dimanche 10 août 2014

L’EVAM persécute les personnes malades




6 août 2014      Dans son rapport sur la façon de « gérer la sortie des personnes déboutées des centres d’accueil et de socialisation » (2012), c’est-à-dire de dissuasion des demandeurs d’asile de demeurer en Suisse, l’EVAM a décidé qu’il fallait désormais renoncer à prendre en compte les motifs médicaux des intéressés. Les gens malades ne pourront ainsi plus être considérés comme vulnérables sur la base d’un certificat médical. Seule l’administration en décidera au cas par cas, dans l’idée que ces cas seront rares. Et en effet, ils se sont raréfiés au point que les personnes malades reçoivent le même traitement que les autres, tels des placements au sleep-in ou en abri antiatomique fermés pendant la journée, ou des placements dans des centres collectifs inappropriés à leur situation de santé. Ces conditions de vie particulièrement éprouvantes, ainsi que la paperasserie langue-de-bois justifiant toutes les mesures par l’application de « la loi », qui accompagne les comportements répressifs de l’administration bureaucratique, ajoutent à leurs souffrances, les épuisent et contribuent à la dégradation de leur état de santé.
Il s’agit de formes de violences qu’il faut considérer comme graves, en raison des dommages progressifs que ces mesures portent à l’intégrité morale et physique, en raison du manque de respect à l’égard de la personne souffrante dont l’EVAM fait preuve, et du caractère délibéré des différentes atteintes à leur sécurité que ces personnes subissent. On ajoutera au catalogue des violences infligées par l’administration, le traitement bureaucratique aveugle et systématique des gens en demande d’aide, selon des schémas prédéfinis, dépourvu de tout accompagnement social individualisé. A l’EVAM, c’est pratiquement l’ordinateur qui décide, à partir d’un logiciel aléatoire de distribution des places d’hébergement, sans qu’aucune donnée personnelle relative à la situation individuelle des gens ne puisse être introduite dans ces savants calculs statistiques.
Le respect des droits de l’homme se limite à l’application mécanique de « la loi ». Le respect de la dignité des personnes n’est pas une simple question d’application de la loi, mais de considération à l’égard de la particularité propre de chacun. Est digne celui ou celle qui, dans une situation particulière, obtient la protection de ses intérêts au-delà, voire contre la loi générale et abstraite. La Cour européenne des droits de l’homme définit la démocratie comme le respect des minorités contre la dictature de la majorité, c’est-à-dire comme la capacité de prendre en considération, malgré la règle générale ou l’avis de l’opinion majoritaire, la spécificité de la situation des personnes qui ont un besoin d’être traités autrement (Bayatan c. Arménie, n°23459/03, 2011, § 126). C’est-à-dire que, dans le domaine du respect des droits de l’homme, l’application de la loi n’est jamais une justification en soi à un traitement donné.

Une vieille dame envoyée au marathon de « l’octroi de l’aide d’urgence »

Il s’agit d’une dame de près de 70 ans qui est placée au centre de Ste-Croix, avec son neveu qui est dans un fauteuil roulant. L’EVAM l’a envoyée à Lausanne seule et sans accompagnement pour l’accomplissement des formalités administrative. Elle ne peut pas se déplacer seule. Elle est complètement perdue, elle panique, elle est illettrée et elle ne parle pas un mot de français. Son neveu s’est débrouillé pour trouver quelqu’un au centre d’hébergement qui accepte de l’accompagner jusqu’à Lausanne, un jeune somalien, qui ne pouvait pas communiquer avec la dame, originaire des balkans. A Lausanne, le jeune l’a laissée au Bureau d’aide au retour. C’est l’interprète, qui avait été mandatée pour traduire, qui l’a ensuite aidée. Elle l’a emmenée au SPOP pour le renouvellement de l’attestation de l’aide d’urgence où elles ont attendu 30 minutes, puis à l’EVAM pour la délivrance de l’aide d’urgence où elles ont dû attendre pendant 2 heures. Bien que les autres personnes aient signalé que cette dame pouvait passer avant, les employés de l’EVAM ont refusé de changer l’ordre de l’appel. Ils lui ont ensuite remis une carte bancaire pour le retrait de son assistance. La bénévole a eu beau expliquer que la dame ne sait pas lire ni utiliser un bancomat, il n’était pas possible de verser l’argent en liquide. La bénévole a donc appelé pour négocier avec l’EVAM à Ste-Croix qu’ils trouvent le moyen de lui verser son assistance en liquide et après des discussions, ils ont aussi accepté de rembourser le billet de train de l’accompagnateur. Finalement, elle a appelé un ami qui a accepté de raccompagner la dame en voiture, mais pas avant 20 heures parce qu’il était au travail. Il faut beaucoup d’énergie et de bonne volonté aux bénévoles pour obtenir, après d’âpres négociations et un investissement important en temps, un minimum d’accompagnement social des personnes vulnérables.

