Résumé: Entrée en vigueur le 1er janvier 2008, la dernière révision de la Loi sur l'asile (LAsi) permet d'exclure de l'aide sociale les requérant-e-s débouté-e-s, qui se retrouvent soumis-e-s au régime de l'aide d'urgence. Ce dispositif, mis en place pour accélérer les « départs volontaires », prive une catégorie de la population des droits fondamentaux et de toute identité administrative, anéantit leur vie reconstruite en Suisse et les isole dans des centres semi-fermés, ce qui a pour conséquence de les atteindre gravement dans leur dignité humaine et dans leur santé psychique. Cette situation est renforcée par l'interdiction de travail, qui poussent les requérant-e-s débouté-e-s vers le travail clandestin ou les oblige à travailler dans des programmes d’occupation, dans des conditions qui échappent à toute réglementation du droit du travail et des conventions collectives. Cet investissement ne fait l'objet d'aucune reconnaissance lors de demandes de permis de séjour. Le mépris social entoure ainsi la vie des personnes débouté-e-s de l'asile. Mais elles agissent collectivement contre l'anéantissement de leur vie, pour la reconnaissance de leurs droits et dans le but de recouvrir un sentiment de dignité. Le collectif Droit de rester, actif à Lausanne, lutte pour la régularisation de leur statut de séjour.
Auteur-e-s :
Sabine Masson, Pierrot Fokou, Aubeline Wandji, Lucas Pida N'Tonga, Ariel Mendimi, Mounardiaw Barrow, Ibrahim Cissé, Bacari Sissoko[1]
Militant-e-s du Collectif droit de rester à Lausanne et de la Coordination asile-migration Vaud collectif@stoprenvoi.ch, ww.droitderester.ch
La dernière révision de la Loi sur l'asile (LAsi) introduit (en janvier 2008) l'exclusion de l'aide sociale de toutes les personnes déboutées[2]. Elles se retrouvent donc dans la même situation que les personnes frappées de non-entrée en matière[3] et sont soumises au régime de l'aide d'urgence. Ce système définit comme seul droit d'assistance le strict minimum vital. Pour les requérant-e-s débouté-e-s, elle se traduit par une aide en nature ou pour certaines catégories (famille, personnes vulnérables) par un montant de 9.50 Fr. par jour. Par ailleurs, l'aide urgence implique un dispositif de traitement particulier des personnes concernées: elles sont considérées en séjour irrégulier, elles n'ont aucun papier d'identité valable, elles sont radiées du contrôle des habitants, elles sont déplacées dans des centres d'aide d'urgence, leur hébergement est soumis à un contrôle de sécurité permanent et à des règlements de « maison » restreignant leur liberté et leur intimité, elles sont interdit-e-s de travail. Loin d'être une simple modification administrative, ce dispositif, conçu dans le but d'accélérer les « départs volontaires », déploie un ensemble cohérent de mesures qui ont pour logique l'exclusion d'une catégorie de la population des droits fondamentaux et l'atteinte à leur dignité humaine.
« Le site est isolé. Pour mieux nous stigmatiser. Pour que l'on parte. Tu ne peux rien, tu ne peux pas t'intégrer socialement, tu n'as pas accès à l'information. On ne doit pas vivre comme cela dans une démocratie. Tu deviens malade, à cause des conditions tu deviens fou, tu es tout le temps nerveux ».
« Des agents de sécurité sont parfois violents. Ils nous harcèlent, ils ne nous écoutent pas, ils ne nous répondent pas, ils nous poussent à réagir de manière forte. Si on perd le « papier » par exemple, maintenant ils nous renvoient au SPOP. Parfois des personnes sont restées à la rue [à cause de cela], alors qu'ils les connaissent, ils vivent là. (...) On n'a pas le droit à l'erreur, on doit être parfait ».
« Là où on vit, on est pas dans la loi, on n'a pas de respect, là il n'y a aucun droit. C'est pire que la prison. On a un seul frigo pour tout le centre. Une moyenne d'environ 130 personnes. Une télévision. Un micro-onde. Si tu veux manger, tu dois aller chercher à 18h15 ton jeton, si tu arrives après 19h15 ils ne donnent plus le jeton ».
