2
septembre 2013
Une très jeune femme, appelons-la Sarah,
originaire de l’Erythrée, pays militarisé et oppressif où elle
ne pourra sans doute jamais retourner sans danger pour sa vie, a
demandé l’asile en Suisse en avril 2013. Elle est mère d’une
fille de 4 ans à son arrivée, et enceinte de 8 mois. Le jour de son
accouchement, d’une deuxième petite fille, l’ODM rend à son
encontre une décision de renvoi en Italie, qu’elle n’a pas pu
contester, par la force des choses, dans le délai de recours de 5
jours. Elle est maintenant menacée de renvoi en Italie avec sa fille
et un nourrisson.
Dans son témoignage, elle raconte qu’après un premier renvoi de Suisse il y a 3 ans, elle a vécu en Sicile avec son conjoint et sa fille, alors âgée de un an, à Agrigento. La famille a été hébergée dans un centre pendant un mois puis elle en a été expulsée, sans aucune autre solution de relogement. Ils n’avaient nulle part où aller et ils ont été contraints de rester dans la rue. Ils se sont rendus à la gare et sont restés là pendant trois ans, à vivre dehors dans un parc, sans aucun secours. Ils n’avaient aucun argent et rien à manger. Ils devaient mendier pour se procurer de la nourriture. Des passants leur donnaient des fois des choses, du pain ou des aliments à consommer sans cuisson, mais pas tous les jours. Des fois, on leur donnait du lait pour l’enfant mais ce n’était pas souvent. Il n’y avait aucune organisation caritative et ils dépendaient entièrement des passants pour leur survie, qui les voyaient là et quelques-uns avaient pitié d’eux. Les autorités ne leur ont jamais porté secours. Ils possédaient une couverture dans leurs affaires et ils l’ont utilisée pendant ces trois ans. Ils avaient très peu de vêtements et ils devaient en chercher dans les poubelles pour avoir quelques rechanges. Ils devaient laver leurs habits à la fontaine ce qui était insuffisant comme hygiène. Sarah devait prendre de l’eau dans des bouteilles vides pour aller se laver dans la forêt. Il n’y avait pas de toilettes et elle devait aller dans la forêt, elle et sa petite fille. En hiver, il faisait très froid et ils devaient dormir dehors avec l’enfant. C’était très difficile. Il y avait d’autres gens désoeuvrés dans ce lieu. Beaucoup étaient ivres et la nuit, c’était dangereux. Il y avait souvent des bagarres et la famille a souvent été dérangée et menacée.
Le conjoint de Sarah les a subitement abandonnées. Elle ne sait pas où il est parti et elle n’a plus de nouvelles de lui. Après son départ, elle s’est retrouvée avec sa fille et elle était enceinte. C’était devenu très dangereux car elle risquait d’autant plus d’être agressée. Une personne l’a aidée à quitter la Sicile et elle est venue en Suisse.
Selon l’assistante sociale qui l’a reçue au département de psychiatrie de l’hôpital, Sarah présente maintenant un état préoccupant, une extrême fatigue, une tristesse profonde avec un état de tension et d’anxiété permanent, comme conséquence des conditions extrêmes de survie auxquelles elle a dû faire face ces dernières années. Sa fille n’a pas pu se développer dans des conditions décentes, tant sanitaires que psychosociales. Sarah est dans un état d’épuisement grave notamment de ses ressources personnelles pour faire face aux difficultés et aux changements. Elle ne pourra pas affronter un nouveau déplacement en Italie dans de telles conditions.
Situation
en Italie
Il
ressort de l’analyse de la situation en Italie rapportée par le
Tribunal administratif de Francfort, dans un jugement du 9 juillet
2013, fondée sur la récente décision de la Cour européenne des
droits de l’homme Mohamed
Hussein c. Pays-Bas et Italie,
du 2
avril 2013, requête n°27725/10, qu’il
existe une situation en Italie de violation systématique et grave
des prescriptions de la directive européenne sur l’accueil des
demandeurs d’asile. Le nombre de places disponibles dans les
centres de premier accueil est grandement inférieur au nombre de
demandeurs d’asile de sorte que seuls 50% d’entre eux ont
effectivement accès à un logement, parfois après des mois
d’attente, pendant lesquels ils restent sans abris et sans secours,
à la rue, et notamment sans accès aux soins médicaux.
Les
personnes renvoyées selon les accords de Dublin risquent, à une
forte proportion d’entre eux, de se retrouver sans abris dès leur
arrivée en Italie.
Les
centres d’accueil eux-mêmes ne répondent pas aux exigences
minimales en matière d’assistance. Ils sont insalubres,
surpeuplés, l’aide y est insuffisante et il n’y a aucun service
en matière de conseil social ou juridique. Le Tribunal relève que
dans certains centres, les autorités distribuent des cigarettes en
lieu et place d’un forfait journalier pour les besoins personnels,
tant par personne, y compris les enfants. Les femmes, les hommes et
les familles ne sont pas séparés. Dans certains centres il n’y a
pas d’eau chaude et il n’y a pas même de quoi laver son linge.
Dans un autre centre, des résidents ont expliqué qu’il y avait
une fuite d’eau de la tuyauterie et qu’ils devaient ainsi dormir
à plusieurs dans la pièce humide. Certains centres sont remplis de
déchets et n’ont aucune hygiène.
Le
Tribunal a conclu à un risque concret et sérieux, en cas de renvoi
en Italie du recourant, de traitement inhumain et dégradant faute
d’accès à des conditions minimales d’accueil, en violation de
l’article 3 CEDH et de l’article 4 de la Charte européenne des
droits fondamentaux.
Renvoi
en Italie dans tous les cas
Les
autorités suisses ne prennent pas la mesure de la détresse des
personnes. Elles appliquent une tolérance zéro et usent de toutes
les opportunités de renvoyer les requérants d’asile, quelles
qu’en soient les conséquences pour eux. Elles justifient leurs
décisions, en ce qui concerne l’Italie, par l’argument que les
déclarations des intéressés comme quoi ils auraient vécu dans la
rue à l’état d’abandon en Italie « ne sont pas
prouvées », et que l’Italie est un pays européen
démocratique, de sorte que s’ils venaient à se plaindre de leurs
conditions de vie, il leur appartiendrait d’en appeler à la
justice sur place.
Chacun
sait que les personnes qui doivent lutter pour rechercher de quoi se
nourrir et lutter contre le risque de violence de rue ou d’abus de
leur condition de détresse, n’ont aucun moyen de contacter un
avocat ni de s’engager dans la défense de leurs droits.
Et
donc, les autorités suisses nient le besoin de protection de
personnes particulièrement affectées par leur parcours de fuites
multiples. C’est-à-dire que c’est en toute connaissance de cause
qu’elles nient leur dignité d’êtres humains.
Nous
sommes très inquiets du sort qui attendrait Sarah et ses deux filles
si les autorités suisses les renvoyaient effectivement en Italie
conformément à ce qu’en a décidé l’Office fédéral des
migrations. L’idée que l’Italie est un Etat démocratique nous
paraît aussi futile que celle selon laquelle la Suisse mènerait une
politique humaine en matière d’asile.