mercredi 19 octobre 2022

Lettre ouverte au Secrétariat d’Etat aux migrations / Stop aux renvois Dublin vers la Croatie


Les collectifs Droit de Rester romands demandent au SEM l’arrêt immédiat des renvois Dublin vers la Croatie.

Aujourd’hui à Neuchâtel, lors d’une conférence de presse, une cinquantaine de requérant·es d’asile menacées de renvoi vers la Croatie ont témoigné des violences qu’elles et ils y ont subies. Leurs histoires sont la motivation d’une lettre ouverte au SEM exigeant l’arrêt immédiat des renvois Dublin vers la Croatie. Vous trouverez en pièce-jointe le dossier de presse contenant les récits des personnes ainsi que la lettre envoyée au SEM hier.

L’initiative émane des collectifs Droit de Rester romands. Depuis plusieurs semaines, leurs permanences cantonales de Neuchâtel, Fribourg et Vaud sont débordées par des situations étonnamment similaires. Elles ont en effet reçu (et continuent de recevoir) des dizaines de récits de personnes et de familles ayant fui leur pays d’origine pour ensuite subir des violences et discriminations répétées en Croatie.

« Passage à tabac, poursuite avec des chiens, insultes racistes, moqueries, vols, manipulation, chantage, menaces, contrainte à signer des documents en croate : tous ces récits décrivent à la fois le mode opératoire et l’ampleur de la panoplie de la violence déployés par les autorités croates face aux réfugié·es » déclarent les activistes de Droit de Rester.

La lettre ouverte a été soutenue par plus d’une trentaine d’organisations et de chercheuses et chercheurs du domaine de la migration. Pour elles, les renvois Dublin vers la Croatie doivent cesser immédiatement et le SEM doit réévaluer urgemment sa politique d’asile.



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Lettre ouverte au Secrétariat d’Etat aux migrations
Stop aux renvois Dublin vers la Croatie



Madame la secrétaire d’Etat aux migrations, Christine Schraner Burgener,

 

Par la présente lettre, nous dénonçons l’attitude du Secrétariat d’Etat aux Migrations (SEM) dans sa gestion des cas dits « Dublin ». En effet, d’innombrables renvois sont actuellement prononcés et exécutés vers la Croatie, où des violences policières, des violences d’État, sont commises en toute impunité et au su de la Confédération. Par conséquent, nous exigeons l’arrêt immédiat de ces renvois ainsi qu’une réévaluation urgente de la politique d’asile du SEM.

 

Depuis plusieurs semaines, les permanences cantonales de Droit de Rester Neuchâtel, Fribourg et Lausanne sont débordées par des situations étonnamment similaires. Nous avons en effet reçu (et continuons de recevoir) des dizaines de récits de personnes et de familles ayant fui leur pays d’origine – notamment le Burundi, où la crise politique s’est particulièrement aggravée ces dernières années1, mais également l’Afghanistan, la Somalie ou la Turquie pour ensuite subir des violences et discriminations répétées en Croatie. D’une part, les autorités croates procèdent à de nombreux « pushbacks » des personnes voulant entrer sur le territoire. Des pratiques de refoulement qui, nous le rappelons, sont illégales en vertu du droit international et ont déjà été dénoncées à de multiples reprises et depuis plusieurs années par des ONG. D’autre part, lorsque la police décide d’arrêter ces réfugié·es (après les avoir refoulé·es plusieurs fois), cette dernière se distingue par des pratiques inhumaines : violences physiques, psychologiques et sexuelles, insultes racistes, vols et/ou destructions de biens personnels, enfermement dans des locaux avec accès limité ou inexistant à des ressources alimentaires et sanitaires, etc. Entre et au milieu de tous ces traitements violents, humiliants et dégradants, la police en profite par ailleurs pour enregistrer les empreintes digitales des personnes réfugiées et les forcer à signer des documents en croate, avant de les relâcher ou de les placer dans des camps. L’enregistrement des demandes d’asile des personnes réfugiées est donc pratiqué sous la contrainte, la violence et l’intimidation de la police locale. Il ne fait aucun sens de renvoyer des personnes vers leurs persécuteurs, dans quelque pays qu’il soit.