Si la privation de dignité comme instrument pour faire partir les gens ne « marche » pas, car la plupart des gens résistent à cette pression et restent là[14], il produit ses effets sur les personnes, qui se sentent disparaître, qui perdent pied et deviennent malades, lorsqu'elles n'ont pas « opté » pour la clandestinité[15] ou ne sont pas en détention administrative en vue d'un renvoi, menace planant constamment sur les débouté-e-s. L'atteinte à la dignité constitue donc un instrument qui s'inscrit dans la politique d'asile transformée en politique de renvois et conduite par l'injonction de la traque aux « abus ». Au nom d'une « raison d'Etat », indépendamment de son caractère arbitraire et inhumain, il faut sortir par tous les moyens ces personnes de la procédure d'asile[16]. Des centres d'aide d'urgence aux centres de détention administrative, il n'y a d'ailleurs qu'une fine frontière. L'aide d'urgence comme disparition programmée, symbolique, administrative, psychique, sociale, des personnes est une mesure de contrainte, l'autre face du dispositif étant leur expulsion forcée.
Le papier « blanc »: symbole de violence
Le système de l'aide d'urgence, en plus de la mise en place des centres, produit une catégorie de personnes sans identité. Alors que l'intégralité du séjour des requérant-e-s d'asile est régulée par le contrôle et la gestion des autorités, les personnes qui ont reçu une décision exécutoire de quitter le territoire sont considéré-e-s comme illégaux sur le territoire suisse (même si la mesure s'avère impossible, illicite ou raisonnablement non exigible)[17]. Ils et elles n'ont par conséquent pas de papier d'identité valable. L'autorité cantonale compétente (le Service de la population, SPOP, pour le canton de Vaud) leur délivre uniquement une attestation d'octroi d'aide d'urgence, qui doit être renouvelée tous les mois. Cette simple feuille ne comporte aucune photo, mentionne que la personne est en séjour irrégulier et reçoit l'aide d'urgence. Pour toute démarche administrative, cette attestation n'a aucune valeur. Cela implique que les requérant-e-s débouté-e-s, en plus de n'avoir aucun argent, sont aussi empêché-e-s de vivre normalement par un harcèlement administratif incessant. Pour les démarches auprès de l'office des poursuites ou de l'état civil par exemple, ou pour un simple contrat d'abonnement de téléphone ou le retrait d'un colis à la poste, les personnes sont considérées sans papier. Or la feuille d'aide d'urgence est une manière particulière d'être sans papier, elle est ce que les débout-é-e-s ont appelé le « permis zéro » ou le « papier blanc », qui implique l'obligation de le montrer en même temps que l'invisibilisation et le mépris de celle/celui qui le présente:
« Le papier « blanc » est un symbole de violence: pas de photo, juste écrit « illégal sur le territoire ». La manière dont les citoyens perçoivent ce papier, il faut du courage pour le sortir, ça te fait violence (...). Moi ça fait 5 ans... Avec ce papier tu ne peux rien faire, tu ne peux pas souscrire à un abonnement de téléphone, à un abonnement de bus, on est donc obligés de trouver toujours un système D. Ton quotidien c'est formuler quelque chose pour pouvoir survivre. Toutes les semaines je me demande ce qui va se passer, je vis avec la tête qui tourne. C'est un symbole de dénigrement ».
Le « papier blanc » implique également des fouilles et contrôles réguliers dans les transports publics et la légitimité d'agents ou de fonctionnaires, non compétents en la matière, d'ordonner le départ du territoire suisse, alors même que l'attestation est en règle. Il arrive également qu’au SPOP, lorsque le/la requérant-e vient renouveler son attestation, la personne au guichet développe un zèle de sa fonction, en intimant aux demandeurs/euses d'asile débouté-e-s de partir. Pour les gens, c'est une accumulation de pressions et d'attaques au quotidien:
« Il y a de l'intimidation. (...) Une fois que tu arrives dans un lieu administratif et que tu sors ce papier c'est comme si tu l'as insulté, tout le monde rigole, toi tu es devenu comme si on te faisait un procès, il se disent que tu te moques d'eux, (...) parfois ils appellent la police, on te prend les empreintes, on te fouilles, jusqu'à ce qu'on appelle tout le Schengen, et le SPOP ».
