EVAM, don't sleep
Le 21 mai
2012, l’EVAM (Etablissement Vaudois d’Accueil des Migrants) a ouvert à Morges
une nouvelle structure fonctionnant sur le mode « sleep-in ». Les
personnes hébergées n’auront pas de place attribuée et aucune structure
d’accueil de jour n’est prévue. Chaque jour ils devront retourner à Lausanne
pour obtenir un lit pour le soir. Le trajet Morges - Lausanne ne sera pas pris
en charge. Cette structure est prévue pour des hommes seuls ayant demandé
l’aide d’urgence.
Nous sommes
des employé(e)s de l’EVAM qui travaillons régulièrement ou occasionnellement
avec cette population. Ce mode de fonctionnement nous apparaît comme une grave
erreur et nous heurte profondément sur le plan éthique. Ce « sleep-in »
constitue pour nous une trahison de la mission de l’EVAM qui reste l’accueil des migrants. C’est donc par
loyauté à cette mission, que nous avons décidé de prendre la parole.
L’aide
d’urgence a pour vocation constitutionnelle de garantir le minimum de la
dignité humaine. Nous estimons que pouvoir bénéficier d’un abri durant la
journée pour se protéger des intempéries en fait partie. Sans argent pour
s’offrir un café, chassées par les vigiles des supermarchés, il sera
pratiquement impossible aux personnes hébergées de s’abriter de la pluie, de se
réchauffer en hiver ou simplement d’aller aux toilettes durant la journée.
Outre la violation manifeste de ces droits humains fondamentaux, on peut
prévoir des rassemblements dans les rues, les halls de gare, les espaces
couverts, qui pourraient accroître des tensions avec la population. Les
structures du canton destinées aux SDF sont déjà surchargées, il est à craindre
qu’elles ne pourront absorber cette nouvelle population.
Ne pas
prendre en charge le trajet quotidien Morges – Lausanne, ne leur laisse d’autre
choix que voyager sans ticket. Pour assurer leurs besoins fondamentaux, ces
hommes n’auront d’autre choix que de commettre des incivilités – resquiller,
uriner sur l’espace public… Cela contribuera à dégrader encore davantage
l’image des migrants. Mettre des êtres humains dans cette position et
multiplier les obstacles à l’obtention de prestations constituent une
maltraitance administrative. Il nous désole qu’elle soit assumée au point de
frôler le sadisme.
Selon M.
Leuba : « Le but est de les
convaincre à partir d’elles-mêmes plutôt qu’au travers de mesures de
contrainte »[1].
Notre expérience professionnelle quotidienne nous fait fortement douter de ce
postulat.
Premièrement,
car le système actuel d’hébergement en abri PC avec des structures d’accueil pour
la journée est déjà très dur. Pratiquement toutes les personnes hébergées
voient leur santé physique et psychique se détériorer, se plaignent du manque
de sommeil. Les vols et les violences entre migrants y sont malheureusement
fréquents. Si ces conditions ne parviennent pas à « les convaincre à partir d’elles-mêmes », ce nouveau modèle
n’aura pas plus d’effet. Car les conditions – comme le reconnaît l’EVAM[2]
- seront meilleures : fenêtres et chambres à deux. Cela nous apparaît
d’autant plus regrettable que de nombreux migrants - dont certains titulaires
d’un permis N - sont actuellement dans l’attente d’un transfert dans des
structures hors-sol pour raisons médicales.
Deuxièmement,
il nous semble que les contraintes administratives et les conditions de vie
imposées aux hommes seuls à l’aide d’urgence ont tendance à les briser, à les
inscrire dans une démarche de survie au jour le jour. Cela limite leur capacité
à faire des choix réfléchis et à se projeter dans l’avenir, et donc à
construire un éventuel projet de retour.
Le mode
fonctionnement sleep-in n’a donc d’autre but que de provoquer une souffrance
humaine inutile, voire contre-productive. Il accroîtra sensiblement la
stigmatisation des migrants et les tensions avec la population. Enfin, il ne
permettra aucune économie budgétaire, les coûts de fonctionnement (nourriture
en barquette, prise en charge du trajet Lausanne-Morges, blanchissage quotidien
des draps…) étant finalement assez lourds.
Nous prions
donc l’EVAM, le SPOP et le Conseil d’Etat de faire preuve d’ouverture et de
responsabilité et de renoncer à ce projet inutile, incohérent et violant la
dignité humaine. Nous demandons que le bâtiment du Tulipier soit dédié à
l’hébergement des cas médicaux actuellement logés en abri PC et les hommes seuls
à l’aide d’urgence hébergés dans des conditions décentes.
Signée: des employé-e-s de l'EVAM (anonymisé pour la publication en ligne, noms connus)
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