 En octobre de l'année dernière déjà, le rapport Lighthouse2, fruit du travail d'investigation de plusieurs médias, faisait la lumière sur les violences perpétrées par la police croate. Puis, en décembre 2021, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT) ont confirmé que des pushbacks et traitements dégradants étaient pratiqués par les autorités croates dans des jugements 3 et des rapports 4 . L'équipe forensique du CPT a constaté à plusieurs reprises sur les corps des personnes migrantes des blessures consécutives à des violences policières. Enfin, le 13 septembre dernier, l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) alertait les autorités compétentes à travers la publication d’un nouveau rapport accablant sur les violences policières commises en Croatie et en Bulgarie5.

 Elle a notamment rappelé que « l’usage de la violence par les autorités bulgares et croates à l’encontre des personnes en quête de protection est contraire aux obligations de droit international public, notamment à l’article 3 CEDH (interdiction de la torture) », avant de conclure que, « [e]n raison de la fréquence de ces incidents et des nombreuses preuves, il faut partir du principe qu’il s’agit d’un recours systématique à la violence, toléré, voire voulu, par les États concernés. La situation à la frontière ne peut pas être considérée isolément de celle à l’intérieur du pays. La présomption selon laquelle ces États respectent leurs obligations internationales ne saurait donc être maintenue ». L’OSAR demande donc au SEM de renoncer aux transferts vers la Croatie et la Bulgarie, demande que nous réitérons avec la plus grande force.

Par ailleurs, nous rappelons une évidence que le SEM semble également vouloir sciemment ignorer : les personnes passées par la Croatie et qui ont à ce jour demandé l’asile en Suisse ont faire face à des violences à la fois dans leur pays d’origine et durant leur parcours migratoire. En décidant de renvoyer automatiquement en Croatie les personnes dont les empreintes et l’enregistrement ont été obtenus de force et dans les conditions violentes décrites ci-dessus, le SEM participe à une forme supplémentaire de violence et d’oppression. Plutôt que d’être réactualisés, les traumas et les séquelles subis par ces réfugié·es dans plusieurs pays nécessitent une prise en charge adéquate et humaine. Les personnes que nous rencontrons nous disent préférer « plutôt mourir que de retourner en Croatie ». Leur vulnérabilité tant sur le plan physique que psychique ne peut être décemment réfutée au vu des éléments rapportés. L’État seul possède les moyens structurels d’y répondre, et nous l’enjoignons à y remédier au plus vite.

 Ce faisant, et alors que le SEM parle de « cas isolés », nous dénonçons un véritable modus operandi de la part des autorités croates. Dès lors et au vu du nombre croissant de témoignages recueillis et de la concomitance des violences rapportées dans ces derniers, trois constats s’imposent :

1.      Les nombreux témoignages recueillis ces dernières semaines mettent en lumière deux pratiques récurrentes de la police croate, à savoir le recours à la violence sous toutes ses formes (physiques, psychologiques, sexuelles et racistes) et l’obtention forcée, non éclairée et non consentie des personnes arrêtées à déposer une demande d’asile en Croatie. Ces phénomènes sont d’ordre systémique.

2.       Le nombre de personnes victimes des ces pratiques inhumaines avant d’arriver en Suisse pour demander l’asile est inévitablement beaucoup plus grand que les dizaines de cas dont nous avons eu connaissance jusqu’à maintenant. En effet, Droit de Rester ne représentant que quelques petites structures locales aux forces entièrement bénévoles, nous n’avons probablement aperçu que la pointe de l’iceberg.

3.       À la suite de cela, nous pouvons donc en déduire que le SEM, au travers des entretiens qu’il mène avec chaque nouvel·le arrivant·e dans les centres fédéraux, a eu connaissance des violences subies par les personnes entendues et des multiples et répétées pratiques illicites de la police croate.