Le vécu d'un tel statut produit des dégâts psychiques, car les porteurs/euses du « papier blanc » sont aussi porteurs/euses d'un stigmate, d'un jugement social qu'ils/elles finissent par intérioriser, ainsi qu'un sentiment d'inutilité, de vide, de culpabilité:
« Le but c'est de te présenter à la société comme quelqu'un qui n'a pas sa place ici, quelqu'un qui n'est que négatif, uniquement stigmatisé. Les autorités poussent les gens à se méfier de nous ».
On se trouve là au cœur des effets d’un « régime d’assistance minimale » dont le véritable but n’est pas la garantie d’un droit d’assistance, mais son instrumentalisation par la politique d’asile comme un nouveau mécanisme de la stratégie de dissuasion d’asile développée au cours des années 1980-1990[20]. Le régime de l'aide d'urgence constitue ainsi un outil « visant à améliorer le dispositif d'exécution des renvois »[21]. Par la différence de traitement qu'elle instaure du point de vue de l'assistance et du statut administratif, cette stratégie dissuasive, à défaut de renvoyer les gens, a pour effet tangible et final le démembrement psychologique de la personne:
« Pour beaucoup, une fois que ton statut change [débouté], tu te recroquevilles, tu as honte, tu te sens coupable psychologiquement, c'est une question qu'on se pose: pourquoi je suis différent de l'autre, tu te sens coupable mais tu ne sais pas pourquoi, parce que tu te dis que tu es limité, une fois que tu as pas le papier tu es limité, tu n'est plus l'égal de celui qui a les papiers ».
Cette violence rejaillit sur les relations entre migrant-e-s, elle se répercute entre les gens par des formes de dénigrement mutuel. L'intériorisation des statuts différentiés (débouté-e-s, permis N, permis F) divise les personnes entre elles, car elles en viennent à « se regarder avec cette vision », une vision des autorités, de la société, qui hiérarchisent les individus en fonction du permis:
« Même avec les amis, quand on sort le papier, le regard change, tu perds ton estime, tu es sous-estimé dans cette société parce que on se dit « celui-là... », pourtant on est tous pareil »
L'octroi de ces différents statuts s'organise dans une logique arbitraire qui entretient les divisions et les frustrations. Ces divisions contribuent au repli individuel et à la résignation des requérant-e-s débouté-e-s, affaiblissant les solidarités. Des conditions communes constituent pourtant ces personnes en tant que groupe, rassemblées par l'exil et par la politique migratoire suisse, qui les confrontent toutes et tous à des formes de discrimination en raison de leur statut de séjour.
« Interdit-e-s de travail »?
« En juin cela fera 15 ans que je suis en Suisse. J'ai travaillé, ensuite on m'a interdit de travailler et on m'a dit de rentrer. La loi je la comprends pas, elle est absurde ».
Les personnes débouté-e-s de l’asile sont également soumises à l’interdiction de travail (art. 43 LAsi). Cette exclusion du marché du travail constitue une autre mesure de dissuasion de la politique d'asile, afin d’accroître la pression au départ sur les personnes déboutées par leur extrême précarisation sociale. L’interdiction de travail tombe comme un couperet dans la vie d’un-e requérant-e d’asile. Associées au déplacement en centre d’aide d’urgence, ces deux mesures produisent une véritable aliénation sociale des personnes. Or comme dit précédemment, une grande partie des personnes déboutées sont en Suisse depuis de nombreuses années et ne peuvent être renvoyées. Durant les années passées en Suisse avant la décision négative sur leur demande d’asile, pour les personnes qui n’ont pas été frappé-e-s de NEM, elles ont souvent travaillé. Titulaires d’un permis N, en dépit de l’extrême précarité de séjour et d’emploi que confère ce permis, elles ont construit tant bien que mal leur autonomie financière. Au moment de l’interdiction de travail, la dignité acquise au cours de ce processus de construction d’une indépendance s’envole.
« On a travaillé, tout payé, cotisé, payé des impôts, tout cela prouve qu'on est intégré-e-s, ensuite on nous oblige d'arrêter le travail, ça c'est nous soumettre à quelque chose, (…) on passe ainsi des mois, des années dans la misère ».