Malades tous les deux et se portant mutuellement assistance, l’EVAM n’a qu’une idée en tête : les séparer chacun selon leur statut

Armand est venu en Suisse avec son oncle, M. Gaspardo, qui souffre de troubles graves et multiples de la santé. Il présente un diabète grevé de l’ensemble des complications. Il est presque complètement aveugle et il doit suivre trois séances d’hémodialyses par semaine en raison d’une insuffisance rénale terminale. C’est un homme relativement âgé. Il peine à marcher et il doit être soutenu.
Armand accompagne régulièrement son oncle au service de diabétologie et d’hémodialyse ainsi que dans tous ses autres rendez-vous médicaux en ophtalmologie, cardiologie ou autre. Il y a seulement un passage infirmier par jour au domicile. Le reste du temps, Armand prend en charge l’ensemble de l’aide dont son oncle a besoin : faire les courses, préparer les repas, l’aider pour tous les soins quotidiens tels s’habiller ou se laver. M. Gaspardo n’a aucune autonomie propre. Il est étranger en Suisse arrivé depuis peu et son neveu est son seul réseau social et familial. Il a besoin de son assistance quotidienne.
Armand n’est pas en reste en matière de problèmes de santé. Il a subi une intervention chirurgicale aux poumons en février 2014 et a été hospitalisé pendant trois semaines. Selon le rapport médical, il souffre d’une pneumonie. Une première ablation aux poumons avait eu lieu en 2012. Armand est rapidement essoufflé, il ne peut donc pas faire beaucoup d’effort. Les déplacements par exemple le fatiguent. Il a également une toux persistante. Il tousse tout le temps ce qui est épuisant. Selon les médecins, il présente une obstruction de degré sévère aux fonctions pulmonaires.
Armand a également d’importantes difficultés pour se nourrir. Il souffre d’un reflux gastro-oesophagien, c’est-à-dire que la nourriture met huit heures pour descendre. Elle remonte en partie par le nez pendant la nuit, ce qui l’empêche de dormir et provoque des vomissements. Il ne peut se nourrir que d’aliments écrasés comme de la purée de pomme de terre ou de la soupe. Il ne peut pas manger de pain, ni de riz, ni des pâtes, car cela le fait vomir. Le certificat médical précise que ces reflux ont lieu 30 à 40 fois par jour. Cela signifie qu’Armand est occupé à assumer ses propres problèmes de santé et ceux de son oncle en permanence, de jour comme de nuit. Il a peu de disponibilité pour s’occuper d’autres choses, tels les problèmes administratifs avec l’EVAM, et il a besoin de repos.
M. Gaspardo a reçu une admission provisoire tandis que l’ODM et le TAF ont décidé qu’Arman devait retourner dans son pays d’origine. Armand est donc passé à « l’aide d’urgence » selon l’article 80 de la loi sur l’asile et depuis lors, il s’est vu attribuer par l’EVAM une place d’hébergement à l’abri antiatomique de Pully, avec interdiction de demeurer auprès de son oncle. Afin de vérifier que la « prestation en hébergement est utilisée de manière non abusive et conformément à son but », c’est-à-dire de vérifier qu’Armand ne dort plus chez son oncle, l’EVAM fait des visites régulières du logement de M. Gaspardo, sans avertissement préalable et sous la menace de sanction.