Compte du tenu de l’ampleur et du caractère répété du phénomène, la responsabilité du SEM est à cet égard clairement engagée.

 

En conclusion, nous exigeons de la part du SEM qu’il cesse avec effet immédiat les renvois Dublin vers la Croatie et qu’il recourt pour ce faire à ladite « clause de souveraineté » inscrite à l’alinéa 1 de l’article 17 du Règlement Dublin III, qui lui permet d’assumer la responsabilité de traiter toute demande d’asile, « notamment pour des motifs humanitaires et de compassion » 6 . Il est impératif qu’à ce titre le SEM et la Confédération sortent de leur

« formalisme excessif »7 et assument pleinement leur « tradition humanitaire » dont ils se targuent officiellement8.


La prise en charge rapide, efficace et non bureaucratique des personnes fuyant l'Ukraine depuis février de cette année nous l'ont montré : un accueil humain et adéquat est possible. Nous tenons également à souligner que le nombre important de personnes accueillies depuis le début de la guerre ne saurait justifier une inaction face à un besoin de protection urgent des victimes de violences étatiques en Croatie.


Vous trouverez, en accompagnement de ce courrier :

-          Une liste des personnes (via leur numéro de dossier uniquement) dont nous suivons la situation et qui se trouvent en danger d’être renvoyées en Croatie ou se sont déjà vu notifier par la SEM une décision de non-entrée en matière et une prononciation de renvoi ;

-          Plusieurs témoignages recueillis auprès de personnes ayant subi des violences en Croatie et devant malgré tout faire face à la menace d’un renvoi Dublin vers ce pays ;

-          La liste des associations et personnalités qui ont co-signé et soutiennent cette lettre.

 En espérant que vous saurez prendre la mesure de l'urgence et de la nécessité de notre demande, nous vous adressons, Madame, nos salutations les meilleures.

 Pour les collectifs Droit de Rester romands, 


1 « Les organisations de défense des droits humains internationales comme burundaises ont documenté des meurtres, disparitions, actes de torture et mauvais traitements, des cas d’arrestations et de détention arbitraires, ainsi que des

violences sexuelles et sexistes. Des cadavres non-identifiés, souvent mutilés ou ligotés, ont été découverts à intervalles réguliers dans différentes provinces, souvent enterrés par les autorités locales, des membres des Imbonerakure ou des policiers, sans qu’il y ait eu d’enquête », « Rapport mondial 2022 : Burundi », Human Rights Watchhttps://www.hrw.org/fr/world-report/2022/country-chapters/380886.

2 « Unmasking Europe’s Shadow Armies », Lighthouse Reports, 06.10.2021, https://www.lighthousereports.nl/investigation/unmasking-europes-shadow-armies/.

3 https://hudoc.echr.coe.int/eng#%7B%22itemid%22:%5B%22001-213213%22%5D%7D.

4 https://rm.coe.int/1680a4c199.

5 « Violences policières en Bulgarie et en Croatie : conséquences pour les transferts Dublin », OSAR, 13.09.2022, https://www.osar.ch/publications/news-et-recits/violences-policieres-en-croatie-et-en-bulgarie-losar-demande-de- renoncer-aux-transferts-vers-ces-deux-pays.

6 Voir également : https://www.amnesty.ch/fr/themes/asile-et-migrations/le-reglement-dublin-et-la-suisse/docs/2017/la- suisse-doit-davantage-appliquer-la-clause-de-souverainete-du-reglement-dublin.

7 https://www.amnesty.ch/fr/themes/asile-et-migrations/le-reglement-dublin-et-la-suisse; voir aussi :

https://asile.ch/2017/12/04/fact-checking-clause-de-souverainete-sem-de-lintox-delegitimer-lappel-dublin/ 

8 https://www.sem.admin.ch/sem/fr/home/asyl/asyl/humanitaere-tradition.html ;

https://www.eda.admin.ch/aboutswitzerland/fr/home/politik-geschichte/die-schweiz-und-die-welt/humanitaere- tradition.html.


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