5 avril 2022
Le Conseil fédéral écrivait en 2003, dans son rapport
sur la nouvelle loi qui allait entrer en vigueur en 2004, que l’aide d’urgence
a pour but « d’inciter les requérants d’asile déboutés à quitter la Suisse ».
Dit autrement, il s’agit de les décourager, les
démoraliser et les désécuriser, en faisant pression sur eux pour qu’ils
renoncent à rester ici, parce que leur vie devient insupportable.
La vie est insupportable notamment lorsqu’on est privé de sa liberté et de
son autonomie, de la faculté de se construire et de se développer soi-même, et
lorsqu’on se sent inutile au monde, parce qu’on n’y a pas de rôle ni de place.
Pour rendre cette vie insupportable, les autorités
organisent premièrement la désocialisation des personnes, deuxièmement effacent
leur individualité, et troisièmement écrasent leur sphère privée ou intime.
1. Premièrement, la désocialisation organisée,
ce sont toutes les mesures qui empêchent de maintenir ou de créer des liens
sociaux. Par exemple, le regroupement des personnes à l’aide d’urgence dans des
centres d’hébergement collectifs, spécialement dédiés à cette population. Ou
encore, la paupérisation extrême, puisque les gens ne reçoivent pas d’argent en
espèces, mais des colis alimentaires et des produits d’hygiène. Ils ne sont pas
autorisé.e.s à travailler, bien sûr. Le manque d’argent empêche d’entreprendre
des activités, et limite aussi considérablement les déplacements.
La jurisprudence du Tribunal fédéral dit qu’iles n’ont
pas le droit de créer des liens sociaux, ou qu’iles n’ont pas besoin de
créer ces liens, parce qu’iles doivent bientôt quitter le pays. Dans un autre
arrêt, le Tribunal fédéral a considéré qu’iles n’ont pas le droit de faire du
bénévolat, qu’iles ont l’obligation de rester inactif.e.s.
La désocialisation entraîne une forte dépendance à
l’autorité qui délivre l’aide d’urgence. Les autorités cherchent ainsi à
prendre le contrôle de la vie de ces personnes.
2.
Deuxièmement, effacer l’individualité ou les particularités de chacun,
cela, c’est la façon dont on définit les prestations dans l’aide d’urgence, qui
sont : un endroit où dormir à l’abri, la distribution de colis alimentaires à
hauteur de 8 frs par jour et par personne, et l’accès aux soins médicaux, plus
encore 50 frs par enfant à la rentrée scolaire.
Dit comme cela, on voit que toutes les personnes
visées par ces mesures sont uniformes, elles ont les mêmes besoins et elles ne
se distinguent pas les unes des autres. Leur vie est définie de manière
générique et extrêmement restreinte. Une personne âgée ou handicapée qui a des
besoins d’aménagements, une mère seule avec deux jeunes enfants qui a besoin
d’espace privé réservé à la famille, une adolescente au gymnase qui a besoin
d’argent pour sortir avec ses copines, une personne traumatisée qui a des
besoins de sécurité particuliers, ces gens-là doivent s’adapter aux prestations
fixes de l’aide d’urgence. Elles doivent réduire leur individualité et endurer
des épreuves de survie particulièrement contraignantes.
3. Troisièmement, les mesures d’aide d’urgence
entraînent l’écrasement de la sphère privée. Le domicile, a déclaré un
journaliste soudanais interviewé Anne-Claire ADET, dans son film « Bunker »[1],
le domicile est « le lieu d’où on construit des choses ». Cet espace à soi, les
personnes à l’aide d’urgence n’y ont pas droit. Iles habitent dans les locaux
de l’autorité, qui leur attribue une place dans une chambre moche, prémeublée
sommairement, en situation de surpeuplement, toute la famille dans une seule
pièce, et les célibataires regroupés entre eux dans des dortoirs communs.
L’espace y est étroit, il n’y a pas de place pour se déplacer, et chaque
activité de la journée est une montagne à gravir. Prendre le repas sur une
toute petite table par exemple : il faut déplacer la table calée contre le mur,
s’efforcer d’arranger les chaises autour dans les interstices entre les lits,
la porte et le frigo, et veiller à ce que chaque chose à poser sur la table
n’en fasse pas tomber une autre. Après la vaisselle, les ustensiles sont rangés
sous le lit parce qu’il n’y a pas assez de place dans le placard.
Nos autorités, le Conseil fédéral et le Tribunal
fédéral, dès le début et encore maintenant, affirment que l’aide d’urgence est
le bénéfice du droit fondamental au minimum vital. Il y a une immense
hypocrisie derrière cette affirmation. La loi elle-même est hypocrite en
reprenant ce discours, qui est une construction politique. Les mesures
d’aide d’urgence en réalité organisent la discrimination d’un groupe de personnes
désignées par l’étiquette « requérant.e d’asile débouté.e ». L’aide d’urgence
doit inciter à quitter la Suisse. Elle consiste en un ensemble de mesures de
contrainte, qui privent les personnes de leurs libertés, et de leurs droits
fondamentaux.
Dans une perspective de lutte contre les mesures
d’aide d’urgence, sous l’angle politique, pour rétablir les bases de la
négociation ou de la discussion, il ne faut plus laisser les autorités
continuer à affirmer que l’aide d’urgence est un droit. L’aide d’urgence est un
ensemble de mesures d’accompagnement à l’exécution du renvoi, qui font partie
intégrante de la décision de renvoi de Suisse, par lesquelles les autorités
imposent une désocialisation forcée, et discrimine les requérant.e.s d’asile.
Pour citer ou
reproduire cet article : L’aide d’urgence n’est pas un droit, publié sur
le site de Droit de rester pour tou.te.s, avril 2022, http://droit-de-rester.blogspot.com/