L’EVAM ne fait aucun cas du besoin mutuel d’assistance de ces deux hommes. L’autorité n’explique nulle part, qui va s’occuper de M. Gaspardo pendant la nuit, alors que cet homme est pratiquement aveugle et peine à se déplacer. L’EVAM n’explique pas non plus comment Armand, qui a été opéré deux fois aux poumons, qui respire mal et qui tousse tout le temps, qui a du mal à s’alimenter et présente donc nécessairement un certain état de faiblesse, va pouvoir se déplacer à travers tout Lausanne chaque jour pour se rendre à l’abri de protection civile de Pully, puis pour se rendre chez son oncle pour l’aider dans son quotidien, puis au CHUV pour les soins médicaux de l’un et de l’autre, puis au SPOP et à l’EVAM pour les différentes démarches administratives liées au renouvellement de l’attestation d’aide d’urgence ou d’octroi des prestations d’assistance.
En outre, les abris antiatomiques sont aérés de manière artificielle de sorte qu’il n’est pas possible, pour une personne souffrant de pneumonie, d’y passer seulement une nuit.
Quant au sandwich servi dans l’abri antiatomique ainsi que le repas en barquette à réchauffer du soir, Armand ne peut tout simplement pas les avaler. Il n’a donc accès à aucun aliment adapté à ses besoins. Ces privations sont dégradantes, humiliantes et aggravent les souffrances d’une personne qui se trouve déjà dans une situation de précarité sanitaire sévère.
Lorsque les conditions d’hébergement et le régime alimentaire sont, en toute connaissance de cause, incompatibles avec l’état de santé, il s’agit d’un mauvais traitement au sens de l’article 3 CEDH selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui précise que les autorités doivent tenir compte de la santé et des besoins particuliers des gens qui dépendent de leurs prestations pour vivre (Isyar c. Bulgarie, requête n°391/03, arrêt du 20 novembre 2008, Kaja c. Grèce, requête n°32927/03, arrêt du 27 juillet 2006 ; Paladi c. Moldova, requête n°39806/05, arrêt de la Grande chambre du 10 mars 2009 ; Tabesh c. Grèce, requête n°8256/07, arrêt du 26 septembre 2009 ; Gorodnitchev c. Russie, requête n°52058/99, arrêt du 24 mai 2007).
Après quelques péripéties, l’EVAM a finalement tout juste consenti à autoriser Armand à loger au centre de Vennes et à y prendre les biens alimentaires dans l’épicerie spécialement destinée aux titulaires de l’aide d’urgence : l’« EVAM Emergency Help Delicatessen », une façon d’éviter que les requérants d’asile déboutés se mélangent trop aux gens normaux dans nos supermarchés. Il faut les maintenir bien à l’écart…
Ces nouvelles conditions de vie ne répondent toujours pas au besoin de M. Gaspardo d’être assisté de jour comme de nuit, ni à celui d’Armand de disposer d’un espace de vie propre où il peut prendre du repos, sans être dérangé par le bruit et sans déranger autrui par sa toux, ce qui est ressenti par lui de manière très gênante, ainsi que sans risquer de contracter des maladies infectieuses aux poumons.
Avec de telles décisions, l’EVAM réduit Armand à l’obligation d’aider son oncle dans la clandestinité, en se cachant des contrôles de l’autorité dans le domicile de M. Gaspardo. Il est également contraint de trouver tout seul une solution de logement en sollicitant de l’aide auprès de ses compatriotes qui, s’ils dépendent de l’EVAM, sont exposés aux mêmes risques de sanction (perte du logement individuel et transfert dans un abri antiatomique) s’ils sont surpris à héberger une personne non autorisée.

