jeudi 19 décembre 2019

Assignation à résidence = violence d’Etat


Dans le courant du mois de novembre, un homme algérien, débouté de l’asile, a été assigné à résidence pour une durée de 6 mois par le service de la population du canton de Vaud. Son domicile, une chambre au foyer de l’Evam à Ecublens, est devenu désormais sa prison. C’est une personne fragile et vulnérable d’une soixante d’année, contrainte à dormir dans le foyer, dans l’attente que la police vienne un jour le chercher pour le renvoyer.
Là, une question se pose. Est-ce que cette personne peut être renvoyée physiquement en Algérie par la force ? La réponse : NON.
La Suisse et l’Algérie ont signé un accord sur la circulation des personnes le 3 juin 2006, qui est toujours en vigueur. Selon cet accord, l’Algérie n’accepte pas de retours forcés (via vol spécial) des personnes algériennes déboutées de l’asile arrivant de la Suisse[1]. Les autorités suisses peuvent donc le pousser au retour avec des moyens de contrainte sur des vols de ligne, mais elles ne peuvent pas le renvoyer par la force via un vol spécial.
Plus précisément, la police peut l’accompagner jusqu’à l’entrée de l’avion mais elle ne peut pas utiliser de mesures de contraintes et la force afin que la personne prenne un vol de ligne.
Là, d’autres questions se posent.
- Vu que le renvoi par la force ne peut pas être effectué, cette décision d’assignation à résidence ne représente-elle qu’une violence d’Etat gratuite contre une personne qui n’a commis aucun crime ? La réponse : OUI
- Est-ce que l’assignation à résidence viole les droits fondamentaux à la liberté de mouvement et à la vie privée ? La réponse : OUI
- Est-ce que les autorités cantonales ont réellement besoin de six mois pour organiser des vols de ligne en collaboration avec la police ? La réponse : peut-être OUI, peut-être NON. Le Spop ne respecte pas les personnes, ce qui compte pour cette institution, c’est d'obéir au Secrétariat d’Etat aux migrations et de remplir les statistiques de renvoi de l’année 2019.
Les assignations à résidence bafouent les droits fondamentaux des personnes. Nous dénonçons cette politique inhumaine et cynique qui vise à détruire et faire disparaître les personnes qui demandent la protection en Suisse.

Collectif Droit de rester, Lausanne le 19 décembre 2019.



[1] https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/20061777/index.html: Accord entre le Conseil fédéral de la Confédération suisse et le Gouvernement de la République algérienne démocratique et populaire sur la circulation des personnes. Art 4: point 3:  “La reconduite par voie aérienne s’effectue sur des vols réguliers”.


jeudi 14 novembre 2019

Reclure les indésirables: passé révolu?


Ce texte du collectif Droit de rester a été publié par Le Courrier, le lundi 11 novembre, dans la rubrique Contre-champ. 

Enfermer les indésirables arbitrairement : du passé, vraiment ? 

Le 2 septembre, la Commission indépendante dexperts (CIE) Internements administratifs rendait son rapport : jusquen 1981, plusieurs « dizaines de milliers de personnes ont été placées dans des établissements fermés alors quelles navaient commis aucun délit. Elles étaient le plus souvent internées sur décision administrative, sans bénéficier des protections propres à une procédure judiciaire, en raison de comportements ou de modes de vie jugés déviants des normes dominantes en matière de travail, de famille ou de sexualité. [1]»
Le grand mérite de cet important travail de recherche, cest davoir montré à quel point ces internements ne sont pas un accident, mais sont constitutifs de la structure de l’État suisse. Une mécanique extrêmement bien rôdée et la collaboration de lensemble des acteurs et actrices de l’époque – membres de ladministration judiciaire et pénitentiaire, politicien∙ne∙s, mais également la société civile restée majoritairement sourde et aveugle à ces pratiques – ont rendu possibles des injustices présentées comme légales. En Suisse, la loi cest la loi, et les droits individuels viennent après – surtout les droits des plus faibles de la société.
La CIE est extrêmement claire à cet égard et parle de « culture daveuglement volontaire », du « large pouvoir discrétionnaire » des autorités, et de l’ « accommode[ment] à la violation des droits des personnes concernées »[2]. Elle souligne « une culture juridique fondée sur la démocratie directe mais peu sensible aux droits fondamentaux, une tendance au rejet des normes internationales, un contrôle social étriqué soumis à la dictature dun certain conformisme […] »[3].
Citons les derniers mots de ses recommandations :
« Par sa diffusion, en particulier auprès des personnes impliquées dans lapplication des mesures privatives de liberté et des autorités de surveillance, lhistoire de linternement administratif produite par la CIE servira, nous lespérons, à poursuivre une réflexion critique sur les pratiques actuelles en la matière. Elle doit inciter à ne jamais clore le questionnement quant aux rapports paradoxaux que peuvent entretenir État de droit, justice et droits fondamentaux. »[4]
Ce souhait risque malheureusement fort de rester lettre morte. Lors de la présentation du rapport à la presse, les questions ont essentiellement porté sur les modalités dindemnisation des victimes. Un point certes délicat, mais qui ne doit pas faire perdre de vue lessentiel : ces mécanismes de larbitraire ne se sont pas subitement arrêtés en 1981. On interne toujours des personnes jugées indésirables en Suisse.
Notre collectif, avec dautres, dénoncent depuis des années les enfermements administratifs des étranger∙e∙s, débouté∙e∙s de lasile ou sans-papiers. Ils et elles subissent les mêmes mécanismes étudiés dans ce rapport : des autorités administratives toutes puissantes, qui ne prêtent pas attention aux droits des personnes, avec le silence complice des politiques, des médias et de la majorité de la population. Ces personnes sont les nouveaux indésirables de la société[5].
À tel point indésirables que même la CIE, dans ses recommandations, est restée prudente sur ces questions qui sont à peine effleurées dans le rapport – il est vrai que son mandat sarrêtait à la date limite de 1981. Mais ensuite ? Arbitraire, violation des droits fondamentaux, et stigmatisation sont le lot dune grande partie des étranger∙e∙s qui vivent en Suisse. Leur emprisonnement sert de mécanisme de contrôle sur leurs parcours : nombre dentre eux et elles sont enfermé∙e∙s alors même quelles nont aucun moyen de rentrer dans leur pays dorigine ; le séjour en prison doit les inciter à se conformer à ce quon attend delles : disparaitre.
On nous objectera quon ne peut pas comparer les deux situations : le contexte, les bases légales, les personnes concernées sont différents. Certes, et même les types denfermement sont différents. Il y a la prison administrative en vue du renvoi ; les enfermements lorsque les amendes pour « séjour illégal », impossibles à payer avec l’aide d’urgence, sont converties en peine de prison ; ou ceux de 24h ou de 48h, uniquement pour exercer une pression au retour « volontaire », et accompagnés dune amende de plusieurs centaines de francs pour « séjour illégal » – comme cela se pratique couramment à Zurich. Et puis il y a aussi un phénomène beaucoup plus large, qui touche la grande majorité des personnes dont la demande dasile a été rejetée : lassignation à des centres daide durgence.
Ces centres ne sont pas qualifiés de prison en raison dun tour de passe-passe dont ladministration helvétique est une championne : il est possible de les quitter de son plein gré ; or, pour garder lespoir dune future régularisation et recevoir une aide minimale à la survie, il est obligatoire de rester inscrit·e dans le système de lasile, et par conséquent daccepter de vivre dans un centre daide durgence. On ne les quitte en conséquent que pour disparaitre.
Dans ces centres, les mécanismes de coercition rappellent singulièrement ceux en vigueur avant 1981 dans le cadre des internements administratifs. Deux points en particulier font écho aux constatations de la CIE: la vie quotidienne régie par larbitraire, et les chicaneries visant à casser linsertion sociale des débouté·e·s.
Le rapport final souligne larbitraire qui règnait sur la vie quotidienne des détenu·e·s : accès à la nourriture et aux soins, réglementation des visites, obligation ou possibilité du travail, tous ces aspects étaient fortement dépendants du bon vouloir du personnel pénitentiaire. Il souligne un « système peu transparent de privilèges et de punissions, qui garantissait la discipline et la soumission »[6]. Aujourdhui, dans certains centres, il est exigé de se présenter à heure fixe, parfois deux fois par jour, pour avoir le droit de manger. Dans dautres, laccès aux médecins ou à des médicaments est soumis au bon vouloir des agents de sécurité. La sous-estimation des urgences a été souvent dénoncée, avec parfois de graves conséquences sur la santé des gens[7]. Chaque centre a son règlement, et ses habitant·e·s sont constamment soumis à larbitaire. 
La CIE a également montré la mécanique perverse qui visait, par la surveillance du courrier des détenu·e·s, à détruire les relations sociales entretenues en dehors des prisons : en retenant les lettres témoignant de marques daffection, en laissant passer celles marquant des ressentiments, les autorités pénitentiaires nont pas hésité à intervenir dans la vie privée des interné·e·s, compromettant gravement leurs possibilités de réinsertion. Aujourdhui, les relations sociales des débouté·e·s sont sciemment visées par des mesures comme les déplacements fréquents de centres, le confinement dans les endroits difficiles daccès en transports publics ou encore linterdiction de travailler.
Linternement adminitratif nest pas une page close de lhistoire suisse : il a en fait servi de gigantesque laboratoire pour des mesures appliquées aujourdhui sur des populations considérées comme indésirables.
Il semble donc vain d’émettre des souhaits pour que cela ne se reproduise plus : les pratiques perdurent, sous un autre nom, une autre législation, envers dautres groupes cibles. Présenter des excuses officielles, en 2010, ou souligner, comme la fait Simonetta Sommaruga en 2013, que « rien na plus de prix que la dignité humaine »[8], apparait ainsi bien hypocrite et vide de sens lorsquon sait ce qui se passe actuellement dans ce pays.
Il faut maintenant que le rapport de la CIE conduise à une condamnation des pratiques actuelles et au bannissement des zones de non-droit. Il est malheureusement plus facile de se pencher sur le passé que d’être critique sur le présent.


