9 février 2018
Rachel a dû faire ses trois mois au centre fédéral de
Vallorbe. Elle y aura passé toutes les fêtes de fin d’année alors que sa
procédure d’asile était terminée depuis le 28 novembre lorsque le SEM a
rendu une décision négative et de renvoi de Suisse. Elle est sans
famille dans ce grand centre de vie collective où on mange à la cantine
bruyante en faisant la queue son plateau à la main avec 150 autres
personnes, essentiellement des hommes, et où on dort dans la promiscuité
et le manque d’intimité dans des dortoirs collectifs sur des lits
superposés étroits, collés deux à deux pour gagner de l’espace, plantés
le long des murs en rang, autant que la pièce peut en contenir. « Les
gens viennent et partent et moi je suis toujours là. Je suis fatiguée et
angoissée. La nuit je ne dors pas. J’ai mal à la tête. J’ai des
problèmes de haute tension, à 170, 140, 150… Je suis très angoissée par
mon état, mais ils ne veulent pas que j’aille chez le médecin. J’ai vu
seulement un gynécologue, une fois, pour un contrôle. Je supplie chaque
jour pour aller voir un médecin. Ils me donnent du paracétamol et me
disent d’attendre mon transfert. Cela fait trois mois que j’attends.
Tous les jours je vais supplier Monsieur Olivier pour mon transfert,
mais c’est toujours « plus tard, plus tard ». Il y a des jeunes qui sont
restés deux mois, et moi, j’ai 55 ans, je suis toujours là… [pleurs] …
[pleurs] … [pleurs] … J’ai besoin de voir une psychologue… Je suis à
bout. »
Les raisons pour lesquelles les gens, et particulièrement
les personnes souffrantes ou socialement plus exposées, doivent rester
pendant des semaines voire des mois dans un centre fédéral aménagé comme
un hall de gare (mais sans les lumières des magasins) restent
mystérieuses. Serait-ce pour favoriser les échanges interculturels entre
les populations, pour la création d’un espace de vie communautaire
solidaire, ou pour le développement des activités économiques locales
par l’offre d’emplois de service d’intendance, de conseil en santé
naturelle et d’agent de sécurité ? Impossible de comprendre. Il n’y a
pas de raison autre que répressive en réalité, une volonté délibérée de
garder les gens sous l’emprise de l’autorité, en situation
semi-carcérale, dans la dépendance de survie et la soumission aux
injonctions et autres règlements internes. C’est une volonté
d’humiliation, c’est-à-dire d’écrasement de la liberté personnelle.
Lorsque le quotidien est réglé par l’autorité, on perd sa qualité
d’individu libre et autonome, c’est-à-dire sa dignité.
À la
question « pourquoi faut-il rester trois mois voire quatre mois dans un
centre fédéral ? », le SEM répond: « c’est parce qu’il y a un recours
contre notre décision négative ». Quel rapport ??! Ou bien : « C’est
parce que c’est la loi. » Trop facile… Même pour la notification de la
décision de renvoi, la présence au centre fédéral n’est pas nécessaire.
Les gens la reçoivent sous forme de courrier remis à l’entrée sans
aucune explication. Cela revient au même que de retirer l’enveloppe de
la boîte aux lettres à son domicile. Il n’y a que les actes de saisie
des empreintes digitales et d’audition des personnes en présence d’un
interprète qui peuvent justifier l’obligation de maintenir les gens au
centre fédéral. Ces actes sont généralement accomplis pendant la
première semaine du séjour. Au-delà de 7 jours, la prolongation de
l’assignation au centre dévalorise les personnes, les démoralise et les
épuise.
D’une manière générale, le critère de vulnérabilité des
femmes isolées a disparu des préoccupations des autorités fédérales. Les
autorités n’ignorent pourtant pas qu’elles proviennent de milieux
sociopolitiques discriminants et que la plupart d’entre elles ont déjà
été victimes d’abus et de violences.
Rachel par exemple est une
femme séparée d’un mari alcoolique et violent. Ce fait seul devait
entraîner son attribution rapide à un canton. Il fallait ajouter à cela
qu’elle a besoin de voir un médecin, qu’elle est une femme isolée alors
que la population du centre est essentiellement masculine ce qui est
inapproprié, et qu’elle est une femme d’un certain âge, qui a besoin
d’intimité, de repos et de pouvoir cuisiner ses propres repas selon ses
propres horaires. Les nuits dans les dortoirs collectifs et les repas de
pâtes huileuses au thon ne sont pas appropriés non plus. Ce régime de
vie en soi manque de respect à son égard. C’est sans compter les
fouilles et les contrôles de documents par des agents de sécurité en
uniforme à chaque sortie/entrée du centre, l’assignation à des tâches
ménagères et les interdictions de sorties dont elles sont assorties, et
les violences verbales ou physiques quotidiennes au vu et au su de tous.
Les résidentes comme Rachel sont contraintes d’en être les témoins,
simplement parce qu’elles sont là. Dans ce milieu très discipliné et
contrôlé, où aucune activité n’est prévue autre que d’attendre pendant
des jours et des jours, les bagarres sont fréquentes, entre les
requérants d’asile, ou à l’entrée lorsque les agents de sécurité se
disputent avec les jeunes hommes d’origine africaine, arabophone,
afghane ou d’Europe de l’est, peu importe.
D’une manière
générale, les femmes, les enfants, les personnes âgées ou malades en
pâtissent plus lourdement. Leur situation individuelle n’est pas prise
en compte. Le SEM n’a qu’un seul objectif : faire sa loi, plier la
population requérante d’asile à sa discipline, à ses instructions, à son
ordre juridique, celui de l’autorité toute puissante. Les femmes ou les
vieux n’ont qu’à s’adapter.
Pour citer ou reproduire l’article :
Femme isolée, âgée et malade : 90 jours au centre fédéral, février 2018, http://droit-de-rester.blogspot.ch/
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