Face à cette crise sanitaire les conditions de vie des personnes sans permis de séjour sont chaque jour plus précaires. Pour éviter la
propagation du virus COVID19, la Suisse
a décrété le 13 mars le « semi- confinement », avec des mesures de prévention
strictes comme la fermeture des écoles, des commerces, l’arrêt de travail
immédiat des entreprises et des fonctionnaires de l’Etat, à l’exception du
travail dit aujourd’hui indispensable (caissières, infirmières, ramassage des
ordures, etc., soit ces emplois qui maintiennent le pays en état de marche).
Pendant ce temps, nous les femmes sans papiers, en majorité travailleuses de
l’économie domestique (ménage, garde d’enfants, soins aux personnes âgées,
etc.), nous retrouvons à travailler pendant
cette crise dans des foyers qui appliquent les mesures de confinement
pour leur propre sécurité, pendant que nous risquons notre vie et celle de nos
familles en devenant des vecteurs de contagion. Certaines d’entre nous se
retrouvent aussi sans travail, licenciées par nos employeurs de manière
arbitraire et sans préavis, et sans prise en compte de la relation de travail
qui existait jusqu’alors. Notre travail, indispensable pour certaines familles
mais déconsidéré par la société dans son ensemble, se fait souvent sans
contrat, et même quand il y en a un, nous ne pouvons pas faire valoir nos
droits au travail en raison de notre condition. Pendant cette crise, les travailleurs en Suisse vont recevoir leur salaire, pouvoir
faire face aux coûts de cet
arrêt de travail ou bénéficier des aides sociales que fournit
l’Etat. Nous, nous dépendons de la
« bonne volonté » de nos employeurs pour toucher
notre salaire, ou du moins une partie de celui-ci,
ou alors rien… et il ne nous reste qu’à accepter la charité face à
cette absence de justice.
Nous les femmes sans papiers sommes cheffes de familles,
souvent le seul soutien sur lequel nos familles peuvent compter. La
précarisation de notre travail s’aggrave avec cette crise, notre situation
économique en est affectée, il devient difficile d’assurer l’alimentation et
les loisirs de nos enfants, nous risquons de nous endetter ou de tomber aux
poursuites pour non-paiement des factures de services des base, des primes d’assurance maladie, de loyer, et de perdre par conséquent la possibilité
d’obtenir un jour un permis de séjour. Parce que bien que nous participions
activement à la société suisse et y contribuions non seulement économiquement
par notre travail, mais également à travers l’aide que nous offrons aux
familles et en particulier aux femmes dans leurs foyers, nous sommes invisibles
pour l’Etat et pour les citoyens.
Mais la privation de nos droits affecte aujourd’hui non
seulement nous-mêmes et nos familles, mais aussi l’ensemble de la population
suisse. Nous sommes en train de devenir des sources de contagion. Les déplacements quotidiens, nécessaires pour exercer notre travail, et l’exercice même de ce dernier
nous exposent à tous et mettent en évidence l’absence de protection sanitaire
avec laquelle nous vivons au quotidien, parce que l’accès à la santé et aux
informations de prévention sont limités. Pendant cette crise sanitaire mondiale
on nous a dit que nous devions nous attendre à la mort des personnes les plus
âgées, de celles qui souffraient déjà d’autres pathologies, de celles qui sont
malades, de celle qui sont le plus vulnérables. Ce qu’on ne nous a pas dit,
c’est que ces personnes les plus vulnérables ce sont nous, les personnes les
plus pauvres, les personnes âgées les plus pauvres, les pauvres qui souffraient
déjà d’autres pathologies, les pauvres qui étaient déjà malades.
La Suisse, pays de défense des droits humains, ne peut
se permettre de risquer la vie et les moyens de subsistance des plus
vulnérables. Nous lançons un appel aux associations, syndicats, ONGs, institutions,
collectifs citoyens, et à tous ceux qui défendent les droits humains pour
qu’ils se
prononcent
contre l’injustice à laquelle nous, travailleuses sans papiers et nos familles,
sommes
soumises. Nous
vous appelons à soutenir nos revendications, listées ci-dessous :
-
Révision et assouplissement des
critères de régularisation pendant cette crise sanitaire mondiale.
-
Arrêt de la criminalisation des
personnes sans permis de séjour.
-
Respect des droits humains et fondamentaux.
-
Respect et application des
droits des enfants.
-
Obligation pour les employeurs de verser intégralement le salaire prévu avant le confinement
et pendant toute la durée de la crise.
-
Arrêt de la criminalisation et
dépénalisation des personnes qui se montrent solidaires et apportent leur aide
aux personnes sans permis de séjour.
-
Droit au subside cantonal
d’assurance maladie pour les adultes sans statut légal et accès aux soins garanti.
Où sont les valeurs d’un pays qui criminalise et punit la solidarité
? Nous les invisibles, les oubliées, les clandestines, les travailleuses, les
sans-droits, remercions toutes les personnes qui, sachant les risques, nous
soutiennent et nous aident en ces temps de crise. Parce que pendant que chaque
soir à 21h, la population applaudit et remercie tous les travailleurs et
travailleuses que jusqu’alors elle ne regardait même pas dans les yeux pour
dire bonjour, nous nous continuons de penser à comment payer les factures,
comment nous occuper de nos enfants, et comment survivre de jour en jour en
pleine incertitude.
Genève, avril
2020 (traduit de l’espagnol par le CCSI)
* Collectif de femmes sans-papiers de Genève
Nous
sommes un groupe de femmes de pays du tiers-monde, résidentes sans statut légal
en Suisse, travailleuses, mères et cheffes de famille. Le Collectif s’est formé
à l’occasion de la Grève des femmes de juin 2019, dans l’idée de créer un
réseau de soutien entre nous et de chercher à revendiquer nos droits
quasi-inexistants, avec l’appui du Centre de contact Suisses-Immigrés (CCSI).
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