13
septembre 2013 Une très jeune femme, appelons-la
Sarah, mère d’une fille de 4 ans et d’un nourrisson, a reçu une décision de
renvoi vers l’Italie. Elle est donc passée à l’aide d’urgence conformément à la
loi suisse.
Dans
l’aide d’urgence, les gens deviennent des objets. L’EVAM, autorité soi-disant
« d’assistance », s’est donné pour tâche essentielle dans le domaine
de l’aide d’urgence de « gérer son parc immobilier ». Cette activité
hautement bureaucratique consiste, avec l’aide d’un parc informatique, à
déplacer des pions, les requérants d’asile déboutés, dans des cases vides, de
manière plus ou moins aléatoire, en fonction des « places
disponibles ». Dès qu’une case « hébergement » dans un
quelconque centre de l’EVAM se libère, on la remplit avec un nouveau pion, qui
libère ainsi à son tour une autre case, que l’on remplit avec un autre pion et
ainsi de suite. Il y a toute une équipe d’employés à l’EVAM, « l’entité
hébergement », qui passe ses journées à ce jeu, et à réfléchir comment
« l’optimiser », c’est-à-dire comment le rendre plus
« fluide » et plus « dynamique ».
Sarah,
qui est décrite comme une personne dépassée par des événements extrêmes qu’elle
a vécus avant de venir en Suisse, et dans un état d’épuisement profond, en
perte grave de ressources adaptatives face aux changements, a reçu d’abord une
décision de l’EVAM, du 3 août 2013, « d’attribution d’une place
d’hébergement » au centre pour requérants d’asile de Crissier.
Le
13 août 2013, Sarah reçoit une lettre de l’EVAM qui lui ordonne de rassembler ses affaires pour
le 5 septembre à 8h00, en vue de l’inventaire et de la remise des clés du logement
qu’elle occupe, et qu’elle devra quitter le jour dit. En cas de refus de sa
part, précise la lettre, il en sera appelé aux forces de police et une plainte
sera déposée contre elle.
Sarah,
paniquée à l’idée de quitter son logement (elle vient de passer trois ans dans
la rue en Italie avec sa petite fille), contacte son mandataire qui l’aide à
déposer une opposition auprès de l’EVAM.
L’EVAM
répond le 3 septembre que la lettre du 13 août n’est pas une
« décision » susceptible de recours. Il s’agit d’une simple
information à la requérante qu’elle doit quitter son logement dans deux jours.
L’opposition n’est donc pas recevable.
Le
5 septembre, Sarah est convoquée au bureau de l’EVAM et subi d’abord un
entretien difficile au cours duquel l’employé administratif lui signifie clairement
qu’elle n’a plus droit au logement à Crissier et qu’elle doit le quitter séance
tenante, pour se rendre dans une autre « place d’hébergement », avec
ses deux filles et toutes ses affaires, au centre de Bex. Elle devait signer un
papier par lequel elle acceptait son déménagement, un déménagement
« volontaire » en quelque sorte, ce qu’elle a refusé de faire.
Ensuite,
un employé de l’EVAM est venu dans sa chambre pour lui faire signer la lettre
et l’enjoindre de faire ses valises et de quitter le centre. Puis ce sera au
tour de l’assistante sociale de faire de même deux heures plus tard. Encore
plus tard, le soir, une autre personne de l’EVAM est venue et encore
l’assistante sociale et ils l’ont menacée d’appeler la police pour l’expulser
par la force. Le lendemain, Sarah n’avait pas d’autre choix que de faire ses
valises et de se rendre, avec son bébé et sa fille, dans un autre centre, pour
une durée a priori tout aussi
précaire que la précédente, jusqu’à ce que l’EVAM décide à nouveau de la
déplacer dans un autre centre, pour les besoins de la « gestion » de
son « parc immobilier ».
Plusieurs
dizaines de requérants d’asile reçoivent chaque mois la lettre de l’EVAM, sans
droit de recours, leur enjoignant de préparer leurs affaires pour telle date en
vue de l’inventaire et de la remise des clés sous peine d’en appeler aux forces
de police, parfois avec à peine 5 jours de préavis.