Tout comme le dispositif d’aide d’urgence, la mesure d’interdiction de travail échoue dans son but avéré. Les personnes ne quittent pas le territoire. D’ailleurs, où iraient-elles, après des années passées loin d’un pays avec lequel ils/elles n’ont plus de lien, où elles craignent des représailles, l’ostracisme, l'isolement, voire la mise en danger de leur intégrité physique? Dès lors qu'elles restent en Suisse, le travail clandestin devient la seule option de ressources financières, l’aide d’urgence étant insuffisante pour vivre. Mais le travail clandestin est rendu moins accessible et plus dangereux depuis l’entrée en vigueur de la Loi sur le travail au noir (LTN). Sans permis, et souvent sans réseau, il est extrêmement difficile pour les personnes débouté-e-s de trouver un emploi. Elles sont repoussées, comme la main d'œuvre sans papier, vers les limites du marché du travail les plus éloignées du droit et de toute protection. Pour les femmes déboutées de l’asile, cette précarité est accrue par la moindre reconnaissance de leurs compétences, une plus forte ségrégation de l’emploi marquée par le genre, et leur investissement dans le travail domestique, le soin et l’éducation des enfants, activités d’autant plus lourdes qu’elles s’effectuent dans les conditions imposées par le régime de l'aide d'urgence.
Pour ces dernières en particulier et pour la plupart des personnes débouté-e-s, lorsque l’isolement et la stigmatisation ne conduisent pas à la dégradation psychique de la personne, les programmes d’occupation demeurent l'unique source de « revenu » et de maintien d’une activité sociale. Les programmes d’occupation pour les requérant-e-s d’asile font partie des prestations de l'EVAM qui les présente comme des « mesures d'intégration ». Selon cet établissement, ces programmes sont un succès et « ne connaissent pas la crise »[22]. Ils rencontrent un important investissement de la part des participant-es (requérant-e-s en procédure ou débouté-e-s) et représentent un volume élevé d'activités réalisées dans des domaines divers (traductions, nettoyage, bâtiment, distribution de nourriture, récupération du PET dans les bus lausannois, intervention d'auxiliaire de vie auprès de personnes en difficulté, location de vélos, etc.). En dépit d'une rémunération symbolique (300frs par mois pour 20h par semaine), les personnes travaillent. Elles font parfois le tour de tous les programmes proposés et vivent cette situation comme une injustice:
« On a pas le droit de travailler, mais on a le droit d'être exploités dans des programmes d’occupation. Cela arrange l'EVAM, parce qu'il gagne plus. Par exemple, l'EVAM devrait payer plus s'ils engageaient quelqu'un pour peindre, nettoyer, comme aide-cuisine, médiateur de cuisine (formateur de la personne suivante). Ils nous utilisent ainsi ».
Cette mobilisation de main d’œuvre qui échappe à toute réglementation en matière de droit du travail met en évidence, une fois encore, le caractère paradoxal de la politique d’asile : si les personnes doivent partir, pourquoi travaillent-elles durablement dans des emplois pour ainsi dire non payés et non reconnus comme tels? Cette assignation des requérant-e-s d'asile à des travaux privés de droits s'inscrit dans une politique économique qui s'appuie sur des modalités d'emplois flexibles et précaires en fonction notamment du statut de séjour. Pour l'EVAM, ce type d'activité n'est pas un véritable travail et ne fait pas l'objet d'un contrat. Il recouvre pourtant des tâches rémunérées propres à certains secteurs comme celui du nettoyage ou du bâtiment, et dont les conventions collectives ne sont ainsi pas respectées[23].
Exclu-e-s du droit du travail et discriminé-e-s dans l'accès aux droits de base, les débouté-e-s forment des « sans-part »[24] en Suisse. Des personnes qui vivent là, travaillent là, et qui sont privées de toute appartenance citoyenne, car le permis de séjour régule l'accès à la vie en commun. Elles se retrouvent ainsi privées du « droit d'avoir des droits »[25], c'est-à-dire en définitive de toute place dans une communauté qu'elles contribuent pourtant à faire vivre. Alors que les requérant-e-s sont productifs/ves de travaux et de services, cet investissement ne fait pas non plus l'objet d'une reconnaissance ouvrant la voie à une régularisation du statut de séjour[26]. Après parfois plusieurs années d'investissement dans ces activités, leur demande de régularisation est rejetée au motif qu'ils/elles n'ont pas travaillé ou qu'ils/elles ne sont pas intégré-e-s. Cette non-reconnaissance de leur travail, et plus largement de leur contribution à la vie en commun, leur ôte l'estime sociale nécessaire à la construction personnelle et à la perception positive de soi[27].