Les heures sombres de lhistoire suisse
Mandatée par le Conseil fédéral pour faire la lumière sur cette page sombre de lhistoire suisse, la Commission indépendante dexperts (CIE) Internements administratifs, composée dhistorien∙ne∙s et dexpert∙e∙s en sciences sociales et juridiques, a travaillé depuis fin 2014 pour décrypter les mécanismes sordides de ces internements. Les milliers de pages des rapports intermédiaires, condensées dans un rapport final sorti en septembre, font froid dans le dos.
Dans une Suisse dont il est souvent dit quelle est un exemple de démocratie, les autorités ont utilisé sans scrupules diverses législations permettant dinterner les indésirables. Dès le début de l’État moderne helvétique, les cantons possèdent des lois permettant denfermer les pauvres. Dans les premières décennies du XXème siècle, elles se généralisent pour devenir un moyen de contrôle social : qui ne correspond pas aux normes (il faut pouvoir subvenir à ses propres besoins, ne pas faire trop de bruit, ne pas trop boire, et pour les femmes ne pas avoir de vie sexuelle en dehors du mariage) peut être enfermé∙e sans même passer devant un tribunal. Les peines pouvaient ainsi aller de quelques semaines à plusieurs années.
Mises au ban de la société, isolées, les personnes concernées ont de plus été soumises dans grands nombres de cas à des maltraitances, abus sexuels, pressions psychologiques et au travail forcé. Loin de les soutenir dans un parcours de vie parfois difficile, ces internements ont au contraire contribué à les stigmatiser durablement. Nombre dentre elles nont jamais retrouvé de travail à leur libération ni réussi à retrouver un équilibre personnel, financier comme psychologique.
Ces internements constituent une honte monumentale de lhistoire suisse – une de plus, a-t-on envie de dire. Ce travail de mémoire était nécessaire. La CIE a joint à son rapport des recommandations pour réhabiliter les interné∙e∙s et leur faire une place dans lhistoire officielle du pays, mais également pour leur rendre un pouvoir dagir en tant que citoyen∙ne∙s.

Droit de rester, Lausanne



[1] Recommandations de la Commission indépendante d’experts (CIE) Internements administratifs, septembre 2019, p. 3. L’ensemble des rapports de la CIE sont disponibles en ligne : www.uek-administrative-versorgungen.ch
[2] idem, p. 61.
[3] CIE, La mécanique de l'arbitraire – Internements administratifs en Suisse 1930–1981. Rapport final, 2019, p.282.
[4] Recommandations de la CIE, p. 61,
[5] Voir les prises de position de notre collectif sur https://droit-de-rester.blogspot.com/, les rapports du réseau Wo unrecht zu recth wird, https://wo-unrecht-zu-recht-wird.ch/de/, le bulletin de Solidarité sans frontières www.sosf.ch, ou la revue Vivre ensemble https://asile.ch/revue-vivre-ensemble/. 
[6] CIE, Rapport final, p. 190.
[7] Un exemple parmi d’autres : Simon Jäggi, « Keine Hilfe für Familie Tahmazov », WOZ, 22.08.2019.
[8] Avril 2013, cité dans les Recommandations, p. 7.

jeudi 17 octobre 2019

Le quotidien à l'aide d'urgence

Témoignage, Monsieur K.

Il y a un mois, je me suis fait voler mon téléphone portable dans un magasin. Je suis allé à la police pour déposer une plainte. Comme j’ai l’aide d’urgence (papier blanc), la police m’a retenu durant 3 heures. On m’a contrôlé, pris les empreintes et on m'a dit de quitter la Suisse dans les dix prochains jours. Un policier m'a dit que si il me voyait encore une fois, il me contrôlerait, et me mettrait en prison pour me renvoyer. Pour cette raison j’ai peur aller à Lausanne.

