lundi 27 janvier 2020

Stop à la séparation des familles ! Libérez Mubaarak !

Mardi 14 janvier 2020, Mubaarak, un jeune somalien a été arrêté par la police vaudoise.  
Il se trouve actuellement à la prison administrative de Frambois pour un renvoi imminent en Italie.

Mubaarak a déposé une demande d’asile en Suisse en juillet 2017. Il avait fui son pays, la Somalie, secouée par une guerre civile permanente. Il a rejoint sa tante et ses cousins qui sont en Suisse depuis plusieurs années, au bénéfice d’un permis B et de la nationalité suisse. Mubaarak est un jeune fragile et vulnérable qui a vécu un parcours difficile. Il a fréquenté les classes d’accueil de l’Ecole de la Transition à Yverdon et il bénéficiait d’un accompagnement intensif. Le réseau médical et de soutien avait remarqué des difficultés d’apprentissage et cognitives.

Le SEM a refusé d’entrer en matière sur sa demande d’asile et il a ordonné le renvoi en Italie en application des accords de Dublin. Il a été renvoyé à Catane une première fois, le 14 février 2018. En Italie, il s’est retrouvé à la rue et il a erré pendant quelques jours: il n’avait pas d’argent, aucune aide de la part des autorités italiennes, il dormait dans les parcs. Il est revenu clandestinement en Suisse pour retrouver sa famille et ses amis de l’école et il a déposé une deuxième demande d’asile.

Le SEM, en appliquant aveuglement les accords de Dublin, a rendu une deuxième décision négative, et prononcé son renvoi. Il a reçu un plan de vol le 20 février 2019 de la part du SPOP et a été assigné à résidence. Suite à cette menace de renvoi, Mubaarak est sorti du système pour éviter le renvoi en Italie. Il attendait le 23 avril 2020, date à laquelle la Suisse aurait  dû examiner sa demande de protection. Il a des motifs d’asile à faire valoir.
Il ne demandait rien à personne, se tenait très discret. Mais, le SPOP a mandaté cette chasse à l’homme et a ordonné l’intervention de la police cantonale, qui l’a trouvé et arrêté.

Aujourd’hui il risque d’être renvoyé dans un pays où des conditions d’accueil dignes ne sont pas garanties. Le récent arrêt du TAF le stipule : La Suisse ne peut plus renvoyer en Italie les familles et les personnes vulnérables sans avoir des garanties concrètes et précises sur les conditions de la prise en charge des personnes renvoyées.

La Suisse, le SEM, le canton de Vaud, le SPOP appliquent aveuglément et absurdement le règlement Dublin sans utiliser leur marge de manœuvre.  Ils sont responsables de graves violations des droits des personnes, ils causent des dégâts humains et des souffrances qui atteignent l’intégrité des personnes à la recherche d’une protection en Suisse.

Cela fait presque 3 ans que Mubaarak lutte pour son droit à faire examiner sa demande asile ! C’est inhumain, indécent et révoltant ! Mubaarak fait partie de la catégorie des personnes sans droits en errance dans le système européen de l’asile.

Nous dénonçons cette arrestation ciblée et sournoise de la part du SPOP et de la police cantonale VD !  Nous exigeons la libération immédiate de Mubaarak, et la possibilité que sa demande d’asile soit finalement examinée en Suisse !

Lausanne, le 27 janvier 2020
Droit de Rester Lausanne, Solidarité sans frontières, Solidarité Tattes.


lundi 13 janvier 2020

Recours « abusif » d’un homme tétraplégique


(17 décembre 2019)             Depuis quelques temps, le Tribunal administratif fédéral se plaît à déclarer les recours en matière d’asile abusifs. L’arrêt D-5590/2019 du 7 novembre est à cet égard particulièrement choquant. Il y est question d’un couple dont le conjoint est devenu tétraplégique à la suite d’une chute où il s’est heurté la nuque. Monsieur n’a plus d’autonomie dans aucun des actes de la vie courante. Il ne peut ni se lever, ni s’habiller et doit être aidé également pour porter la fourchette à sa bouche ou sa tasse de café. Il s’agit d’une condition humaine extrême, qui devrait susciter la compassion et le soutien, dans la mesure où l’existence de cette personne est déjà une souffrance ouverte. La dépendance totale est en soi une humiliation, et l’incapacité de conduire sa vie et ses activités mène à un état de détresse psychologique qu’il est impossible de se représenter.
Le couple donc demande l’asile en Suisse pour des motifs médicaux et socio-politiques. Dans leur pays d’origine, l’aide sociale est insuffisante pour vivre (Madame ne peut plus travailler parce qu’elle accompagne son mari) et le traitement des personnes handicapées, inadéquat voire socialement stigmatisant. Après un refus du SEM d’accorder une admission provisoire, un recours est déposé.
Ce recours est déclaré téméraire donc irrecevable en quelques jours, pour des motifs insoutenables, discriminatoire à l’encontre des personnes handicapées. 
Lisez plutôt :

