8 mars 2017 Aujourd’hui,
la procédure d’asile se déroule dans les centres fédéraux. Certain-e-s
séjournent trois mois voire quatre mois dans ces centres dits d’enregistrement
ou d’hébergement. Il y en a trois en Suisse romande, à Vallorbe, aux Perreux et
un autre aux Rochat, dans la montagne, à peu près à la même altitude que Sainte-Croix.
Ces centres fédéraux sont symptomatiques d’une politique
d’isolement et d’enfermement des migrant-e-s dans des sortes de camps, où ils
sont contrôlés par l’autorité en charge de leur demande d’asile, et dissuadés
par la même occasion de rester en Suisse. Inaccueillants, voire franchement
hostiles, ces centres imposent un régime de vie collectif à des gens qui ne se
connaissent pas, sont de toutes origines et n’ont jamais imaginé auparavant
devoir partager le même dortoir, pratiquement le même lit tant la promiscuité
est grande, les étroits lits superposés étant collés deux à deux, ou se
retrouver nu devant les autres à la douche collective, une grande pièce pourvue
de pommeaux de douche, comme à la piscine.
Ce sont des centres de discipline, où l’autorité,
représentée par les agents de sécurité qui sillonnent les couloirs, ou par le
personnel de l’intendance pour la fourniture des draps, des repas et du
nécessaire de toilette, marque son pouvoir en investissant systématiquement la
sphère privée des gens et leur mode de vie.
Ce sont des lieux de dépersonnalisation également, où
l’individu est perçu de manière générique, identique aux autres et traité comme
tel. Les requérants y perdent leur dignité parce que leurs particularités, ce
qui les distingue du groupe, ce qui fait leur individualité, n’est pas reconnu
ni entendu.
Par exemple, les enfants y sont traités comme tous,
contraints de se nourrir à la cantine où les repas bon marché qui y sont servis
ne sont pas adaptés à leurs habitudes ou à leurs besoins alimentaires, ni à
leurs horaires. Les plus jeunes enfants refusent de s’alimenter. Ils sont
fatigués et ils pleurent beaucoup. Comme il est interdit d’entrer de la
nourriture dans le centre, les agents de sécurité jettent à la poubelle, au vu
de tous, les yaourts et autres petits pains ou jus de fruits que leurs parents auraient
eu l’idée d’amener pour qu’ils avalent quelque chose le soir par exemple, autre
que les pâtes huileuses au thon.
Les familles doivent endurer la séparation pendant de
longues semaines, sans aucune nécessité liée à la procédure d’asile, pour la
seule raison qu’ils sont sous l’autorité du SEM qui s’est arrogé le droit de
décider de leur vie pendant toute la durée de leur séjour au centre
d’enregistrement.
Par exemple, une femme est enceinte de trois mois. C’est son
premier enfant et comme pour toute première grossesse, le risque de fausse
couche est élevé. Elle perd un peu de sang, elle a des vomissements, elle se
sent très fatiguée et elle s’inquiète. Elle ne connaît ni le français ni
l’anglais. Elle ne peut pas expliquer sa situation ni comprendre ce qu’on lui
dit. Son compagnon, qui est en Suisse, a demandé à plusieurs reprises qu’elle puisse
loger chez lui où elle pourra se reposer et vivre paisiblement sa grossesse.
Avec l’aide de quelqu’un pour traduire, le personnel de l’intendance lui
explique qu’il n’est pas bon pour son dossier qu’elle aille chez son fiancé.
C’est faux, mais elle ne connaît pas la Suisse et elle a peur. Alors elle reste
au centre et effectue les tâches ménagères qu’on lui attribue régulièrement. A
la cuisine, elle doit porter les bacs de vaisselle qui sont lourds. Ce sont les
autres dames qui la soutiennent, prisonnières comme elle des obligations et des
injonctions du centre. Elles lui disent de s’assoir et de se cacher dans un
coin et qu’elles feront le travail à sa place.
Il ne faut pas qu’on la voit inactive sinon elle sera
sanctionnée. Les sanctions sont à bien plaire du personnel sur place,
prononcées oralement et immédiatement appliquées, dans le plus parfait
arbitraire. Les gens n’ont pas le droit ni de s’expliquer, ni de se défendre.
L’autorité a toujours raison dans ces litiges. Ces sanctions consistent
notamment en privation de sortie du centre pendant un jour, en privation
d’argent de poche pendant une semaine, en privation de lessive, ou en privation
de billet de train pour se rendre dans sa famille un week-end.