Si
on regarde de près la jurisprudence du Tribunal cantonal dans le domaine de
l’aide d’urgence et de l’hébergement en particulier, on est frappé par le taux
de réussite des recours, depuis la généralisation de l’aide d’urgence en 2008 :
il est de 0% (zéro). Aucun recours n’est jamais admis sur les revendications
des gens à la protection de leur sphère privée et de leur domicile. La
protection juridique de la catégorie « requérants d’asile déboutés »
est totalement nulle.
Les
requérants d’asile à l’aide d’urgence n’ont donc pas de droit à la protection
de leur domicile et de leur sphère privée au sens de l’article 8 CEDH.
La
Cour européenne des droits de l’homme a jugé à ce propos que les autorités
d’assistance tout d’abord, ont une une obligation de conseil
social et d’accompagnement des personnes en difficultés. C’est leur tâche
première que de conseiller socialement les personnes dépendantes de leur aide,
c’est-à-dire de prendre en considération leur précarité (Wallova et Walla c. République Tchèque, requête n°23848/04, arrêt
du 26 mars 2006). Ensuite, la Cour a jugé qu’une expulsion du logement, même
légale, doit encore respecter le principe de la proportionnalité. L’autorité
doit justifier de la nécessité de contraindre une famille à changer de domicile
eu égard à l’importance de celui-ci pour la protection de l’identité de
l’individu, de son autonomie, de l’intégrité physique et morale, du maintien de
ses relations sociales, de sa place dans la communauté, ainsi que de la
jouissance d’un espace de vie dans la sécurité (Gladysheva c. Russie, requête n°7097/10, arrêt du 6 mars 2012, §
93). Dans une autre affaire où, en application de la loi, l’autorité
d’assistance avait ordonné à la requérante de quitter le logement dans les 15
jours, la Cour réitère que l’expulsion doit être justifiée autrement que par la
simple application de la loi, que l’atteinte au domicile doit « répondre à
un besoin social impérieux ». La marge de manœuvre de l’autorité est
étroite à cet égard et aucune loi interne ne doit être interprétée et appliquée
d’une manière incompatible avec les obligations des Etats au titre du droit à
la protection du domicile. En l’absence de la garantie que l’autorité examine
chaque cas individuellement, il y a violation de l’article 8 CEDH (Cosic c. Croatie, requête n°28261/06,
arrêt du 15 janvier 2009, § 21).
Ainsi, chaque
lettre d’expulsion de l’EVAM, automatique et non motivée, sans voie de recours,
est en soi une violation du droit à la protection du domicile des requérants
d’asile, de l’article 8 CEDH. La gestion du parc immobilier n’est pas une
justification pour déplacer les gens d’un centre à un autre sans raisons propres
à la situation de la personne. Cette situation n’est pas seulement son statut
du point de vue de la loi. La légalité même de l’attribution de « places
d’hébergement » ici ou là ne suffit pas au respect des droits de l’homme.
L’EVAM devait expliquer, dans le cas de Sarah et de ses deux filles, en quoi le
déménagement brutal dans une autre commune ne portait pas une atteinte
disproportionnée à son besoin de sécurité sous la forme du bénéfice d’un
logement stable, pendant son séjour en Suisse, compte tenu de ses charges de
famille et de son état de fatigue aggravé, dûment attesté.
Le
Tribunal cantonal nie d’une façon générale l’applicabilité du droit à la
protection du domicile au sens de l’article 8 CEDH aux requérants d’asile à
l’aide d’urgence. Si on affirme que les « droits de l’homme »
s’appliquent à tous les « hommes » en tant que tels, cela signifie
que les requérants d’asile ne sont pas des « hommes », s’ils n’ont
pas de droit au domicile qui est un droit « de l’homme ». C’est ainsi
que, selon nos autorités, les décisions en matière d’hébergement de l’EVAM
n’ont pas à être justifiées par des considérations « humaines » et
que l’on peut affirmer que leurs destinataires ne sont que des
« objets » auxquels on « attribue » des « places
disponibles » dans des centres, des abris antiatomiques et autres « sleep-in »
au gré de prétendues stratégies de « gestion » de ces places, dont
les autorités n’expliquent jamais en quoi elles consistent précisément. Il faut
sans doute avoir un sens bureaucratique très aigu pour comprendre en quoi le
déplacement de Sarah et de ses filles d’un centre de l’EVAM à un autre centre
de l’EVAM optimise si avantageusement la gestion.
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