La santé de l’intéressé « s’est très notablement améliorée », parce qu’il « n’a plus besoin de soins intensifs ou complexes (par exemple opérations en lien avec l’ancienne perforation de l’œsophage, traitement d’escarres [entre-temps guéries] et/ou en lien avec des infections sérieuses), il peut désormais s’alimenter par voie orale sans être dénutri, il a bénéficié d’une réadaptation sphinctérienne et n’a plus besoin d’une sonde vésicale, il peut désormais utiliser ses membres supérieurs, en particulier pour s’alimenter et s’hydrater seul, avec un appareillage adapté, il n’a plus besoin que d’une personne pour l’aider (son épouse), il peut supporter une position assise prolongée grâce à une tonification musculaire du tronc et des membres supérieurs et, hormis les moments de soins (toilette et coucher), il est autonome durant le reste de la journée. Il dispose actuellement de moyens auxiliaires à son état et, en particulier, d’un lit électrique équipé d’un matelas à air ainsi que d’une chaise électrique à ses mesures et de coussins adaptés à sa situation. »

Ici, le juge montre un formidable mépris des personnes handicapées, en réduisant le sens de leur existence à l’accomplissement de quelques actes pratiques de la vie quotidienne. Ainsi, il suffit que Monsieur puisse porter sa fourchette à la bouche avec un appareillage et se déplacer en fauteuil roulant pour considérer que ses besoins sont satisfaits, et qu’il n’a donc plus matière à se plaindre.
Or, la dignité humaine ne se résume pas à cela. La vie humaine ne consiste pas en trois actes du quotidien. Elle comporte d’autres dimensions, sociales, psycho-affectives ou même économiques, qui ne peuvent plus être pleinement réalisées. Un cadre soutenant est nécessaire aux personnes handicapées pour leur permettre de s’accomplir au maximum de leurs capacités. Ce cadre fait souvent défaut dans le pays d’origine et c’est cela qui devrait être examiné dans la procédure de recours.

En niant ces dimensions multiples c’est-à-dire la qualité d’individu à part entière du recourant, le juge dénigre les personnes handicapées. Il n’est pas « humanitaire » d’affirmer qu’il suffit aux incapables de se contenter de leur corps posé sur un fauteuil électrique « adapté ».
Le juge accuse encore les recourants d’abuser de leur droit de faire recours et les sanctionne de frais de procédure « majorés » à 500 frs. Il nie ainsi leurs droits de procédure et jette l’opprobre contre eux, en culpabilisant le besoin qu’ils ont de se défendre. Le Tribunal porte atteinte à leur honneur ou à leur réputation en affirmant que leur comportement est répréhensible. Cet arrêt est donc aussi une menace et une intimidation des recourants, qui sont avertis qu’une nouvelle démarche de recours risque d’être sanctionnée plus gravement encore, la récidive étant un motif de décuplement de la peine. Ici, le Tribunal s’arroge des compétences quasiment de nature pénale, de répression des requérants d’asile qui déposent un recours. Ces débordements violent le devoir d’impartialité et de neutralité du Tribunal.

Le juge ajoute « qu’en outre, s’agissant du financement des soins, la tradition humanitaire de la Suisse n’a, hormis pour les soins essentiels, pas vocation à s’appliquer en faveur de ressortissants de pays tiers entrant illégalement en Suisse, puis déposant une demande d’asile totalement infondée, sans aucun réel besoin de protection contre des persécutions, afin d’y obtenir un droit de séjour de longue durée, en vue d’y accéder gratuitement à des soins coûteux, voire à des traitements de médecine de pointe inconnus dans leur pays. »

Ici encore, le jugement est politique, partial et non conforme à la loi. Le juge contourne la loi en invoquant une « tradition humanitaire » qu’il interprète à son gré. Il remet directement en cause les motifs pour lesquels la loi (l’article 83 LEI) prévoit l’octroi d’une admission provisoire, où la « nécessité médicale » est explicitement mentionnée. La demande d’asile elle-même doit être entendue de manière large, à cause de conditions socio-économiques et politiques très difficiles pour les personnes handicapées selon leur pays d’origine, auxquelles s’ajoutent encore des problématiques de discrimination des minorités, de conflit armé, de pauvreté endémique dans des régions inaccessibles ou de corruption. Il ne s’agit jamais d’un seul et unique problème d’accès aux soins de santé.

La voie de recours est ainsi un nouvel instrument politique de répression des requérants d’asile, et de discrimination des personnes vulnérables, particulièrement des personnes handicapées et des femmes victimes de violences, à l’égard de qui les autorités fédérales montrent un manque de plus en plus flagrant de compassion, et un désir de moins en moins inavoué de les expulser du territoire suisse quoi qu’il en coûte, y compris au mépris de la dignité des personnes, ou de la loi.

Pour citer ou reproduire cet article : Recours « abusif » d’un homme tétraplégique, article publié par Droit de rester pour tou.te.s, janvier 2019, http://droit-de-rester.blogspot.com/