Peu après, fin septembre, j'étais à la gare de Lausanne. J'ai eu un contrôle d'identité, mais aussi on m'a fouillé complètement, j'ai dû me déshabiller. La police a dit: "si on t'rattrape encore une fois, on te met en détention en prison, parce que tu es à l’aide d’urgence (papier blanc). Tu séjournes illégalement en Suisse!"  Maintenant je ne vais plus à Lausanne gare. Si j'ai rendez-vous à Lausanne, je prends le bus depuis Bussigny ou Renens. 


jeudi 3 octobre 2019

Pour la régularisation de travailleuses et travailleurs sans-papiers

  • La pétition pour la régularisation des travailleuses et travailleurs sans-papiers dans le canton de Vaud est en ligne! A signer de toute urgence ici! https://www.papyrus-vaud.ch/

mardi 1 octobre 2019

la grogne à l'EVAM



Une réaction suite à l'article paru dans le journal 24 Heures du 7-8 septembre 2019, "Mis sur la sellette, des cadres de l'Evam dénoncent leur direction"*

Toute notre sympathie à ces courageu-s-es chef-fe-s anonymes, contraint-e-s «  du jour au lendemain » de « repostuler » à une autre fonction « sans aucune garantie d’embauche ». « Sinistre jeu de chaises musicales », quand on est responsable de l’accueil de réfugié-e-s contraint-e-s de quitter leur foyer du jour au lendemain, sans aucune garantie de ne pas mourir noyé-e-s en Méditerranée.

Ces cadres de l’EVAM n’auront pas la lâcheté d’Amanil, 22 mois, qui, il y a une année au foyer EVAM d’Ecublens, s’est révélé incapable d’articuler le moindre mot cohérent aux policiers qui l’arrachaient aux bras de sa mère enchainée, pour les expulser. Face à l’injustice, ces chef-fe-s parleront, car la « violence institutionnelle » qui les frappe est « inouïe ». Amanil et les réfugié-e-s mineur-e-s, gardé-e-s par des agents de sécurité armés de gants de frappe et de spray au poivre, ne subissent, en effet, que des violences institutionnelles banales.

Ce qui n’est pas normal, c’est d’avoir pris soin durant des années de gérer les mirgant-e-s comme un stock de marchandises sans, y mettre la moindre humanité, de les avoir déplacé-e-s au quatre coins du canton sans leur demander leur avis - c’est la loi - et de se retrouver aujourd’hui à risquer « une évolution professionnelle », voir « des mesures d’accompagnement ». Sans même avoir pu voter.

Le pire, c’est le « flou », le « couperet » prêt à tomber. Les requérant-e-s d’asile qui se plaignent d’attendre de longs mois une réponse à une question de vie ou de mort feraient bien de s’inspirer du stoïcisme de ces chef-fe-s. Leur lutte promet d’être belle mais rude. Réputé de longue date pour ses décisions administratives incompréhensibles, l’EVAM est passé maître en « problème de transparence ».

Et ce n’est même pas une question d’argent. L’EVAM a déjà gaspillé des fortunes pour pourrir la vie des réfugi-é-s à l’aide d’’urgence et continuera à le faire. Pour ses cadres « sur le balan », c’est cependant encore pire : être sacrifié-e-s sur l’autel des coupes budgétaires, ça aurait une certaine noblesse, elles et ils n’auraient rien dit. Mais maltraiter ainsi, gratuitement, leur petite personne impose la prise de parole. Que ces cadres organisent quotidiennement  la « maltraitance » institutionnelle, d’un degré infiniment plus grave, infligée aux migrant-e-s ”accueilli-e-s” par l’EVAM, n’y change rien !

Nous encourageons donc la direction de l’EVAM et les chef-e-s rebelles à continuer chacun leur héroïque combat respectif. Perdez-y autant de temps que possible à cette « nouvelle organisation ». Peut-être laisserez-vous ainsi tout-e-s les réfugié-e-s vivre enfin en paix dans le canton de Vaud.

Droit de Rester, Lausanne


* l'article en question peut être lu sur le site du journal:

