7 juin 2019
Le juge Yanick Felley, membre de l’UDC et juge au Tribunal administratif
fédéral (TAF), a rendu au moins 6 arrêts en 2018 et 2019 amendant les
représentants juridiques du canton de Vaud qui avaient aidé des requérants
d’asile à déposer un recours. L’amende est de 500 frs à chaque fois,
c’est-à-dire que le mandataire est condamné à payer les frais de procédure de
recours solidairement avec le recourant. Mais comme les recourants sont des
requérants d’asile à l’aide d’urgence pour la plupart, ils ne possèdent pas le
premier centime de sorte que l’entier de la somme est à la charge du mandataire.
Voyons de quels arrêts il s’agit :
D-2171/2019 Cet arrêt non publié sur le site du TAF concerne
une femme originaire d’un pays africain dont la classe dirigeante, depuis 50
ans, se maintient en place par la répression violente et arbitraire de l’opposition
politique. La recourante en l’occurrence a un parcours d’engagement politique
au sein de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme et de
lutte contre les pratiques de la torture par les agents de la police ou des
prisons. Plusieurs membres ou dirigeants de ces organisations sont inquiétés, voire
emprisonnés et torturés en détention. La recourante s’est affichée au sein de
ces organisations où elle occupe des fonctions actives et parfois quasi-dirigeantes.
Plusieurs vidéos sur Youtube la montrent en train de manifester et porter une banderole
« Les victimes de la torture disent NON ». Les risques étaient
énormes et quand elle commence à recevoir des menaces téléphoniques anonymes
contre son intégrité et sa vie, elle fuit le pays. En Allemagne où elle
transite, elle est happée par un réseau de prostitution forcée, séquestrée et
abusée pendant plusieurs mois avant d’atteindre la Suisse. Elle est prise en
charge en psychothérapie de soutien et suivie par une organisation spécialisée
pour l’aide aux victimes de traite humaine. Les violences subies ne sont pas
reconnues par le SEM comme motif suffisant en soi pour lui octroyer l’asile,
tant les violences sexuelles contre les femmes sont banalisées, minimisées ou
même niées par les autorités fédérales. Les autorités sont complètement
blasées. Elles n’y prêtent plus attention. Les violences contre les femmes, qui
concernent probablement 8 femmes sur 10 dans l’asile, le sujet le plus
important dans le domaine, sont devenues si difficiles à faire reconnaître vous
ne pouvez pas imaginer. Après un premier recours négatif, de nouvelles preuves
sont rassemblées. Il n’est pas possible de renoncer à la défense de cette femme
sans renier tout ce qui est au cœur de l’asile : la protection des défenseurs
de la démocratie victimes de la répression politique, et la protection des
victimes de la torture. De nouvelles démarches sont donc engagées qui se
terminent récemment par la sanction de la mandataire à l’issue d’un recours plié
en 21 jours.
D-6891/2018 Cet arrêt non publié sur le site du TAF
concerne un jeune homme originaire de Somalie dont la seule famille se trouve
en Suisse. Il s’agit de sa tante elle-même mère de 5 enfants. Elle l’accueille
chez elle et affirme qu’il est mineur, ce que le SEM conteste, car les mineurs
bénéficient d’une protection particulière contre le renvoi. Elle se démène pour
se procurer un acte de naissance, mais l’autorité fédérale n’en a cure et
ordonne le renvoi du jeune en Italie. Là-bas, il ne trouve pas de logement, vit
sans abri et sans aide, complètement désoeuvré et après quelque temps, trouve
le moyen de revenir en Suisse auprès de sa tante. Après plusieurs mois
d’hésitation, il est décidé de retenter la demande d’asile. Un nouveau renvoi
vers l’Italie est ordonné et le mandataire sanctionné à l’issue du recours,
pour avoir défendu un jeune qui se prétend mineur sans preuve. Le juge n’a pas
relevé que le SEM n’a pas de preuve non plus que le jeune n’est pas mineur.