En l’occurrence, la dame a prolongé une fois son week-end
chez son fiancé et n’est retournée au centre que le mardi au lieu du dimanche
soir. La réaction à son indiscipline a été de la priver le lendemain de sortie
du centre toute la journée, et le jeudi suivant, son argent de poche
hebdomadaire de 21 frs était amputé de 6 frs. Le personnel lui a précisé qu’au
prochain affront aux règles d’assignation au centre, elle sera privée de sortie
tout un week-end et son argent de poche complètement supprimé.
La dame a aussi a dû aussi demander à plusieurs reprises
qu’on daigne lui proposer une couchette en bas, pas en haut du lit superposé,
parce qu’elle doit se lever souvent la nuit.
Et cette autre femme, qui souffre d’arthrite à un stade
avancé, qui a les bras et les jambes gonflés, qui se déplace difficilement, il
a fallu elle aussi qu’elle supplie qu’on lui attribue un lit en bas, pas en
haut des couches superposées, où elle ne pouvait que difficilement monter, et
plus difficilement encore descendre. Elle a été séparée de sa fille et de son
petit-fils. Ce dernier, âgé de 7 ans, ne comprenait pas pourquoi il ne pouvait
pas loger dans la même chambre que sa grand-mère alors qu’ils vivaient avec
elle avant de fuir le pays et qu’il y est très attaché. A sa place, le centre
avait placé un couple qui s’embrasse, ce qui a mis la jeune mère dans une
situation embarrassante. A plusieurs reprises ils ont demandé de pouvoir loger
dans le même dortoir et l’autorité a refusé. Pourquoi ? Parce que la
grand-mère, sa fille et son petit-fils ne forment pas une « famille »
leur a-t-on dit. Les « familles » ce ne sont que les couples avec
leurs enfants mineurs et donc, elles n’ont pas le « droit » de loger
dans le même dortoir.
Il n’existe aucune loi qui dise une chose pareille. Ce n’est
là qu’invention pour montrer qui commande dans le centre et signifier à ces
dames qu’elles ne sont pas les bienvenues en Suisse, qu’elles sont des êtres
inférieurs, qui doivent obéir et supporter les contraintes qu’on leur impose
parce que c’est le rôle qui leur est assigné dans le centre, d’être soumises
aux injonctions de l’autorité qui traite de leur demande d’asile.
Une autre famille, un couple et leurs deux filles âgées de 5
et 7 ans, ont passé trois mois au centre de Vallorbe. Ils y souffraient de la
promiscuité, du manque d’activités et du manque de sphère privée. Les filles se
trouvaient mêlées de manière indistincte à un grand nombre d’adultes qui ne
sont pas de leur famille et avec qui elles n’ont aucun lien. Le dortoir
accueillait d’autres familles et il y avait beaucoup de va-et-vient, de gens
qui arrivent, d’autres qui partent, on ne sait où. Dans ce centre, il n’y a
aucun espace pour les enfants et rares sont les occupations qui leur sont
proposées, par des bénévoles, reçus au compte-goutte dans le centre qui ne
tolère pas les regards extérieurs. Il n’y a aucun ameublement dans le dortoir
qui n’est qu’un lieu de transit et ne peut donc pas servir de lieu de séjour.
La salle du réfectoire est immense et raisonne très bruyamment, de sorte qu’on
a rapidement mal à la tête. Les filles étaient éreintées par ces conditions de
vie. Le matin, elles ne parvenaient pas à se lever à 7h00 et elles ne
recevaient donc pas de petit déjeuner parce que la nourriture n’est distribuée
qu’aux horaires fixés. Il n’y a rien en dehors des heures de repas pour les
enfants.
Il n’existe aucune raison de procédure de maintenir les gens
aussi longtemps dans les centres fédéraux. L’audition, souvent unique, a lieu
dans la semaine qui suit leur arrivée et après, ils ne font qu’attendre une
décision qui leur est adressée par écrit et remise par les agents de sécurité sous
enveloppe fermée, sans explications. Ils pourraient tout aussi bien attendre
leur courrier dans un canton.
Si l’accueil d’urgence d’une population sans ressources et
sans aucun point de chute en Suisse implique sans doute des contraintes, cela
ne justifie pas une durée de séjour dans des centres aussi peu adaptés à
l’accueil des personnes vulnérables, malades, ou des enfants, pendant plus
d’une semaine. C’est uniquement comme pratique dissuasive en matière d’asile
que ces centres fédéraux prennent de plus en plus d’importance, et aussi comme forme
d’appropriation par le SEM de tout le champ de l’asile, y compris des
demandeurs d’asile eux-mêmes et de leur destinée, au prix de la liberté ou de
la dignité des gens, et au mépris de l’asile lui-même, c’est-à-dire de
l’accueil de celui ou celle qui, oppressé-e dans son pays d’origine, est en
quête de liberté.
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