dimanche 17 décembre 2017

Aide d’urgence : seulement survivre



7 décembre 2017       « Je suis en Suisse depuis 8 ans et demi maintenant, toujours sans rien, sans statut et sans perspectives. J’ai quitté mon pays il y a 17 ans, quand j’avais 15 ans, et je ne pourrai plus jamais y retourner. Je suis une étrangère là-bas, à cause d’une guerre d’indépendance, et je n’ai plus aucune famille. Depuis, j’ai traversé différents pays, le Soudan, le Liban, la Libye, en Grèce, en Italie. Partout j’ai essayé de travailler et de reconstruire ma vie, mais j’ai été chassée et je ne trouvais pas de conditions pour assurer ma survie. Souvent même, et surtout, je n’étais pas en sécurité en tant que jeune femme seule et sans soutien de famille. En Suisse j’ai reçu une décision négative parce que l’autorité ne reconnaît pas que nous sommes érythréens. Mais nous n’avons aucun moyen de le prouver. L’Éthiopie refuse de nous délivrer des documents, car nous ne sommes pas leurs nationaux, et l’Érythrée de même parce nous n’avons pratiquement pas vécu là-bas. Moi, je n’y suis même jamais allée et je ne connais personne sur place. Mes parents sont morts avant même que je quitte le pays. Je n’ai jamais connu ma mère et j’avais 7 ans quand j’ai perdu mon père. J’ai été élevée par une tante avec qui j’ai fui au Soudan. Je ne sais pas où elle est maintenant, j’ai perdu son contact depuis plusieurs années. Tout ce que j’ai encore comme famille est avec moi : ce sont mon mari et nos deux enfants.

Nous sommes à l’aide d’urgence depuis 8 ans, sans autorisation de travailler, sans autorisation d’être là ni sans autorisation d’exister. J’ai 32 ans maintenant et j’ai passé toute ma jeunesse sans aucun droit de progresser dans ma vie, de suivre une formation ou de me rendre utile, ni de me créer une vie professionnelle. Comment est-ce que je vais pouvoir rebondir après un tel creux dans mon parcours ? Ma vie aura été un gaspillage d’une énergie pourtant énorme que j’avais pour aller de l’avant, mais j’ai été bloquée dans tous mes projets par des circonstances qui me sont extérieures et sur lesquelles je n’ai pas d’influence. Je ne veux pas être dépendante de l’assistance parce que je sais travailler. J’ai envie d’être autonome et de faire des choses pour mes enfants, comme tout le monde. Tous ceux qui sont arrivés en même temps que nous ont un permis, mais nous non.

Tout est bloqué dans ma vie. Nous partageons deux pièces d’un petit appartement. Nous devons dormir tous les quatre avec nos deux enfants dans la même pièce ce qui est désagréable pour tout le monde. Nous manquons d’espace et les enfants sont agités. Il y a parfois des tensions à la maison. Les enfants grandissent et posent de plus en plus de questions, surtout l’aîné qui va à l’école et voit comment vivent les autres enfants. Il demande tous les jours « pourquoi on n’a pas d’argent ? » pour acheter un petit pain ou un jouet ou un vêtement, « pourquoi on ne va pas en vacances ? » quand ses camarades de classe rentrent de vacances et racontent où ils sont partis, « pourquoi je ne peux pas faire du karaté ? ». Il voudrait faire du karaté, mais c’est impossible pour nous de payer une activité extrascolaire. L’EVAM nous donne 50 frs par semaine et par enfant. C’est impossible de nourrir un enfant avec 50 frs par semaine, si on compte encore les couches pour la plus jeune ou le lait en poudre. Il n’y a pas assez pour seulement se nourrir. Chaque achat, depuis 8 ans, est rigoureusement pesé et compté. Nous ne sommes jamais sûrs d’avoir assez à manger jusqu’à la fin de la semaine.

