22 mai 2018
L’EVAM est une institution
étatique répressive dont le but politique est le contrôle et la gestion des
populations migrantes indésirables qui lui sont attribuées comme «bénéficiaires»
de «prestations d’aide». La délivrance de cette aide aux personnes dans le
besoin est organisée de manière à entraver l’exercice de leurs libertés
individuelles, à les priver d’autonomie personnelle et à restreindre leurs
contacts sociaux pour les empêcher de s’intégrer. Les «bénéficiaires» sont
confrontés à une absence de perspectives d’avenir. On attend d’eux qu’ils
quittent spontanément la Suisse par épuisement moral du fait des conditions de
vie insupportables spécialement aménagées pour eux.
Avec les années, l’aide d’urgence telle que délivrée par
l’EVAM est devenue un mécanisme d’intervention étatique contre les libertés et
la sphère privée des «bénéficiaires» parfaitement abouti, en ce sens qu’il
n’existe aucune échappatoire aux pressions exercées, ni juridique, ni sociale,
ni économique, ni par aucun moyen.
De très nombreuses familles sont victimes de ces mesures et
vivent dans des conditions éprouvantes, éreintantes et déstructurantes, parfois
sur le très long terme.
Voici par exemple un couple parent de quatre enfants en bas
âge, âgés respectivement de 3 ans, 2 ans, et deux jumeaux de 6 mois, ce qui
représente des charges de famille exceptionnelles.
La situation est aggravée par l’état de santé de la mère,
âgée de 24 ans, qui est partiellement paralysée du côté gauche. Quoiqu’elle
marche, elle ne peut pas aller loin, notamment elle ne peut pas se rendre jusqu’au
métro. Elle doit être conduite à ses rendez-vous médicaux en taxi. Elle a subi
des viols collectifs en situation de séquestration lors de la traversée de la Libye.
Ces violences ont nécessairement profondément affecté sa capacité à affronter
les difficultés, son intégrité, sa dignité et son désir de vivre. Elle se
trouve dans un état psychique d’intense détresse.
Elle ne peut pas emmener ses enfants à l’extérieur ni faire le
ménage ou la cuisine. C’est son mari qui assume toutes les tâches domestiques,
y compris la préparation des repas ou la douche des enfants. Lors de ses
rendez-vous au SPOP ou à l’EVAM, il ne peut pas laisser les enfants à son
épouse et il doit les emmener les quatre. C’est lui qui sort et promène les
enfants pendant la journée.
Cette situation difficile en soi est considérablement
compliquée par les conditions d’octroi de l’aide d’urgence que l’EVAM leur
impose.
Toute la famille est logée dans une seule pièce de taille
médiocre. L’espace au sol est encombré par les meubles de rangement, une table
et les lits pour quatre enfants et deux adultes. Les murs et les sols sont
défraîchis ou usés, la fenêtre est grillagée. L’ensemble est triste, moche,
incommode et inadapté aux besoins de la famille.
La pièce se trouve dans un centre collectif de sorte que la
famille partage avec d’autres les douches, l’unique toilette et la cuisine
contenant une cuisinière à quatre plaques et un four. Comme toujours dans ces
centres, la cuisine est très mal équipée. Il ne s’y trouve notamment pas de
table pour poser ses affaires ou préparer les repas, et les jeunes enfants qui
accompagnent leurs parents sont assis par terre sur le carrelage.
La famille ne peut pas laisser ses casseroles, assiettes,
linges, paquets de nourriture ni aucune de ses affaires, ni dans la cuisine, ni
dans la salle de bains où il n’y a pas d’espace de rangement réservé. Il faut
chaque jour et pour chaque repas ou douche préparer tout le matériel et le
transporter dans l’espace commun puis le ramener dans la chambre. Il faut de l’endurance
pour cuisiner quotidiennement dans ces conditions, et se disputer les plaques
chauffantes avec les autres familles aux heures habituelles de préparation des
repas.
La chambre, défraîchie et encombrée, où la famille vit dans
la promiscuité, est désordonnée. Toutes les affaires doivent y être entreposées
dans des placards qui ne contiennent pas suffisamment d’étagères, sous les
lits, au-dessus des placards, dans des caisses contre le mur, sous la table,
partout où un peu d’espace est disponible. Cette surcharge épuise moralement.
Il n’y a pas de place de jeux pour les enfants à proximité
du centre de l’EVAM qui ne donne pas de titre de transport. Les enfants
auraient besoin d’aller dans un parc ou même de se promener au bord du lac pour
se dépenser, prendre l’air, échapper à l’enfermement. Mais se rendre en
promenade sans moyens de transport est une complication. Non seulement le père
est seul pour accompagner les quatre enfants, mais il ne peut pas prendre le
bus et se retrouve à marcher dans les rues urbaines autour du centre ou à marcher
un temps long pour emmener les enfants dans un autre quartier et accéder à un
parc.
La privation des moyens économiques et des moyens de
transport est l’une des stratégies d’isolement social des familles qui entraîne
leur épuisement, en les contraignant à occuper leurs journées aux tâches liées
à la survie.
L’EVAM ne délivre aucun argent de poche. Les aliments sont à
prendre au guichet au rez-de-chaussée du centre, sur commande une ou deux
heures avant, chaque jour, d’après une liste à cocher remise à la famille.
Les enfants n’aiment pas le lait en poudre distribué par
l’EVAM et les parents n’ont d’argent pour en acheter un autre. Ils ressentent
durement et comme une humiliation l’impossibilité de faire des achats autonomes
pour faire plaisir à leurs enfants et comme moyen de créer des liens ou d’avoir
des activités avec eux. La famille n’a aucune disponibilité en espèces et ne
peut pas même leur offrir une glace un après-midi de beau temps par exemple.
La famille se trouve dans un état de survie au jour le jour.
Les conditions dans lesquelles elle reçoit une aide restrictive, éprouvantes en
elles-mêmes, ajoutent à la pénibilité d’une situation familiale lourde.
La situation de crise, due à la précarité, à l’exclusion et au
surmenage est voulue. C’est une conséquence directe de la façon dont l’EVAM
distribue la nourriture, prive de moyens de transport et d’argent, et assigne
une place d’hébergement insuffisante, mal équipée et inadaptée aux besoins
d’espace, de repos et de sphère privée de la famille.
Ces conditions affectent la santé de tous. Les parents sont
épuisés et en détresse. Les enfants ne grandissent pas dans un cadre sécurisant.
Leurs parents manquent de disponibilité en raison des difficultés
d’organisation quotidiennes qui absorbent leur temps et leur résistance. La toilette,
la cuisine, les promenades ne sont pas des tâches normales pour eux, mais un
parcours d’endurance.
Ces conditions sont discriminatoires
et portent atteinte à la dignité même des personnes soumises à la distribution
d’aide par l’EVAM. La Cour rappelle, dans un arrêt à propos de difficultés de
mobilité rencontrée par une personne handicapée, que cette dernière a le droit
de recevoir le soutien de la communauté pour lui permettre, autant que
possible, de vivre de façon indépendante
et autonome, ce qui est un besoin fondamental
de l’être humain, le sens de toute liberté. (Enver Şahin c. Turquie, n° 23065/12, 30 janvier 2018, § 70
et 72)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire