mercredi 29 août 2018

L’improbable permis B - Une politique d’exclusion du canton de Vaud



22 aout 2018 La loi permet l’octroi d’une autorisation de séjour aux personnes titulaires d’une admission provisoire qui montrent des signes positifs d’intégration et qui séjournent en Suisse depuis au moins 5 ans.
Le canton de Vaud rechigne à autoriser l’octroi de ce permis B et de plus en plus de familles restent durablement coincées avec un permis F, qui est un sous-statut extrêmement précaire, discriminatoire, retenant dans la marginalité et la pauvreté tout un groupe de population.
Voici l’exemple de la famille Temnay, qui vit en Suisse depuis plus de 9 ans. Les 4 enfants suivent leur scolarité avec succès. Ils sont nés en Suisse et ne connaissent rien de leur pays. L’aîné est brillant à l’école. Les deux garçons font du foot et la fille de la gymnastique.
Les parents parlent couramment le français. Le père indique dans son CV qu’il comprend 6 langues ! le français, l’arabe, l’italien, l’anglais et deux langues de son pays. Il maîtrise l’informatique. Il a d’abord travaillé en Suisse comme mécanicien dans un garage puis il a été engagé à la Migros où il a entrepris un apprentissage de vendeur et de gestionnaire des stocks. Après l’obtention de son diplôme, il n’a pas pu poursuivre dans l’entreprise et ses recherches d’emploi sont restées vaines depuis, les employeurs refusant d’engager des personnes titulaires d’un permis F, jugé trop instable. Les recherches d’emploi de son épouse sont également restées vaines, pour la même raison. Une agence de placement a expliqué qu’elle n’acceptait aucun permis F parce que les délais pour obtenir l’autorisation auprès du SPOP sont trop longs.
L’octroi du permis B résoudrait ces problèmes et permettrait à la famille de s’installer durablement en Suisse, de construire de réels projets d’avenir, et d’avoir un statut qui corresponde à la réalité de leur séjour en Suisse, où les enfants grandissent et ont toute leur vie ici.
Mais voilà, le SPOP refuse depuis 4 ans d’accorder l’autorisation et maintient ainsi la famille dans une situation sociale difficile qui empêche leur intégration réelle. Plus l’attente pour l’octroi du permis B sera longue, plus il sera difficile au père de retrouver du travail, et plus les chances pour la famille d’accéder à l’autonomie économique seront réduites. Les pratiques cantonales restrictives en matière de régularisation entraînent pour de nombreuses familles une dépendance de plus en plus durable à l’aide sociale.
En outre, elles poussent les gens à accepter n’importe quel emploi dans des conditions abusives. M. Temnay a notamment travaillé plus d’un an comme livreur de produits surgelés à domicile. Il parcourait presque 200 km par jour avec un camion frigorifique, 70 heures par semaine pour un salaire en dessous du minimum vital. Il ne voyait plus ses enfants et a été contraint de cesser cet emploi par épuisement.
L’autorité cantonale sait que les personnes titulaires d’une admission provisoire ne trouvent pas de travail ou seulement une très faible proportion d’entre eux. Le refus d’octroi d’une autorisation de séjour est une politique de rétention de tout un groupe de population dans la marginalité et l’absence de perspectives, une politique d’exclusion.
Ces pratiques dégradent l’image des requérants d’asile aux yeux du public et aggravent ainsi les risques de discrimination, de précarité et d’isolement social.
De nombreuses entraves rendent la vie impossible aux titulaires d’une admission provisoire, épuisent moralement les gens, les découragent et les excluent. Les conditions de logement, fixées par l’EVAM, sont souvent particulièrement difficiles. La famille Temnay par exemple vit à 6 personnes dans un appartement de trois pièces. De nombreuses communes refusent l’allocation d’un logement subventionné aux titulaires d’un permis F ce qui les empêche de rechercher par eux-mêmes un appartement où ils ne vivraient pas entassés les uns sur les autres. Il en va de même des agences qui refusent systématiquement les titulaires d’un permis F, même avec la caution d’une personne suisse, ce dont la famille Temnay a fait plusieurs fois l’expérience. Elle se trouve dans l’impossibilité de déménager et de choisir par elle-même son appartement.
À noter que la famille Temnay a le statut de réfugiés. Leur retour en Érythrée est impossible où ils risquent l’arrestation et la détention arbitraires ainsi que la torture, couramment pratiquées dans ce pays à l’encontre des déserteurs et des dissidents ou perçus comme tel.
Leur séjour en Suisse est donc durable et c’est le sens même de la décision du SEM, de leur reconnaître la qualité de réfugiés afin de leur permettre de refaire leur vie en Suisse.
Or, les entraves à l’intégration des titulaires de l’admission provisoire vont à l’encontre des engagements de la Suisse au titre de la Convention relative au statut des réfugiés, qui prévoit des facilités d’insertion en faveur des réfugiés reconnus, précisément pour les protéger contre les discriminations politiques, économiques et sociales qui sont trop souvent le lot des étrangers.
Leur enclavement dans un statut précaire qui les empêche de participer à la vie économique et de conduire leur existence avec de réelles perspectives de développement personnel, porte atteinte au droit des réfugiés de s’installer effectivement et de manière viable dans le pays d’accueil.

Pour citer ou reproduire l’article : L’improbable permis B, aout 2018, http://droit-de-rester.blogspot.ch/