Tout est compliqué et honteux pour moi. Je n’ose pas dire autour de moi dans quelle situation je suis parce que je me sens dépendante de la charité ce qui est honteux. Je dois me cacher. Des fois j’ai l’impression que ma condition de sous-humaine est écrite sur mon visage, que les gens dans la rue vont savoir que je n’ai pas d’argent, que je n’ai pas le droit d’exister ni d’être là. Je voudrais travailler et aider mes enfants à grandir dans des conditions normales comme tout le monde, et non pas tout le temps devoir leur dire « non, ce n’est pas possible », « non, nous ne sommes pas comme les autres ». Leurs questions me remplissent de tristesse et de désespoir. Des fois je ne trouve plus ma voix pour leur répondre. Elle s’éteint dans ma gorge qui se serre et j’ai envie de pleurer. Souvent je pleure quand je suis seule à la maison, ou des fois devant les enfants, car je suis à bout de forces et je n’arrive plus à me retenir.

J’ai beaucoup lutté pour faire face depuis ma fuite du pays, mais maintenant cela fait trop d’années que je me sens comme un fantôme ou comme dans une vie de néant. J’ai l’impression de tourner en rond dans une cage, comme en prison. Je ne peux rien faire de mon existence, de valorisant ou de constructif. Il est particulièrement pesant d’être impuissant à créer pour nos enfants une vie normale, comme celle des autres enfants ici, et de devoir toujours vivre dans le retrait et l’isolement social, parce qu’on ne peut pas faire des activités avec d’autres gens, faute d’argent. Aller boire un café entre amies, c’est impossible pour moi. Offrir un tour de manège à mes enfants, un spectacle de marionnettes, un chocolat pendant une promenade au bord du lac, impossible. Tout est impossible. Je n’en ai tout simplement pas les moyens. Ma priorité chaque jour est uniquement de faire en sorte que nous ayons assez à manger.

C’est une lutte sans fin également pour trouver des chaussures et des habits à la bonne taille et de saison. Un jour, j’ai acheté une veste pour mon fils sur internet parce que c’est beaucoup moins cher. À la poste, ils ont refusé de me remettre le paquet, parce que j’avais le « papier blanc », et que ce n’était pas valable. Ils ont renvoyé le colis à l’expéditeur ! J’ai beaucoup pleuré ce jour-là de me sentir comme au rebu. J’ai été humiliée de n’avoir pas d’identité et de n’être personne, et de n’avoir pas même le droit de recevoir une veste pour mon fils par la poste, comme s’il s’agissait d’un crime. J’ai demandé sans cesse et sans cesse à l’EVAM de me procurer un programme d’occupation, même contre une toute petite rémunération, n’importe lequel, pourvu que je puisse faire quelque chose et ramener un peu d’argent à la maison. On me disait toujours « il n’y a pas de place, attendez six mois ». Et ainsi six mois plus tard, et encore six mois plus tard, et encore six mois plus tard… Depuis 8 ans je n’ai eu accès à aucun programme d’occupation, sans doute parce que je suis la femme qui doit rester à la maison s’occuper des enfants ! Mon mari a pu en suivre seulement deux, ce qui n’est pas suffisant pour nous aider vraiment.

Des fois j’ai des idées noires. J’arrive complètement au bout de cette situation. Il m’arrive de penser que je deviens folle, que je vais passer dans une dépression qui va m’aspirer complètement, dont je ne pourrai plus jamais sortir. Je sens comme quelque chose de détruit au fond de moi à force d’avoir dû me battre en vain contre des murs, des barrières et des interdits. Je ne souhaite qu’une seule chose, c’est pouvoir enfin aider mes enfants à grandir bien, dans une vie avec de vraies possibilités et de vraies perspectives. Pour le moment, cela m’est interdit. Je ne peux pas éduquer mes enfants comme il faut, parce que je suis à « l’aide d’urgence », une aide de secours, juste pour survivre. »




