Le journal Le Matin a raconté cette expulsion, d'une famille de 3 enfants, vers la Géorgie, et diffusé notamment le témoignage d'un voisin, choqué par cette violence.
C'est une histoire dramatique. Mais le plus dramatique, c'est que ce n'est pas la première fois. On dénonce continuellement l'attitude des autorités face aux personnes qui viennent demander l'asile en Suisse. Des brimades, des vexations, des obstacles à l'intégration, mais aussi des renvois, de la violence, comme ici. Et ensuite? Le pire dans toute cette histoire, c'est qu'au-delà d'une émotion bien légitime, d'un sentiment d'injustice et de révolte relayés dans la presse, ça va continuer. Car pour que ce genre de violence cesse, il faudrait changer complètement la manière d'envisager la politique d'asile. Déjà juste considérer les personnes qui demandent l'asile pour ce qu'elles sont, des êtres humains en quête de refuge, et non des abuseurs-criminels-dangereux-à-expulser-par-tous-les-moyens. Déjà cela serait beaucoup. Ca permettrait de reconnaître qu'elles ont le droit d'avoir des droits. Que ça pourrait être nous ou notre voisin-e. Et puis il faudrait montrer un solide attachement à des valeurs qu'on rabâche à chaque occasion mais qu'on peine à voir concrétisées, comme le respect des droits humains, la coopération, l'humanitaire, des valeurs dites suisses qui sont surtout un super moyen de se donner bonne conscience en créant un écran de fumée devant les violations des droits fondamentaux des plus faibles. Ca voudrait dire faire connaissance avec ces "migrant-e-s" qui font si peur, ouvrir sa porte, accueillir, et cacher, désobéir. Et cela voudrait dire être conséquent à chaque défaillance: descendre dans la rue, exiger la démission en bloc du conseil d'Etat, demander une enquête, et refuser d'être complices, par le silence et l'inaction, de ces politiques de déshumanisation.
Sans aucun doute, cela arrivera un jour, et peut-être plus tôt qu'on n'imagine. Que la population attentive et informée se révolte contre ce système et les représentant-e-s de la loi et des institutions qu'elle a elle-même élus. Qu'elle reprenne la main et sa responsabilité dans cette histoire. En attendant, on se demande dans quel pays on vit, et on n'arrive juste pas à y croire.
Lettre adressée au Conseil d'Etat
(et si vous voulez aussi le faire, voici l'adresse: Conseil d’Etat vaudois, Rue du Château 4, 1014 Lausanne)
Mesdames et messieurs les Conseillèr-e-s d’Etat,
Nous avons lu avec horreur dans Le
Temps et sur le site du Matin le
récit du renvoi de la famille D. Aucune de vos réponses ne permettra de soulager
le dégoût et la colère que nous ressentons, surtout après la lecture, en sus, du
témoignage de leur voisin. Mais peut-être pourrez-vous dissiper notre
incompréhension ? Nous vous serons gré de répondre à ces quelques
questions, pour que nous puissions comprendre comment vous avez pris cette
décision de renvoi.
Quelle était l’urgence à renvoyer la famille D. ? Les trois enfants
n’ont jamais vu la Géorgie et n’en parlent même pas la langue. Par contre, deux
d’entre eux vont à l’école à Leysin et les trois se sont fait des copains et
copines. Alors que les parents se remettaient des traumatismes subis dans leur
pays d’origine, ils entretenaient des relations sociales avec leurs voisin-e-s
et co-habitant-e-s. Le papa avait même obtenu une promesse d’emploi, son frère,
sa seule famille, vit en Suisse. De plus, de graves problèmes psychiques,
attestés par des rapports médicaux rendaient leur renvoi dangereux. Pourquoi
donc cette précipitation à les expulser ? Représentaient-ils un danger
pour la Suisse ?