jeudi 5 septembre 2019

Les Érythréens dans l’étau




29 août 2019             
« J’ai déposé une demande d’asile en Suisse en novembre 2014 après avoir été autorisé par le SEM à venir, muni d’un visa humanitaire, depuis l’Israël. C’est ma sœur et mon frère réfugiés en Suisse qui avaient fait les démarches.
Je suis né en Érythrée. Je suis marié depuis avril 2001 et père de deux enfants. J’avais suivi l’école technique pendant trois ans puis j’ai reçu une formation militaire. J’ai été soldat de 2006 à juin 2010, au 27ème régiment.
En décembre 2002, j’avais fui mon pays une première fois. J’ai été attrapé par la police à Djibouti presque immédiatement, enfermé pendant trois jours et refoulé en Érythrée, à Assab. Là, j’ai été remis à la marine érythréenne. Ils m’ont enfermé et frappé à la tête et aux oreilles. Depuis, je souffre de surdité et de douleurs à la tête. J’ai été détenu pendant trois ans puis renvoyé dans mon unité. Là, j’ai été forcé de travailler dans les champs. Je n’étais pas autorisé à voir ma famille. J’ai quitté le pays le 8 juin 2010 par la frontière éthiopienne, à pieds. Entre septembre 2010 et novembre 2014, j’étais en Israël. J’avais un papier renouvelable tous les mois, mais pas de travail ni de moyens pour vivre. C’était très dur.
J’ai expliqué dans mon audition qu’après mon refoulement de Djibouti, les soldats m’accusaient d’avoir fui avec un passeur alors que je leur disais la vérité, que j’étais parti à pieds. J’ai été battu à coups de matraque sur tout le corps, même sur la tête, et frappé à coups de pieds et de genoux. Lorsque je faiblissais, ils me laissaient par terre en disant que je pouvais réfléchir et ils revenaient plusieurs heures après et ils recommençaient.
J’ai été emprisonné pendant un an et quelques dans la prison à Dahelak, puis transféré dans la prison de Gadem en mars 2003, où je travaillais dans la construction, sans être payé, jusqu’à fin 2005.
La prison de Dahelak était sur une île. Nous étions enfermés dans trois hangars qui devaient contenir chacun entre 150 et 250 prisonniers. C’était des constructions en tôle, en longueur, sans fenêtre, avec une seule entrée, et il faisait extrêmement chaud à l’intérieur. On devait dormir par terre sur des nattes, alignés le long des murs. Nous sortions le matin et le soir pour faire nos besoins dans une espèce de fosse commune, devant tout le monde et sans aucune intimité. Beaucoup avaient des diarrhées et les risques de contagion étaient énormes. Il n’y avait pas de médecin ni de médicaments et certains mouraient des fièvres, des infections et des piqûres d’insectes. Moi-même j’ai été malade trois fois. Nous étions très mal nourris et l’eau qu’on nous donnait à boire était sale. Nous recevions une espèce de thé le matin et un bout de pain, des lentilles à midi et le soir ou des fois seulement une espèce de liquide sans lentilles dedans. On n’avait pas de quoi se doucher et nous portions toujours le même vêtement, une combinaison, qu’on enlevait sous la tôle à cause de la trop forte chaleur. À l’occasion il pleuvait ce qui laissait des flaques pendant quelques heures sur le terrain caillouteux de l’île et c’étaient les seules occasions où on pouvait un peu se rincer. Il y avait de la vermine partout à cause de la chaleur, du surpeuplement et de l’absence totale d’hygiène. Nous étions piqués de partout, sur tout le corps, tout le temps.
Nous étions humiliés comme des moins que rien. Il n’y avait aucun respect. Ils nous disaient de toujours regarder par terre pour nous rabaisser et nous punissaient si nous désobéissions. Des fois, je levais les yeux et les soldats me frappaient à coups de bâton.
Je suis tombé malade. J’ai eu la diarrhée avec du sang et une infection. J’étais tellement mal que je pensais que j’allais perdre mes boyaux. D’autres prisonniers sont morts des suites de ces maladies.
Certains essayaient de s’enfuir. Une fois rattrapés, ils étaient attachés dans la position dite de « l’hélicoptère » puis leur corps jeté après leur décès. Le sol aride et caillouteux était trop dur pour être creusé et les corps étaient simplement mis sur le sol, recouverts de pierres.
Quand les gens venaient interroger les prisonniers, ils les tapaient tellement fort que la peau du dos partait en lambeaux. C’était horrible.
L’autre prison, la prison de Gadem, était un endroit à ciel ouvert clôturé par des ronces. Nous mettions un drap au-dessus de notre tête pour nous protéger du soleil pendant les repas. Nous étions forcés de travailler 12 heures par jour et nous avons construit 6 bâtiments.
À la division 27, je ne pouvais pas occuper un poste de soldat à cause de ma surdité, et je devais travailler dans les champs, pour les brigades du bataillon. Les travailleurs étaient tout le temps surveillés par des militaires. Le soir nous dormions à la belle étoile tandis que la tente contenait nos affaires. Je me suis enfui une nuit en rampant. Après avoir franchi le poste de grade, j’ai marché pendant deux heures et j’ai atteint les tranchées puis la frontière.
Chez nous, le gouvernement ne respecte pas la loi, ni la constitution, et il gouverne comme il veut.
J’ai laissé ma famille derrière moi. Je n’ai pas vu grandir mes enfants.
J’essaye d’oublier, mais c’est très dur. Tout me revient quand je parle de cela alors que je ne veux plus avoir de souvenirs. Je me demande toujours « pourquoi ils m’ont fait ça ? ». Je n’ai pas trahi, ni volé ni fait de la politique. J’ai seulement quitté l’Érythrée parce que ma vie était impossible, cloîtrée et sans perspectives. J’ai du mal à dormir et j’ai des cauchemars. Heureusement je travaille et ça m’aide à surmonter. Mais ma famille est dans un camp en Ethiopie et c’est un autre malheur de ma vie, que je ne peux pas être avec eux et que je ne peux pas vivre avec mes enfants. Ma vie est très triste et injuste et j’ai vécu beaucoup de choses qui donnent envie de mourir. Des fois, la nuit quand je suis seul, j’ai l’impression que je suis toujours là-bas et qu’on va m’appeler pour l’interrogatoire. C’est très angoissant. C’est comme si je ne pouvais pas me détacher de mon passer. Avoir ma famille auprès de moi m’aiderait à retrouver le goût de vivre. Je ne dors jamais plus que deux ou trois heures par nuit. Des fois, je pense que ma vie a été si pénible qu’elle ne durera pas longtemps. J’ai la vue qui baisse aussi à cause d’un coup que j’ai reçu sur la tête quand j’étais sur l’île. Je n’ai pas reçu de soins et j’ai eu la fièvre pendant plusieurs jours. J’ai du mal à me concentrer et les gens doivent me parler fort, sinon je n’entends pas.
À Dahelak, nous étions forcés de nous occuper des prisonniers décédés de ces mauvaises conditions de vie et cela aussi, ça me remonte dans mes souvenirs. Il fallait transporter leur corps et le poser dans un endroit, puis le recouvrir de pierres. Il n’y avait pas de cimetière parce que le terrain caillouteux était impossible à creuser. Il n’y avait pas même de sable. J’ai participé à l’ensevelissement de cette façon de quatre codétenus. Un autre était mort battu par les soldats avant notre départ vers l’île, alors que nous étions détenus quelques jours à Ada Beito. De là nous avons été transportés sur des petits bateaux. Je ne sais pas ce qu’ils ont fait du corps. De l’île, il n’y avait aucun moyen d’échapper. Nous étions trop loin de la côte et trop faibles.
Ma demande d’asile a été rejetée par le SEM en juin 2016, soi-disant que je ne risque rien en retournant dans mon pays, alors que je n’ai pas connu la liberté depuis la fin de l’école et que je ne suis pas même libre de vivre dans ma maison.
J’ai fait une demande de réexamen il n’y a pas longtemps, mais le SEM a répondu que ma demande ne vaut même pas la peine d’être examinée et l’a radiée sans suite. Je n’ai pas de permis et je n’ai pas le droit de rester ici ni de reconstruire ma vie. J’ai très peu d’argent car je n’ai pas le droit de travailler, seulement de faire des programmes d’occupation donnés par l’EVAM. C’est aussi l’EVAM qui décide où je dois habiter et c’est toujours dans des centres collectifs précaires avec plein d’autres gens désoeuvrés comme moi. Nous risquons souvent d’être arrêtés par la police dans la rue, fouillés, emmenés, détenus et condamnés à des peines pécuniaires ou de prison pour « séjour illégal ». Ma vie ici n’est pas facile non plus et je ne vois pas le bout du tunnel. »

Pour citer ou reproduire cet article : Les Erythréens dans l'étau, article publié par Droit de rester pour tou.te.s, septembre 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/