« A un certain moment on peut dire stop à cette loi arbitraire »
La violence symbolique et administrative qui enserre comme un étau la vie des requérant-e-s débouté-e-s rencontre la colère. Les débouté-e-s résistent et agissent collectivement contre l'anéantissement de leur vie et pour la reconnaissance de leurs droits. Dans le canton de Vaud, le Collectif droit de rester (membre de la Coordination asile-migration Vaud), constitué de migrant-e-s et de non-migrant-e-s, lutte depuis fin 2007 contre les conséquences de l'entrée en vigueur de la LAsi, en particulier contre le régime d'aide d'urgence, et plus largement contre la politique cantonale et fédérale de détention et d'expulsion des étrangers-ères. Cette action s'oppose à l'arbitraire de la politique d'asile, exige le respects des droits des migrant-e-s et revendique plus fondamentalement la liberté de circulation pour toutes et tous.
Au quotidien, la lutte se situe aussi sur un plan de la pensée et de l'imaginaire. Il s'agit de changer le regard stigmatisant porté sur les requérant-e-s d'asile et de transformer la manière dont ils et elles ont intériorisé cette violence, pour recouvrir ainsi une intégrité psychique et le sentiment de dignité. Comment la colère parvient-elle à s'exprimer? La sortie de l'isolement, l'entrée en contact avec des militant-e-s, la prise de conscience qu'il existe des droits qui ne sont pas respectés, des conventions sur les droits humains qui sont bafouées, a constitué pour beaucoup le premier pas pour se dire que la révolte est légitime, que le problème n'est pas dans les personnes, mais dans la politique migratoire. Surgit la volonté de montrer l'injustice vécue, de la dire, de convaincre, de créer des solidarités, de montrer qu'il n'est pas normal de traiter les gens de la sorte, que les gens méritent mieux. Et la vie reprend le dessus, aussi parce que c'est ici et maintenant qu'elle se joue, qu'elle se reconstruit.
« On se dit qu'on n'a plus rien à perdre, on se jette dans la dernière bataille et on continue. On est motivé aussi parce qu'on est réellement en danger dans notre pays, on se bat jusqu'à la dernière énergie. Aussi parce que cette bataille a apporté des fruits, certains ont été régularisés alors qu'ils étaient prêts à partir, désespérés, en luttant ils ont obtenu quelque chose. Le vrai danger du retour cela motive. La durée sur le territoire pousse aussi à l'insoumission. Après 5 ans, tu vas où? Tu as des amis ici, là-bas c'est fini. Tu as aussi des outils en plus que quand tu es arrivé »
Fondamentalement, les débouté-e-s demandent une vie normale. Un logement digne, un travail, un salaire, une liberté de mouvement, cesser d'être harcelé-e-s au quotidien, être respecté-e-s. Concrètement, la lutte vise à faire reconnaître un droit de rester par le biais d'une régularisation du statut de séjour. Ceci implique de reconnaître non seulement les motifs d'asile, mais aussi l'appartenance et la participation à la société suisse. La lutte a ainsi combattu la disparition programmée des gens en les rendant visibles, en montrant qu'ils et elles sont là, déterminé-e-s à rester. Des avancées concrètes ont constitué le fruit de cette lutte. Des choses qui paraîtront dérisoires comme obtenir le droit de chauffer un biberon dans une chambre, de recevoir de la nourriture non pas en barquettes mais sur un plat, ont amélioré le quotidien. D'autres bouts de victoires comme pouvoir vivre en appartement ou gagner un recours contre un transfert d'un centre à un autre, ont redonné de la force aux gens. Plusieurs permis sont tombés aussi, qui ont montré que le combat n'est pas vain. Mais l'aboutissement de la lutte ne se mesure pas seulement au nombre des résultats tangibles. Le maintien d'un rapport de force au quotidien, même dans un contexte fort difficile pour le mouvement, offre un rempart contre la violence symbolique, car il déstabilise celles et ceux qui l'exerce et renforce la capacité de réponse des personnes qui la subissent. Enfin, cette action se joue au niveau personnel, dans la possibilité de retrouver un sens à sa vie.
