jeudi 27 juin 2019

Obligée d'apprendre le français à 86 ans: merci le SPOP!


Une personne de 86 ans doit apprendre le français pour obtenir une autorisation de séjour : Le SPOP fait une interprétation restrictive de la loi.

AJ est née en 1933 au Sri Lanka.  Elle est tamoule, issue d’une communauté minoritaire fortement réprimée par le gouvernement sri-lankais. Femme cultivée, AJ a travaillé toute sa vie en tant qu’institutrice dans une école où elle enseignait l’anglais. Ses enfants ont fait des études universitaires et ont connu, malgré la guerre, une vie professionnelle et sociale dans une certaine mesure florissante.
Le durcissement de la répression à la fin de la guerre renverse le sort de sa famille. Soupçonnés d’être séparatistes et leurs vies menacées, ses enfants ne voient pas d’autres solutions que d’opter pour la voie de l’exil en laissant derrière eux emploi, famille et tout ce qu’ils avaient construit. Une grande partie de la famille élargie d’AJ avait aussi fui le Sri Lanka.
AJ décide quelques années plus tard de quitter son pays avec son mari pour joindre ses enfants en Suisse. La santé de son époux s’était aggravée et le couple, déjà très âgé, souffrait fortement de l’absence de leurs enfants.  
Le couple arrive en Suisse en 2008. AJ était âgée de 75 ans. Ils demandent l’asile, mais le SEM ne leur octroie qu’une admission provisoire. Les premières années d’AJ en Suisse étaient loin d’être réconfortantes. Une admission provisoire implique de fortes restrictions dans le déplacement et dans les moyens d’intégration. Malgré tous ces obstacles, elle parvient à créer des liens sociaux dans la communauté où elle habite. Elle se rend souvent à l’église de son quartier où elle participe, entre autres, en tant que bénévole aux activités de la paroisse et entre en contact avec un bon nombre de personnes, laïques et religieuses. Mais en 2016, son époux décède. Tombée dans une forte dépression et dépendante moralement de ses enfants, un retour d’AJ au Sri Lanka n’est plus envisageable.
En 2017, AJ dépose une demande d’autorisation de séjour. Toute sa famille est en Suisse, son mari est enterré en sol helvétique. A l’âge de 85 ans, il n’y a plus de sens pour AJ de retourner dans son pays d’origine. En mars 2019, le SPOP émet un préavis avec l’intention de lui refuser l’octroi d’un permis B. L’autorité cantonale se base sur l’argument qu’AJ « ne parle pas du tout français ». 
Pour autant que la loi exige des compétences linguistiques pour juger du niveau d’intégration d’un étranger, il est nécessaire que ceux qui ont la charge de son exécution intègrent dans leur analyse les éléments particuliers du cas afin d’émettre une décision juste et équitable et transmettre ainsi la vraie intention de la loi. L’analyse du SPOP, fondée sur une application littérale et restrictive de la loi, s’oppose clairement à ce qui est juste et équitable. Elle est, d’ailleurs, perçue comme obtuse puisqu’elle ne considère pas ce qui est même évident pour le sens commun : la capacité cognitive d’une personne est fortement réduite après l’âge de 70 ans.
Ce que l’autorité cantonale demande est donc inatteignable. AJ a actuellement 86 ans. Elle ne pourrait jamais prétendre à un permis B et serait contrainte de rester sous le coup d’un permis F pour le reste de sa vie, qu’elle passera, en tout cas, en Suisse. Le SPOP a ainsi oublié le principe juridique de la proportionnalité, qui exigerait l’interprétation du critère de l’intégration pour l’octroi d’une autorisation de séjour en fonction des efforts faits par le requérant ainsi que des obstacles non inhérents à celui-ci. Ainsi, AJ ne devrait pas être condamnée à demeurer sous le coup d’un statut précaire alors que son incapacité de répondre à des exigences scolaires de connaissance du français n’est pas fautive.
Les Romains définissent le « iruis prudens », c’est-à-dire, celui qui a entre ses mains l’application et l’interprétation de la loi, comme le connaisseur des choses humaines (humanaeque rerum notitia) et de ce qui juste et injuste (iusti et iniusti scientia).  Le préavis de l’autorité cantonale démontre donc l’aveuglement de l’administration face à la réalité humaine des personnes admises provisoirement et l’injustice qu’il génère. Si bien que la décision de l’administration discrimine en premier plan les exilés, elle entraîne implicitement la violation d’autres aspects protégés par la loi. En l’occurrence, l’exigence envers AJ d’apprendre le français est un acte d’injustice non pas seulement vis-à-vis des refugiées, mais aussi envers des personnes âgées et des personnes malades.




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