Le 29 juin dernier, un petit groupe du collectif Droit de rester, membre de la Coordination Asile-migration Vaud, s'est rendu à la séance de l'information de l'Evam concernant l'ouverture d'un nouvel abri PC qui va « accueillir » 60 requérants d'asile (hommes seuls) dont une majorité (?) de déboutés. Nous y sommes allées pour marquer notre présence, faire entendre notre voix et aussi observer les autorités dans ce type d'exercice. Ce fut en effet assez instructif, mais pas tout à fait comme nous l'avions imaginé. Chronique:
« Bonsoir Mesdames et Messieurs, ce soir nous sommes réunis pour parler du problème des requérants d'asile ». C'est ainsi que le syndic de la commune du Mont, M. Daniel Grosclaude, a ouvert la soirée de manière fort attrayante. D'entrée, si vous n'aviez pas vraiment d'avis sur la question, vous êtes déjà « informé » qu'il s'agit d'un « problème » et que celui-ci est le fait « des requérants ». A suivi une présentation par M. Pascal Rochat de l'Evam du « plan d'exploitation » de l'abri, qui commence par donner aux citoyen-ne-s du Mont l'assurance de leur entière protection grâce à des mesures de surveillance, de restriction d'accès des requérant-e-s à l'abri de jour, de sa fermeture (par les grilles à l'extérieur) la nuit, et surtout par une subtile organisation-horaire qui permet d'éviter tout contact avec les enfants de l'école voisine. Si l'on était par hasard venu sans opinion particulière sur le fait que des élèves allaient croiser des personnes migrantes (fait assez banal somme toute dans la région lausannoise et parmi ces élèves certain-e-s sont peut-être aussi migrant-e-s...), force est de réviser rapidement son jugement et se dire qu'au fond, c'est vrai, si on y réfléchit bien, c'est assez angoissant. A force d'insister, dès le départ, sur la protection des citoyens, la surveillance et le cantonnement des requérants, les autorités plantent en effet le théâtre de la menace. La présentation se veut rassurante, et continue en annonçant l'existence d'un groupe de contact de l'abri, d'un groupe de suivi de l'abri, ainsi que de la coordination de l'Evam avec la gendarmerie, dont le responsable est présent et se veut lui aussi très très rassurant. Il affirme même que dans l'abri de la Côte il ne se passe rien. Ouf!
S'ouvre ensuite une série de questions dans la salle. La première s'enquiert de la possibilité d'autres lieux pour loger les requérant-e-s, étant donné que cet abri doit être provisoire. Philippe Leuba abonde alors dans le sens de la question, en confirmant qu'il s'agit bien d'une structure temporaire, que le cantons a plusieurs projets de construction de structures « hors-sol » pour y déplacer les requérants et que surtout le canton compte avec le soutien de la Confédération, qui tarde à venir s'impatiente M. Leuba, en vue de l'ouverture de 300 places dans des cantonnements militaires. De plus, l'autre solution est très simple: l'accélération des procédures d'asile devrait permettre de réduire toujours plus le temps d'attente et donc de limiter le besoin de logement. Enfin, encore plus efficaces, des expulsions plus rapides devraient aussi réduire ces fâcheux problèmes d'hébergement. Philippe Leuba a d'ailleurs rappelé à ce propos que le canton de Vaud est celui qui expulse le plus de personnes ayant été condamnées pénalement, triste performance qu'il a brandit 3 fois durant la séance, espérant ainsi rasséréner son auditoire. Deuxième question: pourquoi met-on les requérants dans les agglomérations urbaines et non dans des baraquements à la campagne et à la montagne? Une question qui semble avoir particulièrement plu à M. Leuba qui s'empresse de répondre: « nous en avons aussi au fin fond du Valais !» », et de nous faire ensuite un exposé sur l'équilibre et la proportionnalité acceptable entre requérants et population locale et donc l'impossibilité de mettre « ces gens » dans un petit village, la proportion se rapprochant affreusement du 1 pour 1! Il est donc pour ainsi dire mathématiquement juste de « répartir de manière équitable » le poids, le fardeau, bref le problème entres les régions, villes et villages. Une personne qui serait entrée dans la salle à ce moment aurait pu croire à une discussion sur la répartition et la gestion des déchets nucléaires.