Un homme diabétique est soumis aux « repas sains et variés » (un sandwich à midi et une barquette de riz ou de pâtes à réchauffer au four à micro-ondes le soir) de l’abri antiatomique d’Orbe

Hacem explique sa maladie. Il souffre d’un diabète d’origine génétique. Sa sœur en souffre également, tandis que son grand-père, sa mère et son frère en sont décédés. Il a besoin de 5 à 7 injections d’insuline par jour. Son menu doit être essentiellement pauvre en graisses et en féculents. Il doit prendre du pain intégral, ainsi que des pâtes ou du riz complets exclusivement, et pas en trop grandes quantités. Il se nourrit par ailleurs de fruits et légumes ainsi que de yaourts peu ou pas sucrés, de fruits secs notamment des dattes. Parfois, si ses moyens le lui permettent, il achète un peu de viande halal.
En outre, Hacem doit avoir de la nourriture à disposition tout le temps en raison des risques d’hypoglycémie qui doivent être résorbés à n’importe quel moment du jour et de la nuit. Il doit donc avoir accès à une nourriture en quantités suffisantes, stockées à l’avance dans un placard ou dans un réfrigérateur. Il doit aussi avoir accès à une cuisine propre pour préparer les aliments et les réchauffer.
Selon le certificat médical, Hacem souffre d’un diabète sucré compliqué, d’une rétinopathie diabétique, d’une probable artérite temporale et d’une hypertension artérielle.
Il faut aussi contrôler l’hypoglycémie la nuit, ce qui est particulièrement éprouvant. Il n’y a pas de nuit où Hacem n’est pas contraint de se réveiller pour les contrôles. Lorsque le taux descend en dessous de 3, Hacem est proche du coma diabétique. Dans cet état, il ne peut pas se lever et il doit avoir des sucres et son matériel à portée de main 24h/24h.
Hacem précise que les variations du taux de glycémie dans le sang sont susceptibles de provoquer de multiples dégradations de son état de santé, dont certaines sont irréversibles. Le certificat médical mentionne les risques suivants : hypertension ; pré-comas diabétiques coma diabétique ; complications vasculaires et des douleurs souvent insoutenables notamment dans les pieds ; complications oculaires pouvant mener à la cécité ; insuffisance respiratoire ; extrême fatigue accompagnée de vertiges ; crises d’angoisses.
Hacem explique qu’il a déjà fait un « nombre incalculable » de pré-comas diabétiques et quatre comas diabétiques. Il ressent de fortes angoisses dans les moments de douleurs occasionnées par les variations de glycémie dans le sang, outre que le nombre élevé de contrôles glycémiques qu’il doit opérer chaque jour par piqûres et le nombre également élevé d’injections, occupent nécessairement une grande partie de ses préoccupations journalières et de son énergie. Il doit encore endurer d’importantes douleurs dans les membres notamment lors des chutes de la glycémie, qui ont lieu de manière récurrente plusieurs fois par 24 heures.
Les médecins ont précisé que Hacem doit avoir la possibilité de cuisiner lui-même ses repas, mais l’EVAM n’en a cure. Ils ont également expliqué qu’Hacem a déjà consulté en urgences en raison d’angoisses liées à son état de santé. Il séjournait à cette époque dans une chambre avec d’autres personnes qui ne respectent pas les horaires et la tranquillité, qui entrent et sortent à n’importe quelle heure de la nuit, font du bruit et empêchent le patient de dormir tranquillement. Cette situation provoque des angoisses qui affectent le suivi du traitement diabétique. Le médecin préconise l’allocation d’une chambre individuelle, mais l’EVAM s’en moque.
Le Tribunal cantonal aussi, qui estime dans un arrêt du 14 mai 2014 (PS.2014.0018), que le régime alimentaire distribué par l’EVAM respecte les exigences diététiques préconisées dans son cas (repas variés, équilibrés et contenant suffisamment de légumes, de féculents et pauvres en sucres).
En ce qui concerne le logement, le Tribunal considère qu’il n’y a pas de prescription médicale au dossier à cet égard. Le Tribunal ne voit pas pourquoi Hacem ne pourrait pas loger la nuit dans un abri antiatomique et passer ses journées dans la rue, l’abri étant fermé de 9h à 18h.
Le Tribunal cantonal est très complaisant vis-à-vis de l’EVAM et ces dix dernières années, a développé une batterie d’arguments standards qui facilitent le rejet des recours et l’oppression des requérants d’asile déboutés afin de les contraindre à fuir la Suisse par épuisement, découragement ou tout simplement du fait des mauvais traitements qu’ils subissent comme ceux décrits ci-dessus, qui dégradent leur santé et menacent leur intégrité physique et psychique. Les principaux arguments sont les suivants :
-        L’intérêt privé des recourants à conserver leur place d’hébergement en appartement individuel ou dans une certaine commune s’oppose à l’intérêt public de l’EVAM de gestion de son parc immobilier.

-        Le fait de solliciter l’aide de l’EVAM place les personnes concernées dans un rapport de dépendance particulier qui leur confère des droits mais implique en contrepartie qu’elles acceptent certaines contraintes pouvant restreindre leur liberté, pour autant que ces contraintes ne constituent pas des atteintes graves à leurs droits fondamentaux.

-        L’examen du Tribunal est limité à celui de la légalité. C’est-à-dire que lorsque la loi dit « aide d’urgence », cela signifie « aide d’urgence ». Il n’y a rien d’autre à discuter.

On s’est demandé comment le Tribunal avait pu savoir que les repas distribués par l’EVAM dans l’abri antiatomique d’Orbe étaient « sains et variés », et on a trouvé que c’est parce que le juge l’avait lu dans la décision attaquée du 20 janvier 2014, en page 3, où c’est écrit que « les repas servis à l’abri PC d’Orbe sont variés et équilibrés, normo-caloriques et riches en crudités, et sont ainsi conformes aux prescriptions médicales. »
Avec une telle expertise, nous voilà rassurés sur la protection des droits de l’homme par l’ordre judiciaire vaudois.

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