Quant à sa famille, les autorités fédérales considèrent que les jeunes adultes
dès l’âge de 18 ans n’en ont plus besoin. Suite à cette sanction, le mandataire
s’est trouvé contraint de résilier le mandat au grand dam de l’important réseau
de soutien qui s’était mis en place autour de ce jeune et de sa tante,
notamment pour l’aider à apprendre le français et à envisager une formation et
un avenir. Dans ce cas, la sanction affecte non seulement le droit du jeune à
la protection juridique et au conseil en matière de procédure, mais également
les mandataires engagés dans la défense des migrants, qui n’ont aucun moyen de
recours, et qui perdent la confiance des personnes de soutien avec qui ils collaborent
habituellement.
Les autres arrêts où le mandataire est condamné à payer 500
frs solidairement avec le recourant sont : D-5772/2017, D-716/2019, D-1289/2018
et D-6826/2018. Aucun n’est publié sur le site du TAF.
Dans l’arrêt D-7088/2017, non publié sur le site du
TAF, le mandataire est menacé de sanction en cas de nouveau recours ultérieur dans
cette affaire. Il s’agissait d’une femme ayant fui l’Ukraine pendant la période
de conflit à Donetsk, d’où elle était originaire. Le juge a balayé le recours
alors que la décision initiale du SEM n’était pas même motivée ! Le SEM
déclarait dans sa décision que les soulèvements de groupes rebelles ne relèvent
pas des problématiques de l’asile et que la recourante étant en bonne santé,
rien de l’empêchait de retourner dans son pays, quitte à s’installer dans une
autre région. Or, elle déclarait qu’en tant que membre de la minorité russophone,
il lui était impossible de s’installer ailleurs en Ukraine en raison des menaces,
intimidations, insultes voire violences dont sont victimes les russophones,
considérés comme des traîtres à la patrie, spécialement ceux qui proviennent de
la région « séparatiste ». Ces discriminations engendrent de graves
difficultés à se procurer un logement, un l’emploi ou une l’aide sociale. Les personnes
déplacées par le conflit sont mal considérées par la population et les
autorités locales. Le SEM n’a prêté aucune attention à sa condition de membre
d’une minorité discriminée, et a rejeté la demande d’asile par des généralités.
Après une tentative de renvoi en Ukraine, la femme s’enfuit en France où elle
dépose une demande d’asile qui aboutit à son renvoi vers la Suisse en
application des accords de Dublin. Aujourd’hui, avec son enfant de 3 ans, elle survit
dans la clandestinité et l’insécurité sans savoir à qui s’adresser ni comment
se faire entendre. De nouvelles démarches juridiques sont d’emblée vouées à
l’échec vu la grave menace de sanction du TAF. Il faudra renoncer à l’avenir à
déposer un recours, les risques financiers étant trop élevés. Le SEM, qui a déjà
violé les droits procéduraux de la recourante sans être inquiété, pourra donc toujours
à l’avenir traiter cette affaire comme il l’entend c’est-à-dire négativement.
Avec cette nouvelle pratique d’un juge du TAF, et peut-être
bientôt de plusieurs d’entre eux, on se trouve dans la situation où déposer un
recours dans tous les cas est risqué, quelle que soit la situation individuelle
et quel que soit le stade de la procédure. Le recours est toujours conflictuel
c’est-à-dire qu’on a nécessairement toujours affaire à des gens dont le SEM a
considéré qu’ils n’avaient pas de raisons d’obtenir l’asile ou une protection
provisoire. Chaque recours s’oppose à la décision de l’autorité administrative
et est donc potentiellement sanctionnable pour peu que l’on tombe sur le
mauvais juge, ce que l’on ne peut pas prévoir à l’avance. Il n’existe pas de
« bon » ou de « mauvais » recours, ou bien tous les recours
sont subversifs, parce que précisément ils défendent des populations
indésirables et amènent un point de vue sur l’asile ou sur le besoin de
protection qui va à l’encontre des positions politiques dominantes, que
représentent les décisions de l’administration fédérale.
La démarche de recours est aussi une forme de participation
de la société civile aux enjeux du droit d’asile. En sanctionnant les
représentants juridiques, le juge sanctionne la liberté d’opinion, d’expression
et de revendication dans le domaine de l’asile. Les représentants juridiques
soutiennent nécessairement une idée autre de ce qu’est la vulnérabilité, parce
qu’ils sont directement en relation avec les personnes concernées. Nous sommes
brimés par le juge parce que nous défendons une vision autre de la société,
démocratique et solidaire, ouverte et libre, où il ne nous paraît pas
acceptable que seules les autorités puissent avoir toujours le dernier mot,
sans que les intéressé-e-s puissent le contester ou faire valoir leur point de
vue.