Peut-être justifierez-vous ce renvoi en termes économiques. Dès lors, nous
nous posons la question des moyens mis en place pour cette opération. Il a
fallu mobiliser (apparemment beaucoup) de policier-e-s, un-e médecin, un-e
traducteur/ice, faire le trajet avec plusieurs voitures jusqu’à l’aéroport, engager
des personnes pour mettre des menottes, ramasser les affaires de la famille,
les menacer. Une fois à l’aéroport, il a fallu mobiliser un avion, apparemment
rempli uniquement de quelques personnes expulsées et de policier-e-s. Il a
fallu un-e pilot-e, du personnel de bord, du kérosène. Une fois sur place, les
collaborateurs et collaboratrices suisses ont dû rentrer, un trajet en plus,
encore du kérosène. Il a fallu donner 800 CHF à la famille comme aide au
retour, il faudra réparer la serrure fracturée, payer le nettoyage des gouttes
de sang. Combien va coûter cette opération aux contribuables ?
Nous en venons maintenant à nos questions les plus brûlantes, sur la
violence inouïe dont il a été fait démonstration durant cette expulsion.
Comment se fait-il qu’après que monsieur D. a tenté, sous les yeux des
agent-e-s, de mettre fin à ses jours, personne ne s’est dit qu’il serait
peut-être respectueux et humain de suspendre le déroulement du renvoi ? Ou
alors, vidé de son sang, était-il plus docile ? Et madame, était-elle si
dangereuse qu’il a fallu la ligoter aux mains et aux pieds ? Pourquoi
refuser au voisin de dire au revoir à ses ami-e-s ?
Selon vous, quelles seront les conséquences de cette expulsion sur les
enfants ? Combien d’années de thérapie sont-elles nécessaires pour se
remettre d’avoir assisté à la tentative de suicide de son père ? Quelles
images auront-ils des adultes, alors que certain-e-s d’entre eux ont fait
irruption à 6h du matin dans leur appartement pour attacher leurs parents et
les enlever à tout ce qu’ils connaissaient jusqu’ici ? En admettant qu’un
tel traumatisme est surmontable, pensez-vous que les enfants D. auront accès en
Géorgie à une thérapie ? Est-ce pour cela que vous leur avez donné 800
CHF ?
Est-ce que les agent-e-s qui ont procédé à l’arrestation dans
l’appartement avaient peur de rater l’avion ? Est-ce pour cela que les
bras lacérés de Monsieur D. n’ont pas été soignés correctement ? Est-ce
que l’ours en peluche du plus petit, laissé à Leysin, risquait de faire
dépasser le poids réglementaire des bagages autorisés sur un vol
d’expulsion ?
Comment s’est déroulé le vol ? Est-ce que les parents ont pu
prendre leurs enfants dans leurs bras pour les consoler ? Ou les petits ont-ils
crié et pleuré sans arrêt, ne comprenant pas ce qu’il se passait ? A votre
avis, que ressent-on quand on entend pleurer son enfant sans ne pouvoir rien
faire ?
Quel sera l’impact de cette opération de renvoi sur les agent-e-s qui y
ont procédé ? La raconteront-ils le soir à leur famille, devant le souper
avant de regarder le téléjournal ? Quels termes vont-ils utiliser pour
décrire l’horreur qui leur a été demandé d’exécuter ? Est-ce possible de
ne plus entendre les cris de toute une famille que l’on expédie vers
l’enfer ? Ont-ils la possibilité de parler de leur vécu à des
professionnel-le-s ? Combien de temps un-e agent-e effectue ce genre de
mission avant de demander à être muté ailleurs ? Quel est le taux de burn-out et de suicide dans ces
services ?
Et vous, comment vous sentez-vous ? Les conséquences des décisions
que vous prenez sont-elles aussi difficiles à supporter qu’il est pour nous de
les lire dans le journal ? Combien d’autres renvois, dans les mêmes
conditions atroces, ou pire, ont eu lieu cette année ? Et les
précédentes ? Combien allez-vous encore en commanditer ?
En vous remerciant de l’attention portée à notre lettre, et impatient-e-s
d’y recevoir réponse, nous vous transmettons, Mesdames et Messieurs les
conseiller-e-s d’Etat, nos salutations consternées.
Le collectif droit de rester
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