de l'Union Européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, 15/01/2021).

En avril 2018 déjà, on apprenait que le gouvernement suisse avait signé un accord secret de réadmission avec l’Ethiopie prévoyant la transmission aux services secrets éthiopiens des données personnelles des personnes renvoyées de force[4] les jetant droit dans la gueule du loup. Cet accord avait déjà été dénoncé à l’époque par Amnesty International et Human Rights Watch. Mais le gouvernement persiste et signe !

Pourtant, depuis l’entrée en fonction du premier ministre Abiy Ahmed en 2018, et la mise en œuvre de nombreuses réformes, les tensions entre son gouvernement et le Front de libération du peuple du Tigré (Tigray People's Liberation Front TPLF), le parti au pouvoir dans la région du Tigré n’ont cessé d’augmenter. En septembre 2020, le gouvernement central a pris la décision d’annuler les élections régionales en raison du COVID 19, mais celles-ci ont eu lieu malgré tout dans la région du Tigré. Le conflit s’est alors amplifié entraînant des centaines de morts et blessés - suite aux attaques aériennes lancées par l’armée éthiopienne - et, selon Amnesty International, des massacres de civils[5].

Lors d’un reportage audio de la RTS[6], les experts interrogés compare cette guerre ethnique actuelle avec le génocide d'ex-yougoslavie, expliquant que celui-ci sera long et violent, les soldats étant entraînés au combat. Les réseaux internet sont coupés rendant l'accès aux informations impossible dans certaines regions du pays, tout comme l’accès de l’aide humanitaire.

S.A. n’a pas pu accepter de retourner volontairement en Éthiopie

Les autorités vaudoises et fédérales sont aveugles aux vies humaines touchées par l’exécution mécanique d’ordres et envoient sans sourciller des personnes au cœur d’une  guerre civile naissante. Ces expulsions vers l’Éthiopie mettent délibérément en danger l’intégrité des personnes concernées, elles doivent être impérativement empêchées !

Cela fait plus de 7 ans que S.A. vit dans le canton de Vaud. Jusqu’à ce jour il partageait une chambre dans un foyer d’aide d’urgence avec sa sœur - et son enfant - elle aussi en Suisse depuis près de dix ans. Malgré ces difficultés, c’est ici qu’S.A. tisse des liens et exerces ces activités depuis de nombreuses années. Or, selon les informations qui nous sont parvenues,  S.A. se trouve actuellement dans un état critique. Déjà traumatisé, affaibli psychiquement et affecté physiquement, la violence de son arrestation et l’absurdité de cette décision d’expulsion ne font qu’aggraver sa situation, le confrontant encore une fois aux décisions « administratives » aberrantes des autorités vaudoises et fédérales et à leurs conséquences bien réelles et destructrices. Quand cet acharnement de l’État et ces procédures d’expulsion meurtrières s’arrêteront-t-elles ?

Nous ne cesserons de dénoncer cet entêtement absurde, irresponsable et inhumain des autorités et exigeons la libération immédiate de S.A. et de tous ses compatriotes de Frambois et d’ailleurs ! Nous ne cesserons d’exiger l'arrêt total des expulsions et un droit de rester pour toutes et tous. 

A lire également l’Appel de Migrant Solidarity Network : Le vol spécial prévu pour l’Éthiopie ne doit pas décoller https://migrant-solidarity-network.ch/2021/01/22/aufruf-der-geplante-sonderflug-nach-aethiopien-darf-nicht-abheben/ [7]



[1] Par vol spécial on entend des déportations forcées, sous la contrainte, lors desquelles les personnes concernées se font ligoter de la tête (casque) aux pieds et aux mains. Elles restent entravées ainsi durant un long vol, encadrées par une dizaine de policier par personne, avant d’être remises par les autorités suisses et européennes aux autorités policières/migratoires du pays vers lequel l’expulsion est opérée.

[6] https://www.rts.ch/info/monde/11744384-comment-lethiopie-sombre-dans-la-guerre-un-an-apres-le-nobel-de-la-paix.html

[7] Afin de contacter l’Appel de Migrant Solidarity Network, vous pouvez leur adresser un mail à l’adresse suivante : info@migrant-solidarity-network.ch