jeudi 27 juin 2019

En chimiothérapie et à l’aide d’urgence



26 juin 2019          Aujourd’hui, même les situations médicales très graves sont aspirées indifféremment dans le flux général de gestion de l’asile.
Marbella par exemple, a déposé une demande d’asile en Suisse en octobre 2016 accompagnée de son fils. Ses parents sont venus en juillet 2017. Son père souffre d’une leucémie et d’un cancer de la prostate. Il est suivi médicalement de manière régulière ainsi que par la Ligue contre le cancer. Elle-même souffre d’un cancer du cerveau récidivant. Elle a subi plusieurs opérations et suit une chimiothérapie depuis de nombreux mois.
Ces traitements sont extrêmes. Ils causent de fortes angoisses, de grandes souffrances et d’importantes pertes des forces physiques et psychiques. Les patients doivent en outre faire face à la perspective de leur propre mort.
Malgré toutes ces difficultés, la famille doit encore endurer des conditions d’hébergement et d’existence qui ajoutent à la pénibilité de leur situation. En mars 2018, leur demande d’asile a été rejetée et le renvoi ordonné. Le recours contre cette décision a rapidement été déclaré irrecevable de sorte que la famille séjourne à l’aide d’urgence depuis.
L’aide d’urgence rappelons-le est, après la suppression de l’aide sociale, le « minimum vital pour survivre » selon les termes du Tribunal fédéral, pour « inciter les intéressés à quitter effectivement la Suisse », dans les plus brefs délais.
Il va de soi que si Marbella et son père quittent la Suisse, ils décèdent à bref ou moyen terme et laissent seuls le petit-fils de 7 ans et sa grand-mère. La famille ne va donc pas spontanément s’éloigner du centre de soins dont leur existence dépend. Ils n’en ont de toutes les façons pas les forces. Ils sont régulièrement menacés de renvoi forcé aux guichets du SPOP lors du renouvellement de leurs documents « d’octroi de l’aide d’urgence » ce qui les tétanise, instille un stress permanent et de l’anxiété surtout pendant la nuit où la police est susceptible de surgir sans préavis.
Les voilà donc à l’aide d’urgence depuis une année. Ils séjournent dans un centre collectif où ils se partagent deux petites chambres. Les sanitaires et la cuisine sont communs, toujours encombrés aux heures de départ à l’école le matin pour les douches, et aux heures de préparation des repas pour la cuisine. L’hygiène n’est pas adéquate pour les personnes affaiblies sur le plan immunitaire comme c’est le cas des personnes en traitement de chimiothérapie.
Les difficultés liées à cette forme d’organisation de l’existence sont éprouvantes. Il faut toujours porter le nécessaire dans la cuisine, surveiller ses affaires pour qu’elles ne disparaissent pas et ramener les plats chauds dans la petite chambre par les couloirs. Les espaces communs ne sont pas des lieux d’habitation, mais de passage uniquement, où tout doit être réinstallé et désinstallé à chaque usage. Le plus difficile est le bruit des autres occupants, surtout la nuit, et les mouvements des uns et des autres qui perturbent la tranquillité.
Le manque d’espace et d’ameublement empêche également de créer un centre de vie où la famille pourrait se réunir. Lorsque je les ai visités, nous étions à l’étroit dans une petite pièce occupée de deux lits, d’une petite table et de quelques meubles de rangement trop petits pour recevoir toutes les affaires qui sont amoncelées les espaces disponibles ce qui crée une sensation de surcharge et de désordre. Marbella et moi discutions à la petite table où sa mère nous avait servi un café, tandis qu’elle-même et son père restaient assis sur le lit, où on ne peut pas s’adosser. Marbella n’a que deux chaises, une par personne attribuée à cette pièce, elle-même et son fils, qui était à l’école à cette heure. Il n’y a pas de canapé.
Les gens à l’aide d’urgence ne reçoivent pas d’argent en espèce et doivent prendre de la nourriture choisie par l’EVAM au guichet du rez-de-chaussée. Ils donnent chaque jour une liste d’aliments cochés et on leur remet le colis un peu plus tard. Les fruits ne sont pas mûrs, les légumes de mauvaise qualité, les viandes congelées et il n’y a très vraisemblablement aucun aliment de production biologique ou locale.
Or, les personnes malades ont besoin de pouvoir choisir leurs aliments selon leur propre intuition de ce dont ils ont besoin, et d’une certaine autonomie. Ils doivent pouvoir prendre soin d’eux-mêmes dans un contexte d’insécurité et d’incertitude quant à leur devenir. Seulement manger trois fois par jour ne répond pas leur besoin de s’occuper d’eux-mêmes. L’alimentation est liée à la santé et a des effets curatifs ou thérapeutiques pour beaucoup de gens. Cette fonction thérapeutique ne peut pas être accomplie à un guichet via une feuille de biens alimentaires à cocher. Marbella et son père en particulier sont privés de la possibilité, réelle ou imaginaire, cela est sans importance, de contribuer par leurs propres choix alimentaires à l’amélioration ou au maintien de leur état de santé. En ce qui me concerne, je considère que la distribution alimentaire aux personnes malades porte atteinte à leur dignité.
Là-dessus, le Tribunal fédéral donne le ton de la plus grande sévérité, refusant aux diabétiques par exemple un complément de prestation alimentaire afin qu’ils puissent acheter une nourriture de meilleure qualité. Le Tribunal fédéral ne voit pas en quoi 8,5 frs par jour ne permettent pas d’acheter du riz complet ou plus de légumes et de viande rouge (8C_603/2018). Or, ces aliments précisément coûtent cher et 8,5 frs ne suffisent certainement pas. Essayez d’acheter trois repas pauvres en glucides rapides avec 8,5 frs ! Sans le soutien de la plus haute cour de justice de ce pays, et faute de volonté politique de protéger les personnes confrontées à des difficultés de vie que représente la maladie chronique potentiellement grave, les conditions d’existence des requérants d’asile malades continuent de se dégrader, afin de les « inciter » à quitter la Suisse au plus vite. La dégradation des conditions de vie, le manque d’autonomie et d’espace de vie propre ou de repos contribuent à l’épuisement et à la dégradation de leur santé physique et psychique.
Pour moi, l’aide d’urgence imposée aux personnes souffrant de maladies graves et chroniques, ainsi que la vie en centres collectifs d’hébergement pour requérants d’asile déboutés, sont un mauvais traitement. Ces formes d’existence infligent des conditions d’existence qui vont au-delà de ce que les intéressés ont la force et le ressort de supporter.

Pour citer ou reproduire cet article : En chimiothérapie et à l’aide d’urgence, article publié par Droit de rester pour tou.te.s, juin 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/

Obligée d'apprendre le français à 86 ans: merci le SPOP!


Une personne de 86 ans doit apprendre le français pour obtenir une autorisation de séjour : Le SPOP fait une interprétation restrictive de la loi.