Deux questions ont suivi sur la sécurité des enfants (après l'introduction sur l'école, il fallait s'y attendre). Là M. Leuba s'est fait très très compréhensif. Lorsqu'une lorsqu'une mère a manifesté sa crainte pour ses petites filles, surtout lorsque « ces gens » iraient fumer dehors la nuit, le conseiller d'Etat, touché, s'est presque confondu en excuses de devoir, malgré lui, ouvrir cet abri, ce qui, il le reconnaît, est une très mauvaise nouvelle pour la population. Il est désolé. Les cantons n'ont pas le choix. N'ont pas manqué enfin deux questions sur le trafic de drogue et la nationalité nigériane d'une partie des requérants du futur abri, mais là les réponses sont bien rodées: l'Evam ne tolère pas les stupéfiants et le canton expulse à tour de bras. Re-ouf!
Donc jusque là, tout allait bien pour Messieurs Imhof, Rochat et Leuba. Puis, après ces quelques premières questions brossant dans le sens du poil la machine politique de l'éloignement des migrant-e-s, sont venues d'autres questions moins ronronnantes. Une femme veut savoir ce qu'il advient des personnes après qu'on les ait renvoyées et si elles vont en prison dans leur pays? Mais enfin Madame, quelle drôle de question! Se préoccuper des personnes! Néanmoins, conciliant et très à l'écoute, M. Leuba l'a aussi rassurée en souriant: « non, non, Madame, ne vous en faites pas, ils ne vont pas en prison, ils rentrent simplement chez eux! ». Re-re Ouf! Mais d'autres interventions (de femmes toujours) se font plus insistantes, en revenant sur cette histoire de personnes. L'une d'entre elles rappelle que la mauvaise nouvelle c'est que si des personnes demandent l'asile c'est parce que des êtres humains sont persécutés et doivent fuir leur pays, et que donc l'attitude logique est de les accueillir plutôt que de se barricader dans la peur. Applaudissement dans la salle! Le trio à la table esquisse un sourire forcé. Plusieurs autres interventions suivent, toutes dans le même sens, pour rappeler que les requérant-e-s sont des personnes comme nous, sauf qu'ils ont dû quitter leur pays. Une assistante sociale, une enseignante, une pasteure parlent à tour de rôle de leur expérience positive avec les migrant-e-s, tordant le coup aux préjugés, et demandent à la commune d'organiser des rencontres et des activités avec les requérants de l'abri qui va s'ouvrir.
Le sourire du trio à table est de plus en plus figé. Il est évident qu'ils n'ont pas anticipé ce type de questions. Lorsqu'un ancien requérant d'asile prend la parole pour parler de son parcours, de sa situation et qu'il ose démonter l'affirmation de M. Leuba sur le fait que la « grande majorité » des requérant-e-s ne sont que des « réfugiés économiques », le trio ne sourit plus. Il deviendra finalement carrément hostile lorsque nous prenons la parole en tant que membres de la Coordination asile-migration Vaud pour dénoncer la politique de criminalisation et de mise à l'écart des personnes migrantes. Le masque est tombé!
Cette petite incursion en terrain communal de la périphérie lausannoise nous aura fourni un exemple très parlant de la manière dont les autorités façonnent dans la tête des gens « le problème de l'asile ». On aura pu constater de manière très concrète comment le racisme institutionnel tente de s'implanter dans les modes de vie et les opinions des gens. Et nous aurons pu découvrir qu'une majorité de personnes ne marchaient pas dans la combine. Le message de haine que M. Leuba était venu proférer n'a pas (encore, ici) trouvé de terreau très fertile. Mais il s'y attèle, c'est certain.
Progressivement, les stades de tolérance de l'intolérable sont ainsi franchis, comme la justification de l'éloignement et de l'enfermement d'être humains dans des baraquements militaires en montagne (partie du projet de la Conseillère fédérale Sommaruga), que M. Leuba n'a pas seulement évoqué mais vanté. Tout devient ainsi normal: les renvois, la détention, les conditions inhumaines de subsistance, les situations administratives humiliantes et harassantes, le contrôle, la suspicion, l'enfermement, la surveillance, etc. Et c'est précisément lors de séance de désinformation comme celle à laquelle nous avons assisté, faite d'amoncellement de préjugés, que l'intolérable finit par être « accepté » par la population. Alors l'Etat peut affirmer que c'est pour contrer la peur, la xénophobie et l'UDC qu'il faut voter des lois de plus en plus restrictives, des lois désormais contre l'asile et surtout contre les migrant-e-s.
Lausanne, le 4 juillet 2011
ce texte est paru dans Le Courrier le 27 juillet 2011
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