« Les nouveaux arrivés pensent que cela ne sert à rien, parce qu'ils voient qu'on est toujours dans la même situation. Moi j'y crois, pour moi-même, je prend le courage pour me battre et peut-être qu'un jour cela va changer, des gens, des Suisses, vont nous voir autrement. Pour soi cela aide aussi, ça nous donne une confiance, on connaît nos droits. Cela change la situation de déprime, ça change les idées et te redonne le moral, on peut échanger des idées pour essayer d'aller mieux. Quand tu connais les gens, cela fait du bien ».
[1] Ce texte est le résultat d'un atelier d'écriture mené par le Collectif droit de rester et mis en forme par Sabine Masson. Le texte a été écrit dans l'esprit du Collectif qui lutte notamment contre le système d’aide d’urgence, contre les renvois forcés et pour la régularisation et les droits des personnes migrant-e-s. Le texte reprend également des analyses élaborées dans les tracts, les brochures et les films produits par le collectif. Merci à tout le monde pour cette lutte courageuse et créative. Merci tout particulièrement à Linda Gubler pour sa relecture attentive et ses commentaires éclairants sur ce texte.
[2] « L'octroi de l'aide sociale et de l'aide d'urgence est régi par le droit cantonal. Les personnes frappées d'une décision de renvoi exécutoire auxquelles un délai de départ a été imparti peuvent être exclues du régime d'aide sociale » (Art. 82 al. 1 LAsi). Les autorités cantonales ont donc la possibilité de maintenir l'aide sociale pour les requérant-e-s. Précisons également que l'aide sociale de la Loi sur l'asile (LAsi) est un régime déjà d'exception par rapport à l'aide sociale accordée aux titulaires du passeport suisse, du permis B ou C.
[3] Dans la continuité des premières révisions de la LAsi au cours des années 1980 visant à limiter l'accès à la procédure d'asile par le biais d'un tri entre « vrais » et « faux » réfugié-e-s et la catégorisation de certaines demandes comme infondées (Alain Maillard & Christophe Tafelmacher. Faux réfugiés? La politique suisse de dissuasion d’asile. Lausanne, Editions d’en bas, 1999), la troisième révision en 1990 refuse l'entrée en matière pour les ressortissant-e-s de pays classé « sûrs » par le Conseil Fédéral et l'arrêté fédéral urgent de 1998 introduit l'absence de papier comme autre motif de « non-entrée en matière » (Linda Gubler, Aide d’urgence ou quand le droit est au service de la violence d’Etat. Une réflexion autour de l’Etat de droit à travers l’exemple de la mise en œuvre de l’aide d’urgence dans le Canton de Vaud. Mémoire de licence en sciences sociales. Université de Lausanne, septembre 2009, p. 25).
[4] Selon une circulaire du Service de la population du 8 novembre 2007, destinée au Contrôle des habitants du canton, les structures d'hébergement d'urgence ne constituent pas des lieu de résidence, les personnes sont donc sorties des registres (Bulletin de SOS Asile No 86, 1er trimestre 2008, p. 1).
[5] Voir notamment les travaux de Frantz Fanon, Aimé Césaire et Albert Memmi sur les mécanismes de domination des régimes coloniaux français en Afrique du Nord et aux Antilles.
[6] Débouté-e-s debout, Collectif droit de rester, Coordination asile-Vevey, Prod. Coordination asile-Vaud, Lausanne, juin 2009, 22 min.
[7] Selon la Loi sur l'aide aux requérants d'asile et certains catégories d'étrangers (LARA), la gestion de l'hébergement des requérant-e-s d'asile fait partie de la mission de l'EVAM. Le fonctionnement des établissements est défini par un règlement de maison interne à l'EVAM.
[10] Collectif droit de rester (2009), 19 mois d'actionS contre la Réaction. Recueil de textes publiés. Lausanne: Coordination asile-Vaud, p. 24.
[11] Patrick Bodenman et.al., « Durcissement des lois sociales et santé des migrants forcés », Revue Médicale Suisse N° 181, 26/11/2008, http://revue.medhyg.ch/article.php3?sid=33602.