AJ est née en 1933 au Sri Lanka.  Elle est tamoule, issue d’une communauté minoritaire fortement réprimée par le gouvernement sri-lankais. Femme cultivée, AJ a travaillé toute sa vie en tant qu’institutrice dans une école où elle enseignait l’anglais. Ses enfants ont fait des études universitaires et ont connu, malgré la guerre, une vie professionnelle et sociale dans une certaine mesure florissante.
Le durcissement de la répression à la fin de la guerre renverse le sort de sa famille. Soupçonnés d’être séparatistes et leurs vies menacées, ses enfants ne voient pas d’autres solutions que d’opter pour la voie de l’exil en laissant derrière eux emploi, famille et tout ce qu’ils avaient construit. Une grande partie de la famille élargie d’AJ avait aussi fui le Sri Lanka.
AJ décide quelques années plus tard de quitter son pays avec son mari pour joindre ses enfants en Suisse. La santé de son époux s’était aggravée et le couple, déjà très âgé, souffrait fortement de l’absence de leurs enfants.  
Le couple arrive en Suisse en 2008. AJ était âgée de 75 ans. Ils demandent l’asile, mais le SEM ne leur octroie qu’une admission provisoire. Les premières années d’AJ en Suisse étaient loin d’être réconfortantes. Une admission provisoire implique de fortes restrictions dans le déplacement et dans les moyens d’intégration. Malgré tous ces obstacles, elle parvient à créer des liens sociaux dans la communauté où elle habite. Elle se rend souvent à l’église de son quartier où elle participe, entre autres, en tant que bénévole aux activités de la paroisse et entre en contact avec un bon nombre de personnes, laïques et religieuses. Mais en 2016, son époux décède. Tombée dans une forte dépression et dépendante moralement de ses enfants, un retour d’AJ au Sri Lanka n’est plus envisageable.
En 2017, AJ dépose une demande d’autorisation de séjour. Toute sa famille est en Suisse, son mari est enterré en sol helvétique. A l’âge de 85 ans, il n’y a plus de sens pour AJ de retourner dans son pays d’origine. En mars 2019, le SPOP émet un préavis avec l’intention de lui refuser l’octroi d’un permis B. L’autorité cantonale se base sur l’argument qu’AJ « ne parle pas du tout français ». 
Pour autant que la loi exige des compétences linguistiques pour juger du niveau d’intégration d’un étranger, il est nécessaire que ceux qui ont la charge de son exécution intègrent dans leur analyse les éléments particuliers du cas afin d’émettre une décision juste et équitable et transmettre ainsi la vraie intention de la loi. L’analyse du SPOP, fondée sur une application littérale et restrictive de la loi, s’oppose clairement à ce qui est juste et équitable. Elle est, d’ailleurs, perçue comme obtuse puisqu’elle ne considère pas ce qui est même évident pour le sens commun : la capacité cognitive d’une personne est fortement réduite après l’âge de 70 ans.
Ce que l’autorité cantonale demande est donc inatteignable. AJ a actuellement 86 ans. Elle ne pourrait jamais prétendre à un permis B et serait contrainte de rester sous le coup d’un permis F pour le reste de sa vie, qu’elle passera, en tout cas, en Suisse. Le SPOP a ainsi oublié le principe juridique de la proportionnalité, qui exigerait l’interprétation du critère de l’intégration pour l’octroi d’une autorisation de séjour en fonction des efforts faits par le requérant ainsi que des obstacles non inhérents à celui-ci. Ainsi, AJ ne devrait pas être condamnée à demeurer sous le coup d’un statut précaire alors que son incapacité de répondre à des exigences scolaires de connaissance du français n’est pas fautive.
Les Romains définissent le « iruis prudens », c’est-à-dire, celui qui a entre ses mains l’application et l’interprétation de la loi, comme le connaisseur des choses humaines (humanaeque rerum notitia) et de ce qui juste et injuste (iusti et iniusti scientia).  Le préavis de l’autorité cantonale démontre donc l’aveuglement de l’administration face à la réalité humaine des personnes admises provisoirement et l’injustice qu’il génère. Si bien que la décision de l’administration discrimine en premier plan les exilés, elle entraîne implicitement la violation d’autres aspects protégés par la loi. En l’occurrence, l’exigence envers AJ d’apprendre le français est un acte d’injustice non pas seulement vis-à-vis des refugiées, mais aussi envers des personnes âgées et des personnes malades.




Pétition pour la régularisation de travailleuses et travailleurs sans papiers

Pétition au Conseil d’Etat vaudois
Pour la régularisation de travailleuses et travailleurs
sans-papiers selon le modèle proposé par le canton de Genève

Les personnes soussignées demandent aux autorités cantonales de trouver un accord avec
l’autorité fédérale afin de mettre en place une procédure de régularisation des personnes
sans papiers habitant et travaillant dans le canton de Vaud, selon le principe déjà proposé
par le canton de Genève.
Dans notre canton également, il existe des personnes sans-papiers qui sont là depuis de
nombreuses années, travaillent, paient leurs impôts, leurs assurances sociales, dont les
enfants sont scolarisés et qui contribuent à la croissance et au développement de ce canton
aussi bien sur le plan économique que sur le plan social et culturel.

Téléchargez la pétition et renvoyez-la au plus vite  au Collectif vaudois de soutien aux Sans-Papiers (CVSSP), Case Postale 7489, 1002 Lausanne.

mardi 18 juin 2019

Le juge UDC Yanick Felley amende les mandataires juridiques


7 juin 2019       Le juge Yanick Felley, membre de l’UDC et juge au Tribunal administratif fédéral (TAF), a rendu au moins 6 arrêts en 2018 et 2019 amendant les représentants juridiques du canton de Vaud qui avaient aidé des requérants d’asile à déposer un recours. L’amende est de 500 frs à chaque fois, c’est-à-dire que le mandataire est condamné à payer les frais de procédure de recours solidairement avec le recourant. Mais comme les recourants sont des requérants d’asile à l’aide d’urgence pour la plupart, ils ne possèdent pas le premier centime de sorte que l’entier de la somme est à la charge du mandataire.

Voyons de quels arrêts il s’agit :

D-2171/2019 Cet arrêt non publié sur le site du TAF concerne une femme originaire d’un pays africain dont la classe dirigeante, depuis 50 ans, se maintient en place par la répression violente et arbitraire de l’opposition politique. La recourante en l’occurrence a un parcours d’engagement politique au sein de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et de lutte contre les pratiques de la torture par les agents de la police ou des prisons. Plusieurs membres ou dirigeants de ces organisations sont inquiétés, voire emprisonnés et torturés en détention. La recourante s’est affichée au sein de ces organisations où elle occupe des fonctions actives et parfois quasi-dirigeantes. Plusieurs vidéos sur Youtube la montrent en train de manifester et porter une banderole « Les victimes de la torture disent NON ». Les risques étaient énormes et quand elle commence à recevoir des menaces téléphoniques anonymes contre son intégrité et sa vie, elle fuit le pays. En Allemagne où elle transite, elle est happée par un réseau de prostitution forcée, séquestrée et abusée pendant plusieurs mois avant d’atteindre la Suisse. Elle est prise en charge en psychothérapie de soutien et suivie par une organisation spécialisée pour l’aide aux victimes de traite humaine. Les violences subies ne sont pas reconnues par le SEM comme motif suffisant en soi pour lui octroyer l’asile, tant les violences sexuelles contre les femmes sont banalisées, minimisées ou même niées par les autorités fédérales. Les autorités sont complètement blasées. Elles n’y prêtent plus attention. Les violences contre les femmes, qui concernent probablement 8 femmes sur 10 dans l’asile, le sujet le plus important dans le domaine, sont devenues si difficiles à faire reconnaître vous ne pouvez pas imaginer. Après un premier recours négatif, de nouvelles preuves sont rassemblées. Il n’est pas possible de renoncer à la défense de cette femme sans renier tout ce qui est au cœur de l’asile : la protection des défenseurs de la démocratie victimes de la répression politique, et la protection des victimes de la torture. De nouvelles démarches sont donc engagées qui se terminent récemment par la sanction de la mandataire à l’issue d’un recours plié en 21 jours.

D-6891/2018 Cet arrêt non publié sur le site du TAF concerne un jeune homme originaire de Somalie dont la seule famille se trouve en Suisse. Il s’agit de sa tante elle-même mère de 5 enfants. Elle l’accueille chez elle et affirme qu’il est mineur, ce que le SEM conteste, car les mineurs bénéficient d’une protection particulière contre le renvoi. Elle se démène pour se procurer un acte de naissance, mais l’autorité fédérale n’en a cure et ordonne le renvoi du jeune en Italie. Là-bas, il ne trouve pas de logement, vit sans abri et sans aide, complètement désoeuvré et après quelque temps, trouve le moyen de revenir en Suisse auprès de sa tante. Après plusieurs mois d’hésitation, il est décidé de retenter la demande d’asile. Un nouveau renvoi vers l’Italie est ordonné et le mandataire sanctionné à l’issue du recours, pour avoir défendu un jeune qui se prétend mineur sans preuve. Le juge n’a pas relevé que le SEM n’a pas de preuve non plus que le jeune n’est pas mineur. Quant à sa famille, les autorités fédérales considèrent que les jeunes adultes dès l’âge de 18 ans n’en ont plus besoin. Suite à cette sanction, le mandataire s’est trouvé contraint de résilier le mandat au grand dam de l’important réseau de soutien qui s’était mis en place autour de ce jeune et de sa tante, notamment pour l’aider à apprendre le français et à envisager une formation et un avenir. Dans ce cas, la sanction affecte non seulement le droit du jeune à la protection juridique et au conseil en matière de procédure, mais également les mandataires engagés dans la défense des migrants, qui n’ont aucun moyen de recours, et qui perdent la confiance des personnes de soutien avec qui ils collaborent habituellement.
Les autres arrêts où le mandataire est condamné à payer 500 frs solidairement avec le recourant sont : D-5772/2017, D-716/2019, D-1289/2018 et D-6826/2018. Aucun n’est publié sur le site du TAF.

Dans l’arrêt D-7088/2017, non publié sur le site du TAF, le mandataire est menacé de sanction en cas de nouveau recours ultérieur dans cette affaire. Il s’agissait d’une femme ayant fui l’Ukraine pendant la période de conflit à Donetsk, d’où elle était originaire. Le juge a balayé le recours alors que la décision initiale du SEM n’était pas même motivée ! Le SEM déclarait dans sa décision que les soulèvements de groupes rebelles ne relèvent pas des problématiques de l’asile et que la recourante étant en bonne santé, rien de l’empêchait de retourner dans son pays, quitte à s’installer dans une autre région. Or, elle déclarait qu’en tant que membre de la minorité russophone, il lui était impossible de s’installer ailleurs en Ukraine en raison des menaces, intimidations, insultes voire violences dont sont victimes les russophones, considérés comme des traîtres à la patrie, spécialement ceux qui proviennent de la région « séparatiste ». Ces discriminations engendrent de graves difficultés à se procurer un logement, un l’emploi ou une l’aide sociale. Les personnes déplacées par le conflit sont mal considérées par la population et les autorités locales. Le SEM n’a prêté aucune attention à sa condition de membre d’une minorité discriminée, et a rejeté la demande d’asile par des généralités. Après une tentative de renvoi en Ukraine, la femme s’enfuit en France où elle dépose une demande d’asile qui aboutit à son renvoi vers la Suisse en application des accords de Dublin. Aujourd’hui, avec son enfant de 3 ans, elle survit dans la clandestinité et l’insécurité sans savoir à qui s’adresser ni comment se faire entendre. De nouvelles démarches juridiques sont d’emblée vouées à l’échec vu la grave menace de sanction du TAF. Il faudra renoncer à l’avenir à déposer un recours, les risques financiers étant trop élevés. Le SEM, qui a déjà violé les droits procéduraux de la recourante sans être inquiété, pourra donc toujours à l’avenir traiter cette affaire comme il l’entend c’est-à-dire négativement.

Avec cette nouvelle pratique d’un juge du TAF, et peut-être bientôt de plusieurs d’entre eux, on se trouve dans la situation où déposer un recours dans tous les cas est risqué, quelle que soit la situation individuelle et quel que soit le stade de la procédure. Le recours est toujours conflictuel c’est-à-dire qu’on a nécessairement toujours affaire à des gens dont le SEM a considéré qu’ils n’avaient pas de raisons d’obtenir l’asile ou une protection provisoire. Chaque recours s’oppose à la décision de l’autorité administrative et est donc potentiellement sanctionnable pour peu que l’on tombe sur le mauvais juge, ce que l’on ne peut pas prévoir à l’avance. Il n’existe pas de « bon » ou de « mauvais » recours, ou bien tous les recours sont subversifs, parce que précisément ils défendent des populations indésirables et amènent un point de vue sur l’asile ou sur le besoin de protection qui va à l’encontre des positions politiques dominantes, que représentent les décisions de l’administration fédérale.

La démarche de recours est aussi une forme de participation de la société civile aux enjeux du droit d’asile. En sanctionnant les représentants juridiques, le juge sanctionne la liberté d’opinion, d’expression et de revendication dans le domaine de l’asile. Les représentants juridiques soutiennent nécessairement une idée autre de ce qu’est la vulnérabilité, parce qu’ils sont directement en relation avec les personnes concernées. Nous sommes brimés par le juge parce que nous défendons une vision autre de la société, démocratique et solidaire, ouverte et libre, où il ne nous paraît pas acceptable que seules les autorités puissent avoir toujours le dernier mot, sans que les intéressé-e-s puissent le contester ou faire valoir leur point de vue.

Aujourd’hui d’ailleurs, ce qui fait le plus cruellement défaut au sein de la société civile et plus particulièrement des organisations de défense du droit d’asile, est précisément une réflexion sérieuse et engagée sur le sens qu’il y a à ne défendre les requérants d’asile que par la lorgnette du droit de recours. Ces démarches juridiques sont massivement vouées à l’échec. Les procédures juridiques aujourd’hui sont de nouveaux instruments de la répression des opposants. Les autorités veulent d’abord que les mandataires juridiques obéissent à leurs instructions et recommandations telles qu’elles les énoncent dans leurs lois et leur jurisprudence. On le voit partout autour de nous, l’opposition aux décisions des autorités dans le domaine de l’asile devient un délit. La sanction pécuniaire des mandataires juridiques est symptomatique d’une déviance généralisée de tout le système juridico-administratif vers la répression.


Condamnée à la prison pour « séjour illégal »

7 juin 2019          Les plus touchés par la répression politique ambiante actuelle sont les requérants d’asile. La semaine dernière, une femme qui séjourne depuis 10 ans en Suisse, a été condamnée à 15 jours de prison avec sursis et à 200 frs de frais de procédure parce qu’elle n’a pas accepté d’attendre au centre de requérants d’asile que la police vienne la prendre de nuit sans préavis, n’importe quel jour que Dieu fait, pour la conduire manu militari à l’aéroport puis dans l’avion. L’infraction en termes juridiques est le non-respect d’un ordre d’assignation à résidence.
Ces condamnations, également prononcées pour « séjour illégal », donc très fréquentes, sont une forme de répression systématique, donc discriminatoire, des populations indésirables que sont les requérants d’asile déboutés, les titulaires du fameux « papier blanc ».
Ces ordonnances de condamnation sont de véritables pièges. Les gens ignorent qu’ils peuvent y faire opposition dans un délai de 10 jours et le temps qu’ils s’adressent à quelqu’un pour les aider, c’est trop tard.
Non seulement ils ne sont pas informés de leurs droits, mais ils ne sont pas entendus au préalable. Ils sont condamnés sans examen de la proportionnalité et de l’opportunité de prononcer une peine pécuniaire ou d’enfermement. La police ignore tout d’eux et ignore par conséquent leurs motifs justificatifs. Ils sont présumés coupables.

Notre dame dont il est question ci-dessus, nous l’appellerons Gallia, provient des territoires de l’est, d’une région qui s’est coupée en deux États à la suite d’un conflit armé. Elle était née du mauvais côté de la nouvelle frontière, ethniquement originaire du nouveau pays voisin où elle n’avait jamais vécu, donc membre sur place d’une minorité désormais haïe. Elle a dû fuir très tôt avec sa sœur et chacune leur fille respective. Elles ont vécu plusieurs années dans la clandestinité et la misère à Moscou. En Russie, elles sont membres de minorités indésirables et elles ne parviennent pas à se réinstaller, notamment à se procurer de quoi survivre. Elles s’enfuient en Europe, d’abord en France, pays que Gallia fuit au bout d’une année avec sa fille et sa nièce, âgée de 13 ans, qui était prostituée de force par sa propre mère.
Elles demandent l’asile en Suisse où Gallia, après des années de guerre, de fuites et de misères, va devoir encore affronter 10 années de galères dans un système d’asile qui ne veut pas d’elle et va brasser toute une machinerie administrative pour la briser et la condamner au bout du compte à 15 jours de prison et une amende qu’elle ne peut pas payer. Elle n’a pas le droit de travailler et l’EVAM ne lui donne pas un centime d’assistance en espèces, seulement une place dans un centre d’hébergement et une carte pour retirer des aliments au guichet du stock au rez-de-chaussée.
À leur arrivée en Suisse, la nièce, dont la souffrance est indicible, a un besoin d’aide et d’assistance incommensurable. Son regard fixe est fantomatique, elle est sans réaction lors des entretiens avec la mandataire et incapable de suivre ce qui se passe autour d’elle. Elle est ailleurs. Elle est prise en charge dans une psychothérapie de soutien essentielle à la reconstruction de sa personnalité.
La famille cependant est placée par l’EVAM dans une petite chambre d’un centre collectif. Une femme et deux adolescentes se partagent 4x10 m2. La pièce est encombrée par les deux lits superposés qui occupent presque la moitié de l’espace. Le reste est meublé d’un petit canapé deux places, une armoire, un petit buffet, un petit frigo, une petite table de salon de sorte qu’elles ne peuvent prendre leurs repas qu’en posant leur assiette sur leurs genoux, et d’une chaise. Il est impossible de se déplacer sans bousculer ou déranger les autres. Il n’y pas de place de retrait ni d’intimité, pas d’espace propre à chacune, ni de bureau pour faire ses devoirs. Dans les couloirs et les lieux collectifs, les toilettes, la cuisine, la jeune fille doit toujours être accompagnée pour ne pas se trouver confrontée à des remarques ou des gestes désobligeants des hommes qui ne sont pas de sa famille et qui habitent également dans le centre. Cela fait des années aussi que les associations de défense tentent d’expliquer que les centres collectifs mixtes ne sont pas appropriés pour les femmes victimes de violences sexuelles, c’est-à-dire la plupart des femmes dans le domaine de l’asile, mais rien n’y fait. Après deux ans, Gallia demande l’aide de sa mandataire qui sollicite de l’EVAM l’allocation d’un appartement individuel. L’EVAM répond à côté et alloue une chambre individuelle à la nièce dans le même centre, deux étages au-dessus. Avec le soutien de la thérapeute de la jeune fille, la tante supplie l’EVAM de ne pas séparer l’adolescente très fragile psychiquement, qui se sent désécurisée et a besoin de la présence continue de sa famille, mais rien n’y a fait. Elle est placée dans cette chambre et trois jours plus tard, l’adolescente disparaît. C’était en 2008.
Il faut vivre maintenant avec ce drame. La fille de Gallia s’accroche. Elle est brillante à l’école et finalement, après 8 ans de séjour en Suisse l’autorité consent à lui délivrer une autorisation de séjour qui doit lui permettre de poursuivre ses études.
Maintenant, la mère et la fille n’ont plus le même statut. Elles sont séparées à leur tour. La fille reçoit une aide sociale du CRS et accède à un appartement tandis que la mère reste dépendante de l’EVAM qui la place au centre d’Ecublens, une espèce de bâtiment préfabriqué posé dans une zone commerciale hideuse loin de la ville. La mère et la fille n’avaient aucune volonté de vivre séparées. Elles doivent subir ces décisions sur leur vie familiale que leur impose le traitement de la demande d’asile.
Gallia est menacée d’être renvoyée seule en Russie et séparée définitivement de sa fille, ce qu’elles ne peuvent envisager ni l’une ni l’autre.
Nous tentons d’obtenir une régularisation de Gallia, pour la Xème fois. Le SEM rejette à nouveau la demande, en quelques jours. Ce mois-ci, il y a encore une petite chance, jusqu’au 2 juillet, nous avons le « droit » de faire recours.

Déjà ça tourne dans ma tête : et si on tombe sur le mauvais juge ? C’est l’amende assurée ma chère. Ce sera combien cette fois ? Jusqu’où le juge pourra-t-il monter les enchères ? Y a-t-il une limite ? Il faudra bien peser chaque mot du recours. Mais cette précaution même est vaine. La demande d’asile a déjà été tournée et retournée, et tous les motifs sont épuisés. J’aimerais pouvoir écrire :

« Si la nièce de Gallia a disparu, c’est la faute de l’EVAM qui n’a pas pris les mesures appropriées pour la protéger. Les autorités suisses ont un devoir de réparation d’un drame qu’elles ont provoqué. Cette réparation, ce ne peut être que la régularisation. Il est incompréhensible que les autorités n’aient pas réagi immédiatement après la disparition de l’adolescente en régularisant la famille, et que Gallia doive encore lutter pour préserver ses liens avec sa fille, et soit menacée de bientôt faire un séjour en prison d’où il ne sera plus possible d’échapper à l’expulsion, pour de bon. »

Pour citer ou reproduire cet article : Condamnée à la prison pour « séjour illégal », article publié sur le site Droit de rester pour tou.te.s, juin 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/