Lettre adressée à : Commandement des gardes-frontières, Régions V, Avenue Tissot 8, 1006 Lausanne
Lausanne, le 17 février 2020
Plainte suite à l’intervention de vos services le 07.12.2019 en gare de
Lausanne
Madame, Monsieur,
En date du 07.12.2019, M. V.G.
et son fils G, né le 12.11.2008, ont été interpelés par vos agents
gardes-frontières en gare de Lausanne aux environs de 13h00. Durant toute
l’intervention, qui a conduit à la notification d’une interdiction d’entrée,
vos agents ont obligé G., un enfant de moins de douze ans, à effectuer la
traduction. Cela constitue une violation des droits de M. V.G, dont celui
d’être entendu et un grave manquement à votre devoir de protection des
mineur-e-s, dévolu à toute administration.
M. V.G et son fils ont quitté
la Géorgie il y a moins de deux ans après le décès de la mère de G. Gravement
atteint dans sa santé M. V.G a besoin de soins et ne pouvait travailler pour
assurer sa subsistance ni celle de son enfant. Le système de santé géorgien est
déficient et il n’y existe pas d’aide sociale. Pour des raisons qui nous
échappent, la Suisse a rejeté leur demande d’asile.
La situation de la famille
est connue des autorités vaudoises qui lui octroie l’« aide
d’urgence » (nourriture, hébergement et soins médicaux). G. est également
scolarisé comme tous les enfants de son âge. Il excelle à l’école et apprend le
français à une vitesse impressionnante.
En lui imposant le rôle de
traducteur, vos agents ont profité des compétences de G. pour
l’instrumentaliser dans une procédure à l’encontre de son père. Cela est d’autant
plus inacceptable que G. serait également concerné au premier chef en cas
d’expulsion forcée du territoire. Une telle pression émotionnelle peut avoir
des conséquences dramatiques sur la santé psychique d’un enfant.
Tous les mineur-e-s qui séjournent
sans statut légal en Suisse avec leur(s) parent(s) subissent déjà au quotidien
le harcèlement administratif et la peur d’être renvoyé-e-s de force. Toutes et
tous sont atteint-e-s à des degrés divers dans leur santé psychique et
physique. Les dommages sont démultipliés lorsqu’elles et ils sont utilisé-e-s
contre leur gré pour servir d’intermédiaire avec les autorités.
Vos agents n’ont pas demandé
à G. s’il était d’accord de traduire. Et quand bien même : un enfant de moins
de douze ans est par définition incapable de donner un consentement éclairé
dans un tel contexte. La traduction effectuée n’a aucune valeur.
Vos agents ne se sont pas
interrogés un instant sur les conséquences pour G. de ce qu’il allait dire et
entendre au cours de cette intervention ni de ce qu’il pouvait en comprendre.
Ils n’ont eu de considération ni pour son bien-être ni pour le respect de ses
droits selon le concept d’« intérêt supérieur de l’enfant »[1].
Vos agents ont abusé de leur
autorité sur un enfant, bien trop jeune pour se défendre, aussi intelligent soit-il.
L’intervention du 07.12.2019
s’est faite au mépris des droits fondamentaux de l’enfant. Au-delà de la
question de la protection de nos
frontières, semble-t-il menacées par un
veuf et son jeune fils qui rentraient tranquillement chez eux, cela en valait-il la peine ?
Nous pensons que non. Un
recours a été interjeté et nous sommes persuadés que la justice invalidera
votre décision pour vice de forme. Mais ce triste épisode n’est malheureusement
qu’un nouvel exemple des abus de pouvoir de vos services en gare de Lausanne.
Vos agents semblent considérer la gare comme leur territoire de chasse et y
harceler tout ce qu’ils considèrent comme « étranger »,
particulièrement les personnes qui bénéficient de l’« aide
d’urgence » délivrée par les autorités vaudoises.
Nous exigeons de votre part
des mesures immédiates pour que pareille situation ne se reproduise plus, en
particulier :
- Que les agents responsables de l’intervention du 07.12.2019 soient sanctionnés.
- Des excuses publiques
envers M. V.G. et son fils
- La garantie
de votre part de ne pas utiliser de mineur à fin de traduction
- La garantie
de votre part que les bénéficiaires de l’« aide d’urgence », connus
des autorités vaudoises responsables de l’exécution des renvois le cas échéant,
puissent circuler librement en gare de Lausanne.
Nous vous adressons Madame,
Monsieur, nos salutations distinguées.
Le
Collectif Droit de Rester
[1] Le concept d’«intérêt supérieur de l’enfant» vise à assurer la jouissance
effective de tous les droits reconnus dans la convention ainsi que le
développement global de l’enfant, que ce soit sur le plan physique, mental,
spirituel, moral, psychologique ou social. Ce concept doit être pris en compte
lors de l’adoption de toute mesure pouvant avoir un impact sur les enfants,
dans le cadre de décisions prises par les autorités ou les instances
judiciaires sur des cas individuels, ainsi que dans l’élaboration de lois,
politiques, stratégies, programmes, budgets, etc. Source : https://www.humanrights.ch/fr/droits-humains-internationaux/nouvelles/divers-organes-de-lonu/comite-droits-de-lenfant-precise-concept-dinteret-superieur-de-lenfant (11.02.2020)