Pour citer ou reproduire l’article :
Aide d’urgence : seulement pour survivre, publié sur le site de Droit de rester pour tou∙te∙s, décembre 2017, http://droit-de-rester.blogspot.ch/

lundi 20 novembre 2017

Au centre fédéral, difficile accès aux soins médicaux

Le témoignage de Viviane
16 novembre 2017
Je suis arrivée en Suisse début juin. J’ai expliqué au centre fédéral de Vallorbe les raisons pour lesquelles je ne peux pas retourner en Italie avec mes enfants. Là-bas, où nous avons vécu une année et quelques mois, nous avons été changés de logement 6 ou 7 fois. Une fois, nous vivions dans une maison dans la forêt, loin de tout. Quand mon fils a eu une crise le soir, les secours ne sont venus que le lendemain matin à 9h00. Nous n’avions pas de stabilité et la scolarité des enfants a été très difficile. Les plus grands n’avaient pas accès à une formation et ne savaient pas quoi faire. Je suis malade, mais ils m’ont dit qu’ils n’ont pas la possibilité de m’aider. J’ai des fibromes. Moi-même je ne sais pas ce que c’est. C’est dans le bas-ventre, ça me fait mal, j’ai des vertiges, des vomissements et des saignements. Certains jours, je dois rester alitée, je ne peux pas me lever. En Italie, ils m’ont juste donné du paracétamol, un médicament pour que je ne saigne pas trop et des calmants. La dernière fois que je suis allée, le docteur a demandé à la dame pourquoi elle ne m’emmenait pas directement aux urgences parce que c’était aigu. Elle a dit que comme c’était une décision positive, c’était à moi de me débrouiller et que je ne faisais plus partie du projet d’aide sociale. Après, ils nous ont dit de quitter la maison parce que nous n’avions plus droit à l’aide. Nous n’avions plus rien ni nulle part où dormir. C’est alors que nous sommes venus en Suisse pour demander l’asile. J’ai quitté mon pays en 1996 à cause de la guerre qui sévit toujours. Je suis en déplacement avec mes enfants depuis des années, en Tunisie, en Libye… Mes enfants ne sont pas nés dans leur pays. Mon mari nous a abandonnés.
Au centre fédéral, début juillet j’ai souffert de vertiges et de palpitations. J’ai été conduite chez le médecin qui m’a dit que je porte deux fibromes et que je dois être adressée à un médecin spécialiste. J’avais un rendez-vous le 17 pour discuter de la suite, mais ce rendez-vous a été annulé à cause de mon transfert au centre fédéral des Perreux et mon suivi médical a ainsi été interrompu. Je souffre de saignements et on m’a expliqué que je n’avais accès qu’aux soins en cas d’urgence. J’ai toujours des palpitations. Pendant mon séjour au centre fédéral, je ne connaissais pas le diagnostic exact de ma maladie ni les traitements médicaux à suivre. Finalement, j’avais un rendez-vous pour être opérée mi-octobre, mais cela a été annulé de nouveau à cause de mon transfert dans un autre centre.
C’est après mon arrivée dans le canton que le diagnostic a été posé. Je dois être opérée bientôt, en décembre. Dans l’intervalle, le SEM a rendu une décision de renvoi en Italie pour toute la famille. Il est seulement écrit dans la décision « qu’aucun rapport médical n’a été versé dans le délai imparti », parce que le rapport a été envoyé avec un peu de retard. Le SEM dit encore qu’il n’existe pas d’obligation de l’Italie de fournir une aide sociale aux familles ! Comme si ce n’était pas important que je me retrouve à la rue avec mes trois enfants mineurs. Le SEM dit aussi que rien n’indique que nous aurions accompli des démarches auprès des autorités italiennes pour obtenir un logement. Ils n’ont pas écouté ce que j’ai expliqué, que ce sont les autorités italiennes elles-mêmes qui nous ont subitement demandé de quitter le logement et de nous débrouiller par nous-mêmes. Je ne peux pas retourner en Italie. Il est impossible pour moi de vivre dans la rue, seule avec mes enfants.


jeudi 26 octobre 2017

Pour le droit à l'accès à l'emploi pour toutes et tous!

Indigné par la situation des nombreuses personnes forcées à l’inactivité malgré une formation et des possibilités d’emploi qui leur permettraient de contribuer activement à la société, le collectif Droit de rester lance aujourd’hui une pétition cantonale pour réclamer le droit à l’accès à l’emploi pour tou·te·s.
Dans le canton de Vaud, plus de 800 personnes déboutées de l’asile vivent sans avoir le droit de se former ou de travailler. Nombre d’entre elles habitent pourtant ici depuis des années. Le droit au travail, comme à la formation, est un droit fondamental.
La situation des jeunes est particulièrement dramatique. Arrivé·e·s en Suisse souvent mineur·e·s, ils et elles ont fait l’école obligatoire dans le canton, avant de commencer un apprentissage, et de le terminer lorsqu’il n’est pas interrompu par la fin d’une procédure d’asile. Malgré leur formation, ces jeunes se retrouvent ensuite sans activité, condamné·e·s à une assistance minimale alors qu’ils et elles ont des compétences reconnues qui pourraient profiter à tout le monde.
Il en va ainsi par exemple de M.A.K., d’origine ivoirienne, qui a obtenu un CFC en soins communautaires, avant de recevoir une interdiction de travail. Habitant Lausanne depuis 7 ans, M.A.K explique : « Je me sens inutile, on m’assujettit en me condamnant au rang d’assisté au strict minimum vital, dans l’anonymat total, désoeuvré avec l’interdiction de travailler malgré ma bonne volonté et ma promesse d’engagement. Psychiquement ce système est dégradant et inhumain. »

Le collectif Droit de rester dénonce depuis plusieurs années les conditions de (sur)vie faites aux personnes qui dépendent de l’aide d’urgence, alors même que la plupart du temps leur renvoi n’est tout simplement pas possible. Les maintenir dans un système qui leur interdit de travailler est une aberration.
Le collectif lance aujourd’hui une pétition demandant au canton d’octroyer des permis de travail aux personnes qui vivent ici et en soutenant leurs demandes de régularisation auprès du SEM à Berne. Cette mesure favoriserait grandement l’équilibre psychique des personnes concernées et le vivre ensemble dont nous avons tou·te·s besoin.

La pétition est d’ores et déjà soutenue par le syndicat SUD, les jeunes POP Vaud, la coordination Asile du Chablais, SolidaritéS, Droit de rester Neuchâtel, et plusieurs personnalités politiques, dont le municipal David Payot, les député·e·s Léonore Porchet et Raphael Mahaim, l’ancienne conseillère nationale Anne-Catherine Ménétrey-Savary.

Téléchargez la pétition, à renvoyer au plus vite à Droit de rester, Coordination Asile, Case postale 5744, 1002 Lausanne
Téléchargez l'argumentaire

Pourquoi? lisez les témoignages des personnes concernées!

Et qu'en dit les autorités cantonales? Lisez notre échange!

jeudi 13 juillet 2017

Au centre fédéral, un accès difficile aux soins médicaux


13 juillet 2017    Pour déposer une demande d’asile, les gens nouvellement arrivés en Suisse doivent se rendre dans un centre fédéral où ils séjourneront trois mois ou plus, jusqu’à ce que le SEM les transfère à un canton.

Beaucoup ont fui dans des conditions brutales, ont survécu à un voyage éprouvant et enduré toutes sortes de violences. Un certain nombre arrivent dans un état d’épuisement physique et psychique nécessitant une prise en charge. 

Or, au centre fédéral, l’accès aux soins médicaux est si restrictif qu’il confine parfois au déni d’accès. 

Il n’est pas rare par exemple qu’un rendez-vous fixé par un médecin soit annulé parce que l’autorité du centre ne l’estime pas nécessaire ou que les transports à l’hôpital dérangent son organisation. 

Ainsi par exemple, une dame a fui son pays après avoir subi des menaces de mort. Elle est avec son fils de moins de 5 ans. Elle est manifestement très angoissée. Elle se plaint de maux de tête et de moments d’absence. Elle ne sait plus où elle est, ou bien elle ne comprend pas ce qu’on lui dit parce qu’elle n’arrive pas à fixer son attention. Elle ne se souvient pas où elle met les choses et passe du temps à les chercher. Quand elle est dans une pièce, elle a l’impression que quelqu’un vient l’attaquer dans son dos et elle se retourne en sursaut. Elle prend des antidépresseurs et des somnifères qu’elle a ramenés de son pays. Ces médicaments créent une importante fatigue et appellent donc le bénéfice d’un espace de repos et de sécurité. En outre, ils nécessitent un suivi médical et d’être accompagnés d’une thérapie de soutien basée sur des entretiens individuels. 