[12] Voir Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs. Paris: Editions du Seuil, 1952; Albert Memmi. Portrait du colonisé. Portrait du colonisateur. Paris: Gallimard, 1957/2002.
[13] EVAM, règlement de maisons: foyers, http://www.evam.ch/fileadmin/groups/1/documents_pdf/R%C3%A8glement_foyers_2010.pdf.
[14] Comme le reconnaît également l'EVAM: voir interview de Emmanuelle Marendaz-Colle, porte-parole de l'EVAM, Journal 20minutes, 18 août 2008.
[15] L'EVAM reconnaît la clandestinité comme l'une des « voies possibles pour les déboutés ». A part bien sûr le départ, et l'aide d'urgence, il leur reste un « autre projet », à savoir: « la clandestinité, le départ pour un pays tiers, le mariage ou une demande de régularisation selon l'art.14 LAsi » (EVAM: « Aide d'urgence. Des changements pour les requérants déboutés », http://www.evam.ch/).
[16] Comme cela a déjà été démontré, « la majorité des réfugié-e-s visé-e-s par des ordres de départ disparaît », ChristopheTafelmacher, « Droit contre raison d'Etat », in La politique suisse d'asile à la dérive, Lausanne: Editions D'En Bas, 2006.
[18] Selon la Lasi (art. 82, alinéa 3): « l'octroi et la durée de l'aide d'urgence doivent être justifiés ». Dans la pratique, les autorités n'arrivent pas à appliquer leur délai de départ et les décisions d'octroi de l'aide d'urgence sont donc renouvelées indéfiniment. En outre, même quand l'exécution du renvoi est suspendue dans le cadre d'une procédure extraordinaire, l'aide d'urgence est maintenue. Or ces procédures extraordinaires peuvent durer très longtemps.
[19] Le concept d'infra-droit appliqué aux étrangers-ères a été développé par Danièle Lochak dans son ouvrage Etrangers: de quel droit?, Paris: PUF, 1985, et désigne « un droit au rabais, qui ne reconnaît pas les personnes étrangères comme des sujets de droit et qui est par conséquent uniquement au service du pouvoir étatique », voir: Linda Gubler, op.cit, p. 63.
[22] EVAM, « Petit inventaire de l'activité 2009 des programmes d'occupation », http://www.evam.ch/no_cache/actualites/archives/details-archive/periode/2010/janvier/article/petit-inventaire-de-lactivite-2009-des-programmes-doccupation/?cHash=62ff273a28&sword_list[0]=occupation.
[23] En 2006, le syndicat SUD a mis en évidence le caractère de dumping salarial des emplois de nettoyage proposés par la FAREAS (actuellement EVAM) en partenariat avec l'entreprise des Transports lausannois (TL). Le syndicat a dénoncé l'absence de contrat et la rémunération de 3 francs 65 de l'heure, et ainsi la violation de la Convention collective de travail (CCT) dans le domaine du nettoyage (Jérome Ducret, « SUD se fâche contre « l'exploitation » des réfugiés », 24H, 02.05.06). Les observations récentes avec des requérant-e-s débouté-e-s actifs-ves dans des programmes d'occupation ont également montré des problèmes relatifs à l'absence de contrôle des conditions et des relations de travail, notamment pour le nettoyage des centres. Une situation aggravée par l'absence de contrat de travail et par conséquent de possibilité de reconnaissance de droits en cas d'éventuel conflit de « travail ».
[24] Marie-Claire Caloz-Tschopp, Pierre R Dasen (2004), Parole, pensée, violence dans l'Etat: une démarche de recherche, Paris: L'Harmattan.
[25] Hannah Arendt, Les Origines du totalitarisme, vol. 2: L'Impérialisme, Paris: Fayard 1982/Galllimard 2002.
[26] En vertu de l'art. 14 LAsi, qui définit la possibilité de requête d'un permis B humanitaire si la personne séjourne en Suisse depuis au moins cinq ans, si le lieu de séjour de la personne a toujours été connu des autorités et s'il s'agit d'un cas de rigueur grave en raison de l'intégration poussée de la personne concernée.
[27] Axel Honneth (1996). « La dynamique sociale du mépris. D’où parle une théorie critique de la société? », in Rainer Bouchaindome (Ed.), Habermas, la raison, la critique, Paris: Editions du Cerf.
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