16 mars 2017 Les
accords de Dublin n’autorisent pas les États européens à renvoyer les mineurs
qui se trouvent sur leur territoire.
Cette contrainte ne convient pas au Secrétariat d’État
aux migrations (SEM) qui estime que trop de mineurs non accompagnés demandent
l’asile en Suisse. Pour les renvoyer malgré tout en Espagne, en Italie ou en
Hongrie, il suffit simplement de modifier leur âge et de les déclarer majeurs.
Comme la plupart d’entre eux ne possèdent aucun document d’identité, ils ne
pourront pas prouver leur date de naissance, et le tour est joué.
Le seul petit problème, est que l’autorité viole par
là même toutes les dispositions relatives à la protection des mineurs, en toute
mauvaise foi et dans le plus parfait arbitraire. Les décisions relatives à
l’âge soi-disant majeur des mineurs sont ainsi d’une hypocrisie flagrante.
Voici
l’histoire d’Alfred et comment procède l’autorité. Alfred est passé par
l’Espagne avant de demander asile en Suisse à l’âge de 16 ans. Il est
manifestement très jeune d’apparence et de comportement. En fait, sa minorité
ne fait aucun doute. Il a rapidement été pris en charge par des bénévoles
actifs autour des migrants, dès les premiers jours à son arrivée au centre
d’enregistrement et par la suite lorsqu’il a été attribué au canton de
Neuchâtel. Son histoire touche les gens ainsi que son côté un peu perdu et son
attitude réservée. Les personnes de soutien l’adressent à un psychiatre pour un
suivi en rapport avec les événements difficiles vécus après la perte de ses
parents, et elles lui cherchent une famille d’accueil, qui va l’accompagner
dans son intégration, l’apprentissage d’un métier et pour que les dernières
années de son adolescence se passent au mieux.
Malheureusement,
le SEM et les autorités cantonales de police des étrangers ne sont pas de cet
avis. Le SEM tout d’abord a décidé qu’Alfred devait être considéré majeur et a
ordonné son renvoi en Espagne. Le SEM profite de l’identité enregistrée par la
police espagnole dans le fichier Eurodac, qui mentionne une date de naissance
le 01.01.1997, car si cette dernière avait enregistré un âge mineur, la demande
de réadmission en Espagne n’aurait pas été acceptée.
Or, Alfred a
expliqué lors de son audition à Vallorbe que cette date est inexacte, qu’il a
donné un âge faux à la police maritime sur le conseil des autres migrants avec
qui il se trouvait, parce qu’il avait peur d’être enfermé dans un centre pour
mineurs en Espagne.
L’enregistrement
des migrants dans le fichier Eurodac n’a aucune validité comme preuve de leur
identité. Il contient beaucoup d’erreurs et de malentendus. Alfred explique
qu’il a été arrêté en mer avec d’autres Africains à bord d’un zodiac, conduit à
terre et que la police a pris ses empreintes digitales en lui posant quelques
questions sommaires. Il n’y avait pas d’interprète, pas de conseiller et
surtout, aucune explication ne lui a été donnée sur le fait que ses
déclarations allaient être consignées dans un fichier informatique lisible par
toutes les autorités de toute l’Europe. Aucune information ne lui a été fournie
non plus ni sur la procédure d’asile ni sur ses droits en tant que mineur, bien
qu’il devait tout de même paraître très jeune aux yeux de la police espagnole. L’entretien
n’a duré que quelques minutes et n’avait que pour objet d’associer une identité
aux empreintes digitales saisies. La police a enregistré une date au hasard
pour que ça fasse 19 ans, le nom et le prénom d’Alfred phonétiquement,
c’est-à-dire avec des fautes de transcription, et une nationalité fausse
également parce qu’il n’est pas né dans le pays dont il a la nationalité, mais
la police lui a seulement demandé son lieu de naissance et en a déduit le reste.
Le SEM, à qui
toutes ces approximations n’ont pas échappé, a tout de même trouvé que 19 ans,
c’était un peu trop, et a rectifié la date de naissance à 18 ans, le
01.01.1998. Aucune procédure équitable n’a été respectée. La date de naissance
à 18 ans est une autre approximation, arbitrairement choisie.
