(17 décembre 2019) Depuis quelques temps, le Tribunal
administratif fédéral se plaît à déclarer les recours en matière d’asile
abusifs. L’arrêt D-5590/2019 du 7 novembre est à cet égard particulièrement
choquant. Il y est question d’un couple dont le conjoint est devenu
tétraplégique à la suite d’une chute où il s’est heurté la nuque. Monsieur n’a
plus d’autonomie dans aucun des actes de la vie courante. Il ne peut ni se
lever, ni s’habiller et doit être aidé également pour porter la fourchette à sa
bouche ou sa tasse de café. Il s’agit d’une condition humaine extrême, qui
devrait susciter la compassion et le soutien, dans la mesure où l’existence de
cette personne est déjà une souffrance ouverte. La dépendance totale est en soi
une humiliation, et l’incapacité de conduire sa vie et ses activités mène à un
état de détresse psychologique qu’il est impossible de se représenter.
Le couple donc demande l’asile en Suisse pour des
motifs médicaux et socio-politiques. Dans leur pays d’origine, l’aide sociale
est insuffisante pour vivre (Madame ne peut plus travailler parce qu’elle
accompagne son mari) et le traitement des personnes handicapées, inadéquat
voire socialement stigmatisant. Après un refus du SEM d’accorder une admission
provisoire, un recours est déposé.
Ce recours est déclaré téméraire donc irrecevable en
quelques jours, pour des motifs insoutenables, discriminatoire à l’encontre des
personnes handicapées.
Lisez plutôt :
La santé de l’intéressé « s’est très notablement
améliorée », parce qu’il « n’a plus besoin de soins intensifs ou
complexes (par exemple opérations en lien avec l’ancienne perforation de
l’œsophage, traitement d’escarres [entre-temps guéries] et/ou en lien avec des infections
sérieuses), il peut désormais s’alimenter par voie orale sans être dénutri, il
a bénéficié d’une réadaptation sphinctérienne et n’a plus besoin d’une sonde
vésicale, il peut désormais utiliser ses membres supérieurs, en particulier
pour s’alimenter et s’hydrater seul, avec un appareillage adapté, il n’a plus
besoin que d’une personne pour l’aider (son épouse), il peut supporter une
position assise prolongée grâce à une tonification musculaire du tronc et des
membres supérieurs et, hormis les moments de soins (toilette et coucher), il
est autonome durant le reste de la journée. Il dispose actuellement de moyens
auxiliaires à son état et, en particulier, d’un lit électrique équipé d’un
matelas à air ainsi que d’une chaise électrique à ses mesures et de coussins
adaptés à sa situation. »
Ici, le juge montre un formidable mépris des personnes
handicapées, en réduisant le sens de leur existence à l’accomplissement de quelques
actes pratiques de la vie quotidienne. Ainsi, il suffit que Monsieur puisse porter
sa fourchette à la bouche avec un appareillage et se déplacer en fauteuil
roulant pour considérer que ses besoins sont satisfaits, et qu’il n’a donc plus
matière à se plaindre.
Or, la dignité humaine ne se résume pas à cela. La vie
humaine ne consiste pas en trois actes du quotidien. Elle comporte d’autres
dimensions, sociales, psycho-affectives ou même économiques, qui ne peuvent
plus être pleinement réalisées. Un cadre soutenant est nécessaire aux personnes
handicapées pour leur permettre de s’accomplir au maximum de leurs capacités.
Ce cadre fait souvent défaut dans le pays d’origine et c’est cela qui devrait
être examiné dans la procédure de recours.
En niant ces dimensions multiples c’est-à-dire la
qualité d’individu à part entière du recourant, le juge dénigre les personnes
handicapées. Il n’est pas « humanitaire » d’affirmer qu’il suffit aux
incapables de se contenter de leur corps posé sur un fauteuil électrique « adapté ».
Le juge accuse encore les recourants d’abuser de leur
droit de faire recours et les sanctionne de frais de procédure
« majorés » à 500 frs. Il nie ainsi leurs droits de procédure et
jette l’opprobre contre eux, en culpabilisant le besoin qu’ils ont de se
défendre. Le Tribunal porte atteinte à leur honneur ou à leur réputation en
affirmant que leur comportement est répréhensible. Cet arrêt est donc aussi une
menace et une intimidation des recourants, qui sont avertis qu’une nouvelle
démarche de recours risque d’être sanctionnée plus gravement encore, la
récidive étant un motif de décuplement de la peine. Ici, le Tribunal s’arroge
des compétences quasiment de nature pénale, de répression des requérants
d’asile qui déposent un recours. Ces débordements violent le devoir
d’impartialité et de neutralité du Tribunal.
Le juge ajoute « qu’en outre, s’agissant du
financement des soins, la tradition humanitaire de la Suisse n’a, hormis pour
les soins essentiels, pas vocation à s’appliquer en faveur de ressortissants de
pays tiers entrant illégalement en Suisse, puis déposant une demande d’asile
totalement infondée, sans aucun réel besoin de protection contre des
persécutions, afin d’y obtenir un droit de séjour de longue durée, en vue d’y
accéder gratuitement à des soins coûteux, voire à des traitements de médecine
de pointe inconnus dans leur pays. »
Ici encore, le jugement est politique, partial et non
conforme à la loi. Le juge contourne la loi en invoquant une « tradition
humanitaire » qu’il interprète à son gré. Il remet directement en cause les
motifs pour lesquels la loi (l’article 83 LEI) prévoit l’octroi d’une admission
provisoire, où la « nécessité médicale » est explicitement mentionnée.
La demande d’asile elle-même doit être entendue de manière large, à cause de
conditions socio-économiques et politiques très difficiles pour les personnes
handicapées selon leur pays d’origine, auxquelles s’ajoutent encore des
problématiques de discrimination des minorités, de conflit armé, de pauvreté
endémique dans des régions inaccessibles ou de corruption. Il ne s’agit jamais d’un
seul et unique problème d’accès aux soins de santé.
La voie de recours est ainsi un nouvel instrument politique
de répression des requérants d’asile, et de discrimination des personnes
vulnérables, particulièrement des personnes handicapées et des femmes victimes
de violences, à l’égard de qui les autorités fédérales montrent un manque de
plus en plus flagrant de compassion, et un désir de moins en moins inavoué de
les expulser du territoire suisse quoi qu’il en coûte, y compris au mépris de
la dignité des personnes, ou de la loi.
Pour citer ou
reproduire cet article : Recours « abusif » d’un homme tétraplégique,
article publié par Droit de rester pour tou.te.s, janvier 2019, http://droit-de-rester.blogspot.com/