Une nuit, elle a eu de fortes douleurs dans les reins et des vomissements. Elle a été conduite à l’hôpital en urgence. Elle avait rendez-vous quelques jours plus tard pour la transmission des résultats, mais ce rendez-vous a été annulé en raison de son transfert dans un autre centre fédéral. Aucun autre rendez-vous ne lui a été proposé et elle est restée dans l’incertitude sur les résultats. Elle n’a pas pu entendre l’avis ni les conseils du médecin ni poser ses questions sur le traitement ou les suites à donner. 

L’enfant ne va pas bien non plus. Il se réveille la nuit en criant et il souffre de maux de tête. Il n’a pas été adressé à un médecin. On a dit à la mère d’attendre le transfert. 

Madame aura passé avec son enfant trois mois au centre fédéral sans accès aux soins psychiatriques ni pédiatriques. A son arrivée dans le canton, sa situation est jugée prioritaire et de multiples rendez-vous dans différentes disciplines lui sont fixés.

Dans un autre cas, il s’agit d’un couple de personnes assez âgées, qui se déplacent difficilement. Monsieur a été adressé quatre fois à l’hôpital à cause d’un diabète insulino-dépendant. Il souffre de cailloux de calcaire dans le foie, ce qui est très douloureux, d’une hernie discale, d’une baisse de la vue et de douleurs dans les pieds, à cause du diabète. Il présente un surpoids avec une respiration lourde et il se plaint de maux d’estomac. Ici encore, le rendez-vous donné au patient pour la transmission des résultats d’analyse a été annulé. L’autorité du centre estimait qu’elle possédait suffisamment d’informations pour la remise des médicaments, et que de plus amples explications n’étaient pas nécessaires.

Madame souffre de différents maux également, notamment du dos et de fatigue, des suites d’un accident.

Le couple a passé trois mois au centre fédéral malgré leurs maladies et leur âge. 

Les médecins souvent ne se représentent pas bien la situation des gens. Ils ne savent pas qu’ils séjournent dans un centre fédéral et sont soumis à des restrictions de sortie ou d’accès aux soins. Une fois, à la suite d’une consultation en urgence, l’hôpital a invité la mère, qui ne parle pas un mot de français, à prendre un rendez-vous pour un suivi et lui a simplement remis une liste de pédiatres sur le canton. Or, la mère ne peut pas prendre un tel rendez-vous de manière autonome. Elle doit recevoir l’assentiment des autorités du centre et aucun rendez-vous n’a été pris.

Le plus difficile encore est l’absence d’information. Les gens ne possèdent aucun document expliquant leur situation, ni les consultations qu’ils ont eues, ni où ni avec qui, aucun diagnostique, et les résultats des analyses ne leur sont pas communiquées. Les éventuels documents médicaux les concernant sont transmis par les médecins au centre qui refuse d’en délivrer une copie aux intéressés. Ils sont privés de l’accès à leurs données médicales et ils ne possèdent aucun support pour comprendre leurs problèmes. 

Ce vide les laisse dans un sentiment de détresse parce qu’ils ne parviennent pas à s’approprier les informations sur leur propre santé. Ils demeurent avec une impression de n’avoir pas été compris ni correctement investigué, ou que le médecin n’a pas saisi exactement de quels maux ils se plaignent. Ils n’étaient pas assistés d’un interprète lors de la consultation, ils rencontraient un médecin en Suisse pour la première fois dans un système médical nouveau pour eux, ce qui contribue à alimenter leurs incertitudes.

Les gens qui séjournent dans les centres fédéraux ont besoin d’un document écrit qu’ils peuvent montrer à d’autres pour se le faire expliquer et ré-expliquer, avec l’aide de quelqu’un pour traduire le cas échéant. Un simple résumé de la situation du point de vue médical, remis en mains propres au patient, leur permettrait d’être quelque peu rassurés sur le suivi médical. 