Il n’existe
aucun moyen scientifique de connaître l’âge biologique véritable d’Alfred. Sur
le plan juridico-social, l’âge probable doit donc faire l’objet d’une
évaluation. Cette évaluation est nécessairement sujette à caution car il
n’existe pas d’argument-type, c’est-à-dire de situation-type qui nous
permettrait de distinguer un mineur d’un jeune âgé de 18 ans, et aucun argument
en soi ne peut être décisif. Il faut prendre en considération un ensemble de
phénomènes ou de faits qui conduisent éventuellement à douter de la minorité
d’un jeune, ceci sur le long terme et selon l’avis de plusieurs personnes
adultes dont une au moins, devrait avoir des compétences spécifiques en matière
de psychologie adolescente ou de prise en charge des jeunes en difficultés. Concrètement,
au minimum un entretien spécialisé, en présence de personnes formées, devrait
avoir lieu, ceci, après que le jeune ait passé un certain temps dans son nouveau
milieu de vie, pour que des personnes de son entourage quotidien puissent aussi
témoigner. Des difficultés de socialisation ou de scolarisation avec d’autres
jeunes de tel âge par exemple, peuvent faire penser que l’intéressé est plus
âgé ou plus jeune qu’il ne le prétend. Dans tous les cas, on peut considérer
qu’un jeune sans famille, entre 15 et 20 ans, nouvellement arrivé dans un pays
dont il ne connaît rien, a toujours besoin du conseil et de l’entourage des
adultes pour orienter sa vie et n’est pas indépendant. C’est même une période
cruciale de son existence pour l’encourager et l’accompagner vers la
construction d’un réel avenir, notamment par l’apprentissage d’un métier.
Le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe explique, à
juste titre, que « Déterminer l’âge d’un individu est un processus complexe qui
implique des facteurs physiques, sociaux et culturels. La tâche est d’autant
plus difficile que l’enfant est âgé. […] Il faudrait élaborer des procédures
pluridisciplinaires et l’âge ne devrait pas être estimé sur la seule base d’un
examen médical tel qu’une radiographie des os. Les mineurs doivent se voir
accorder le bénéfice du doute lorsque leur âge ne peut être établi avec
certitude.» (Commissaire aux droits de l'homme, Document de synthèse sur les
droits des migrants mineurs en situation irrégulière, 20 juin 2010, p. 4)
Qu’à cela ne
tienne, le SEM n’a ni le temps ni les compétences pour évaluer quoi que ce soit,
sa priorité étant d’ordonner le renvoi Dublin à chaque fois que l’occasion se
présente. L’autorité procède donc à un simili-entretien où le jeune est
interrogé sur son parcours scolaire et invité à donner les dates de tous les
événements de sa vie, à dire à quel âge il a commencé l’école, ou arrêté
l’école, ou quand sa maman est décédée, ou lorsqu’il a quitté le pays… Alfred a
été enfant des rues, il a vagabondé pendant plusieurs années dans différents
pays et il ne se souvient pas de toutes ces dates. Il dit une fois 2013, une
autre fois 2014 et c’est dans la poche. La décision de renvoi fait le détail de
toutes les erreurs de dates de l’audition pour conclure que les déclarations du
requérant à propos de son âge prétendument mineur sont sujettes à caution. Il
n’y a pourtant aucun rapport entre les erreurs de dates et la minorité
d’Alfred, ou, au contraire, parce qu’il ne parvient pas à se remémorer les
dates de sa courte vie, on doit penser qu’il est mineur car à l’âge de
l’adolescence, les événements de l’enfance et même de la pré-adolescence
peuvent paraître lointains. La perception du temps écoulé, chez les jeunes, est
très différente de celle des adultes.
Et donc, dans ces affaires, c’est le fonctionnaire du
SEM tout seul, à l’issue d’un unique entretien d’une heure ou deux avec le
jeune, qui décide quel âge il a. Aucun expert n’intervient à aucun moment, ni
aucun conseiller indépendant, qui expliquerait au jeune en quoi consiste
l’audition, quels sont les objectifs ou qui l’aide à se préparer aux questions.
