Jeanne contre Goliath
F en B :
l’improbable régularisation (2)
Jeanne est une vieille dame de 83 ans qui est au bénéfice
d’une admission provisoire (permis F) depuis son arrivée en Suisse, il y a 18
ans. Sa demande de permis B, une « autorisation de séjour », lui a
été refusée. Pourquoi les autorités laissent-elles Jeanne dans une situation si
précaire ?
De nos jours, le canton de Vaud refuse encore régulièrement
l’octroi d’un permis B à des personnes arrivées âgées au bénéfice d’un permis
F. Les motifs principaux de ces refus sont qu’elles ne parlent pas assez bien le
français ou qu’elles n’aient jamais travaillé en Suisse. Etant arrivées, pour
la plupart, après 60 ans et parfois sans formation, ni alphabétisation, ces
exigences semblent être inadéquates pour ces situations. Malheureusement,
maintenir ces personnes dans des statuts précaires « d’admission
provisoire » n’est de loin pas une solution admissible. Le permis F
s’accompagne de diverses problématiques et craintes que l’on ne peut ignorer.
Tout d’abord, son renouvellement : en effet, le permis F est à redemander
chaque année et même s’il est rarement retiré, cela n’est pas à exclure
totalement. Ensuite, les aides sociales seront moindres, voire non octroyées
pour ces personnes âgées n’ayant jamais travaillé ou cotisé en Suisse. Par
ailleurs, l’interdiction de voyager sans avoir obtenu une autorisation du
Secrétariat d’État aux Migrations (SEM) est l’une des conséquences les plus
difficiles pour les personnes ayant un permis F.
Jeanne a aujourd’hui plus de 80 ans, il semble évident
qu’elle n’apprendra pas plus le français, ni aucun nouvel apprentissage dans ses
futures années. Ce qui est exigé d’elle par les autorités est illusoire. Il
s’agit d’une discrimination à l’encontre des personnes âgées qui n’ont pas ou
plus les mêmes aptitudes d’adaptation qu’avant. Jeanne a dû faire face à un
premier refus lorsqu’elle a demandé une autorisation de sortir de Suisse afin
d’assister au mariage de sa petite-fille dans son pays d’origine. Ce refus a
été accueilli avec beaucoup de peine. Cela faisait 17 ans qu’elle n’avait pas
vu sa petite-fille et elle savait que ce serait certainement la seule fois où
elle aurait pu la voir.
A ces situations particulières, les autorités appliquent des
critères généraux. Elles qui sont censées traiter chaque cas avec ses
spécificités semblent plutôt rassembler sous des critères inadéquats des
situations précaires nécessitant au contraire une protection accrue.
Ensuite, Jeanne a souhaité rendre visite à sa fille à
Londres. Cette dernière pour des raisons familiales ne peut se rendre en
Suisse. Jeanne souffre profondément de l’absence de sa fille unique. Son
médecin qui la suit depuis son arrivée appuie fortement cette demande en
rappelant que la patiente est âgée de plus de 80 ans et qu’elle présente des
idées suicidaires en péjoration avec la situation actuelle d’isolement
familial. Pour lui, aucun remède médical ne va pouvoir compenser le manque de
sa fille. Il insiste que même du point de vue médical, il est urgent que Jeanne
puisse se rendre auprès de sa fille. Son mari est mort en 2007 et elle n’a
aucune famille en Suisse. Vivre auprès de sa fille pour ses dernières années de
vie est son vœu le plus sincère.
Face à ce terrible refus, Jeanne a perdu tout espoir et goût
à la vie. Pourtant, notre Constitution stipule des droits à la liberté personnelle,
à l’intégrité physique et psychique (art. 10 Cst) et demande le respect de la
dignité humaine (art. 7 Cst).
Ce refus reste incompréhensible, ne serait-ce que par l’âge
de Jeanne et son intégration en Suisse depuis près de 20 ans. En effet, il est
inapproprié de réduire l’intégration aux compétences linguistiques. Jeanne
était largement intégrée au sein de son Eglise, par exemple.
La protection des droits et la défense juridique des
personnes migrantes est un combat. L’application des lois n’est pas neutre. Les
principales victimes de ce bras de fer inégal sont comme toujours des personnes
vulnérables qui mériteraient notre plus grande protection.
Pour citer ou reproduire cet article : « Jeanne
contre Goliath », article publié par Droit de rester pour tou.te.s,
janvier 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/
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