Dans un autre cas, l’intéressé a reçu une décision de renvoi vers l’Allemagne. A l’occasion du recours, il devait expliquer sans aucun certificat médical ni aucun autre document qu’il venait d’être diagnostiqué d’un cancer du foie, d’une hépatite B et C active, et d’autres problèmes. Il montrait son ventre, mais il ne savait pas comment expliquer au juste. Ce manque de précisions empêche d’organiser une défense sérieuse des droits des gens contre une décision du SEM prise à la va-vite, où les situations individuelles même les plus graves sont ignorées. L’autorité s’appuie sur des arguments-type, par exemple que les soins médicaux existent aussi en Allemagne, et ne prend pas même la peine de s’informer du diagnostique ou des traitements à suivre. 

Les centres fédéraux sont des lieux de gestion collective des demandes d’asile et de l’hébergement des demandeurs. Tant le traitement du dossier que l’accueil sanitaire et social trahissent un manque de respect des gens, une absence de compassion et, dans les situations vulnérables, contribuent à une aggravation de l’état de santé des demandeurs d’asile.  


Pour reproduire ou citer cet article :
Au centre fédéral, un accès difficile aux soins médicaux, publié sur le site de Droit de rester pour tou∙te∙s, juillet 2017, http://droit-de-rester.blogspot.ch/

mercredi 5 juillet 2017

Urgent Help

Ce matin, une vingtaine de personnes à l’aide d’urgence se sont rendues au siège de l’EVAM (Etablissement vaudois d’accueil des migrant-e-s) pour alerter le directeur Erich Dürst de leurs conditions de vie. Coalisées sous le nom Urgent Help, elles attendent désormais une réponse de l’EVAM et du Conseil d’État.
Dans le canton de Vaud, près de 800 personnes vivent soumises à l’aide d’urgence, qui frappe celles qui se sont vu refuser l’asile ou qui ont déposé une demande d’asile après un premier refus. Ce régime ne leur permet ni de travailler, ni de se former, et les contraint à une dépendance totale de l’État. Destiné à soutenir les réfugié·e·s sur un temps très court, d’urgence, cette « aide » dure pour certain·e·s depuis des années. Célibataires ou familles avec enfants sont touchés et voient toutes perspectives d’intégration et d’avenir réduites à néant.
La plupart du temps, ces personnes restent dans le canton plusieurs années car leur renvoi est inexigible ou matériellement impossible. Pendant ces années, elles survivent avec une aide minimale, alors qu’elles aimeraient travailler, apprendre le français le cas échéant, en bref s’intégrer. L’État leur rend la vie impossible en espérant qu’elles repartiront d’elles-mêmes.
L’EVAM, au lieu de les soutenir dans ce processus, applique des règles extrêmement dures : promiscuité dans les logements, accès difficile aux programmes d’occupation, nourriture fade et répétitive. L’État de Vaud refuse quant à lui de défendre cette partie de la population, alors qu’il serait à son honneur d’accorder à ces personnes souvent formées et motivées le droit de travailler par exemple.

Ce n’est pas la première fois que des « bénéficiaires » de l’aide d’urgence se coalisent pour dénoncer leurs conditions de vie. En 2014, les habitant·e·s de plusieurs abris PC s’étaient insurgés contre leus conditions de vie. Mais les réponses de l’EVAM comme celles du Conseil d’Etat n’ont jamais été à la hauteur du courage des débouté·e·s. Le collectif Droit de rester, qui soutient cette lutte, attend cette fois des réponses.