Toutes les questions posées le sont en fonction d’une pratique administrative d’évaluation
de la vraisemblance des motifs d’asile. Or, évaluer la crédibilité d’un récit
de fuite, ce n’est pas évaluer un âge. L’audition ne conduit pas à une
véritable évaluation de la maturité, par exemple des représentations du jeune,
de lui-même ou de sa place dans son environnement, de sa façon de comprendre
les choses ou de réagir aux événements, qui tendrait à déterminer dans quelle
mesure le jeune assume une indépendance face aux adultes ou en reste au
contraire dépendant, affectivement et socialement. Le SEM ne tient nullement
compte de l’intérêt du mineur à défendre ses propres droits, c’est-à-dire à
apporter des arguments qui soient véritablement utiles à l’estimation de son
âge. A aucun moment il n’est aidé ou accompagné pour formuler son avis d’une
manière suffisamment éclairée, en rapport avec les enjeux. Il n’y a pas de
respect des droits de la défense.
Le SEM omet systématiquement dans ces cas d’inviter l’autorité cantonale à
nommer une personne de confiance pour accompagner le mineur, comme le prescrivent
pourtant l’article 17 LAsi et l’article 6 du règlement Dublin.
Le SEM omet également, en conduisant la procédure dans un cadre
administratif et d’une manière inappropriés, de prendre
« particulièrement » en considération les intérêts du mineur comme le
prescrit pourtant l’article 17 LAsi.
Le SEM n’ordonne pas non plus d’expertise comme il devrait pourtant le
faire selon ce que prévoit l’article 17 LAsi, dans les cas où «des indices
laissent supposer qu’un requérant prétendument mineur a atteint l’âge de la
majorité ».
Le comble de l’arbitraire est encore la procédure de recours devant le
Tribunal administratif fédéral (TAF), qui expose pourtant dans sa jurisprudence
que « s'agissant de requérants d'asile mineurs non accompagnés, l'autorité
doit, dans le cadre de la procédure d'asile, adopter les mesures adéquates en
vue d'assurer la défense de leurs droits. » (D-810/2011)
Dans la
situation d’Alfred, le Tribunal a rejeté le recours en 10 jours, à juge unique
tant l’affaire paraissait simple, et sans échange d’écriture, tant il paraissait
superflu au juge de confronter les arguments de défense du recourant. Le juge
n’a pas trouvé utile de convoquer une audience de sorte que son évaluation de
l’âge probable d’Alfred ne reposait que sur la lecture du dossier du SEM, sans n’avoir
jamais rencontré le jeune, ni avoir aucune idée de qui il est, à quoi il
ressemble, ce qu’il en pense ou ce qu’il voudrait en dire.
Ce simple
échange de courrier avec le Tribunal a été facturé 600 frs à Alfred, qui ne
trouve pourtant rien à lire de significatif dans cet arrêt (E-7350/2016), tant la motivation est
cousue de considérations générales sur la légalité des renvois Dublin et est
peu en rapport avec la situation personnelle d’Alfred.
Ces jeunes sont très vulnérables parce qu’ils n’ont
pas de papiers pour prouver leur identité. Il est facile pour les autorités de
nier leur minorité par le seul jeu de leurs décisions qu’elles motivent
pratiquement à bien plaire. Surtout, elles ne tiennent pas compte du point de
vue des intéressés. Ces jeunes ont beaucoup de peine à participer utilement aux
procédures et leurs droits à la défense ne sont pas respectés. Pourtant, ils
peuvent prétendre à être mis sur un pied d’égalité vis-à-vis de l’autorité qui
décide de leur sort, c’est-à-dire à recevoir des conseils utiles et préalables,
à l’audition de témoins, à l’octroi de disponibilités, notamment d’un temps
suffisant pour rassembler leurs preuves, et même à la nomination d’un avocat
d’office, parce que la question de leur âge probable est relative à leur
identité, laquelle est une matière civile. L’article 6 CEDH sur le droit à un
procès équitable s’applique. L’article 6 CEDH garantit aussi une composition
équitable du Tribunal. Il est extrêmement douteux qu’un juge unique puisse
sérieusement évaluer l’âge probable d’un jeune homme simplement en consultant
le dossier du SEM.