26.10.2020
Abdoul Mariga est décédé
à l’hôpital de Conakry ce 17 octobre, probablement des suites d’une
hépatite B.
Ce jeune homme âgé
de 30 ans avait été renvoyé de Suisse par la contrainte le 6 novembre
2019, alors qu’il séjournait en Suisse depuis 10 ans, occupait un emploi au
CHUV comme cuisinier, et avait à son actif un parcours d’intégration fulgurant
et exemplaire. D’un coup l’exécution du renvoi a laissé son entourage dans le
désarroi, a mis fin à tous ses projets de vie, et l’a mis en situation de
danger pour sa sécurité et sa santé qui a conduit à sa mort.
Abdoul était arrivé
à l’âge de 19 ans en Suisse. Malgré une décision négative et de renvoi, il est
parvenu à rapidement apprendre le français, puis il a suivi une AFP (Attestation fédérale de formation professionnelle) pendant deux ans, qu’il a terminée avec
succès. Il a ensuite été engagé comme apprenti au CHUV pour un CFC de cuisinier. Il a obtenu son
Certificat et a été engagé de manière fixe. Son employeur le décrit comme un
jeune homme exigeant, soigneux, respectueux, de très bonne sociabilité,
apprécié de son entourage et investi dans son travail, « un collaborateur sur
qui nous pouvons pleinement compter ».
D’après d’autres
témoignages de ses proches et des personnes qui l’ont accompagné dans son
parcours, Abdoul était persévérant, déterminé dans ses apprentissages et il a
montré beaucoup de courage pour mener à bien sa formation professionnelle. Son
intégration était considérée comme « remarquable », « exemplaire » et « exceptionnelle ».
Les autorités ont
ignoré ce parcours méritoire et tous les efforts que le jeune avait accomplis
pour construire, de sa propre volonté, une existence viable. Il n’avait aucune
famille ici et ne pouvait compter que sur lui-même dans un premier temps, puis
sur les personnes avec qui il avait créé des liens. Les autorités ont également
ignoré l’avis et l’investissement de tous ceux qui le connaissaient
personnellement et avaient exprimé leur attachement ou leur sympathie.
L’exécution du
renvoi avait déjà laissé un grand vide et un sentiment d’injustice. Ce jeune
n’avait rien à se reprocher et il avait trouvé sa place. Il n’y avait aucune
raison de le renvoyer en Guinée.
Là-bas, il n’avait
plus de famille. Il s’est retrouvé seul à Conakry sans logement et rapidement
désargenté. Il a survécu sur place grâce à son dernier salaire du CHUV puis
grâce à l’aide privée d’amis avec qui il était resté en contact. Ses conditions
de vie étaient très difficiles et il n’a pas pu avoir accès aux soins médicaux.
Il a été hospitalisé alors qu’il se trouvait au plus mal et est décédé quelques
jours plus tard, seul, sans l’accompagnement d’aucun proche.
Cette terrible
nouvelle nous laisse dans l’incompréhension et la colère, ainsi qu’une grande
tristesse. Voici quelques mots d’Abdoul qui expliquait sa situation là-bas, et
sa détresse :
« Ma santé ne va
pas bien. Mes bras et mes jambes s’endorment. Ça a commencé pendant ma
détention [en Suisse, avant l’exécution du renvoi] et maintenant c’est
de plus en plus fréquent. J’ai des vertiges et parfois je perds l’équilibre et
je tombe.
J’ai été à
l’hôpital au début, mais je n’ai plus accès, faute d'argent. J’ai pris un
traitement quelque temps, mais maintenant c’est fini, je n’ai plus de
médicaments et plus de soins. Même me loger devient très difficile. Je suis là
avec beaucoup d'angoisses parce que les prochains jours, je ne sais pas comment
je vais être.
Je vis très
difficilement ici et chaque fois que la police me contrôle, ils me prennent
tout l'argent que j’ai sur moi. Chaque sortie est risquée et me faire perdre
encore mes moyens pour vivre. Le ministre de la sécurité a refusé de me donner
un document de circulation.
J’ai fait des
démarches pour essayer d’obtenir des documents. J’ai été au tribunal de Dixinn
au mois de décembre 2019 pour la nationalité. Ils m’ont dit qu’ils ne sont pas
compétents pour gérer mon cas. Ils m’ont dit d’aller voir un notaire ce que
j’ai fait. Ce dernier m’a dit que je ne peux pas avoir la nationalité et il m’a
fait signer un acte de déclaration. Après je suis retourné au tribunal et ils
m’ont dit d’aller au ministère de la Sécurité. J’y suis allé et j’ai été arrêté
et auditionné. J'ai rencontré des membres de la direction. On m'a reconvoqué
pour le lendemain pour me dire que je risquais d'être expulsé selon le Secrétaire général. Après plusieurs convocations et intimidations,
j’ai dû prendre un avocat qui est intervenu. Ils m’ont demandé d’aller au ministère
des Affaires étrangères.
Mon avocat a
saisi la Présidente du Tribunal de première instance de Kaloum. Mardi 25 février
à 9h j’ai été convoqué devant le juge du tribunal de Kaloum. Actuellement, la
procédure n’a pas abouti et le Tribunal est fermé.
Toutes les
autorités guinéennes à même de traiter mon cas ont été saisies. Je me suis
rendu partout, mais on ne voulait pas me répondre ni m’écouter. J’ai dû payer
un avocat pour faire les démarches, mais je n’ai plus d’argent.
Les autorités
m’ont aussi demandé de retourner en Mauritanie. Je n’ai personne là-bas et je
n’y ai même jamais habité.
Je suis malade
je ne dors plus. Partout quand je vais dans les hôtels on me demande un
passeport et si je sors pour manger, je risque de me faire arrêter par la police
et racketter. Pour le logement, on me demande de payer 8 à 12 mois d’avance ce
que je ne peux pas. Je suis complètement bouleversé, des fois, je ne mange pas.
Je paie seulement l'hôtel. C'est trop difficile pour moi. »
Abdoul Mariga est
décédé à l’hôpital de Conakry ce 17 octobre. Le collectif Droit de rester
est triste et exprime sa sympathie aux proches d'Abdoul. Nous sommes également en colère. Sans ce renvoi décidé par le SEM, Abdoul
Mariga serait certainement encore en vie, et travaillerait aujourd’hui encore au CHUV.
(version actualisée du 10.12.20)
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