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Nous sommes des bénéficiaires de l'Aide d'Urgence.  Nous sommes des requérant-e-s d'asile qui avons fui les persécutions de régimes dictatoriaux, la misère et la guerre. Pour des raisons souvent incompréhensibles, la Suisse a rejeté nos demandes d'asile. Comme il nous est impossible de retourner dans nos pays, nous vivons en Suisse, plusieurs d'entre nous, depuis plus de 10 ans, malgré les menaces de renvoi.
Il nous est interdit de travailler, ce qui nous prive de toute possibilité d'autonomie et nous oblige à vivre  à la charge de la société.
Que nous soyons célibataires ou en famille avec enfants, nous sommes tous hébergé-e-s  par l’EVAM  dans des foyers collectifs où nous souffrons du bruit permanent et du manque d'intimité. Nous sommes contraints de cohabiter avec des personnes dont la situation de grande précarité et les difficultés d’accès aux soins médicaux, notamment psychiatriques, rendent parfois violentes. Les caméras de surveillance et les agents de sécurité omniprésents ne nous protègent pas, mais contribuent à faire monter les tensions.
Nous ne recevons aucune aide financière, mais uniquement une aide en nature.
L'EVAM nous oblige à quitter nos logements ou nous transfert abruptement et à de multiples reprises. De ce fait, après avoir fui nos pays, nos enfants subissent à nouveau  des déracinements qui nuisent à leur développement. Ils ne savent pas quel sera leur avenir et craignent que la police vienne nous chercher. Nous ne voulons pas que nos enfants vivent dans la peur et l’isolement, ils ont les mêmes droits que tous les enfants du monde ! Notre logement  est souvent limité à une place en abri-PC ou au Sleep-in, où il est obligatoire de sortir dehors tous les jours avec  ses affaires sur le dos, les places étant attribuées journellement. Certains  d'entre nous y sont depuis plusieurs années.
Plusieurs d'entre nous ont déposé une nouvelle demande d'asile que la Suisse examine, mais sont toujours soumis-e-s au régime de l'Aide d'Urgence et  à l'interdiction de travail. Ces situations sont particulièrement  dramatiques, car ces requérant-e-s  séjournent  légalement en Suisse, mais sont grandement limité-e-s dans leur intégration.
Nous sommes à l'aide d'urgence depuis parfois plusieurs années. Nous ne quitterons pas la Suisse, nos vies en dépendent. Nous souhaitons nous intégrer dans la société qui nous accueille et nous protège. Nous prions l'EVAM et le Conseil d'État vaudois de nous donner les moyens de vivre dignement et de nous rendre utiles à la communauté
Nous demandons :
- Que le canton de Vaud prenne fermement position en faveur de l'abrogation de l'interdiction de travail pour les bénéficiaires de l'aide d'urgence.
- Que l'EVAM et le canton de Vaud nous donnent l'accès aux programmes d'activité et d'occupation, quelle que soit la durée de notre séjour en Suisse, ainsi qu'aux formations organisées  par l'EVAM, principalement les cours de français. L’aide à la participation aux associations sportives et culturelles doit aussi être allouée aux personnes à l’aide d’urgence, surtout les enfants. Nous demandons également une augmentation des indemnités des travaux que nous réalisons parfois pour l'EVAM : 3.75 Frs de l'heure ne suffisent pas !
- Que l'EVAM et le canton de Vaud facilitent l'accès aux formations, stages et apprentissages.
- Des logements décents qui garantissent notre droit fondamental à l'intimité et  à la vie privée. En particulier nous demandons le changement de fonctionnement immédiat du Sleepin de Morges. Il est inacceptable que certains d'entre nous soient obligés de passer toute la journée dehors avec leur affaires. Nous avons besoin d'armoires pour garder nos affaires et d'un lieu pour se reposer la journée !
- De recevoir une partie de notre aide pour la nourriture en cash ou au moins sous forme de bons Migros : Les épiceries n'offrent  pas assez de diversité, surtout pour ceux et celles qui sont malades et doivent suivre un régime adapté.
- Des places de jeux et de sport pour les enfants, des locaux à vélo,  autour des foyers d'Aide d'Urgence. Le foyer d'Ecublens en particulier est situé en dans une zone industrielle proche de l'autoroute et n'offre aucune activité à proximité.
- La possibilité de se déplacer en transport public. Nous avons besoin des mêmes prestations de transport que celles qui sont données aux permis N et F.
- Que le canton nous délivre une pièce de légitimation qui nous permette, entre autres, de retirer  à la poste les courriers recommandés et les colis.
-Qu'une attention particulière soit portée aux requérant-e-s d'asile ayant déposé une nouvelle demande moins de 5 ans après le dernier refus et qui sont soumis au régime de l'aide d'urgence bien qu'ils séjournent légalement en Suisse.