Aujourd’hui d’ailleurs, ce qui fait le plus cruellement
défaut au sein de la société civile et plus particulièrement des organisations
de défense du droit d’asile, est précisément une réflexion sérieuse et engagée
sur le sens qu’il y a à ne défendre les requérants d’asile que par la lorgnette
du droit de recours. Ces démarches juridiques sont massivement vouées à
l’échec. Les procédures juridiques aujourd’hui sont de nouveaux instruments de
la répression des opposants. Les autorités veulent d’abord que les mandataires
juridiques obéissent à leurs instructions et recommandations telles qu’elles
les énoncent dans leurs lois et leur jurisprudence. On le voit partout autour
de nous, l’opposition aux décisions des autorités dans le domaine de l’asile
devient un délit. La sanction pécuniaire des mandataires juridiques est
symptomatique d’une déviance généralisée de tout le système juridico-administratif
vers la répression.
Condamnée à la prison pour
« séjour illégal »
7 juin 2019
Les plus touchés par la répression politique ambiante actuelle sont les
requérants d’asile. La semaine dernière, une femme qui séjourne depuis 10 ans
en Suisse, a été condamnée à 15 jours de prison avec sursis et à 200 frs de
frais de procédure parce qu’elle n’a pas accepté d’attendre au centre de
requérants d’asile que la police vienne la prendre de nuit sans préavis,
n’importe quel jour que Dieu fait, pour la conduire manu militari à
l’aéroport puis dans l’avion. L’infraction en termes juridiques est le
non-respect d’un ordre d’assignation à résidence.
Ces condamnations, également prononcées pour « séjour
illégal », donc très fréquentes, sont une forme de répression
systématique, donc discriminatoire, des populations indésirables que sont les
requérants d’asile déboutés, les titulaires du fameux « papier
blanc ».
Ces ordonnances de condamnation sont de véritables pièges.
Les gens ignorent qu’ils peuvent y faire opposition dans un délai de 10 jours
et le temps qu’ils s’adressent à quelqu’un pour les aider, c’est trop tard.
Non seulement ils ne sont pas informés de leurs droits, mais
ils ne sont pas entendus au préalable. Ils sont condamnés sans examen de la
proportionnalité et de l’opportunité de prononcer une peine pécuniaire ou
d’enfermement. La police ignore tout d’eux et ignore par conséquent leurs
motifs justificatifs. Ils sont présumés coupables.
Notre dame dont il est question ci-dessus, nous
l’appellerons Gallia, provient des territoires de l’est, d’une région qui s’est
coupée en deux États à la suite d’un conflit armé. Elle était née du mauvais
côté de la nouvelle frontière, ethniquement originaire du nouveau pays voisin
où elle n’avait jamais vécu, donc membre sur place d’une minorité désormais
haïe. Elle a dû fuir très tôt avec sa sœur et chacune leur fille respective.
Elles ont vécu plusieurs années dans la clandestinité et la misère à Moscou. En
Russie, elles sont membres de minorités indésirables et elles ne parviennent
pas à se réinstaller, notamment à se procurer de quoi survivre. Elles
s’enfuient en Europe, d’abord en France, pays que Gallia fuit au bout d’une
année avec sa fille et sa nièce, âgée de 13 ans, qui était prostituée de force
par sa propre mère.
Elles demandent l’asile en Suisse où Gallia, après des
années de guerre, de fuites et de misères, va devoir encore affronter 10 années
de galères dans un système d’asile qui ne veut pas d’elle et va brasser toute
une machinerie administrative pour la briser et la condamner au bout du compte
à 15 jours de prison et une amende qu’elle ne peut pas payer. Elle n’a pas le
droit de travailler et l’EVAM ne lui donne pas un centime d’assistance en
espèces, seulement une place dans un centre d’hébergement et une carte pour
retirer des aliments au guichet du stock au rez-de-chaussée.
À leur arrivée en Suisse, la nièce, dont la souffrance est
indicible, a un besoin d’aide et d’assistance incommensurable. Son regard fixe
est fantomatique, elle est sans réaction lors des entretiens avec la mandataire
et incapable de suivre ce qui se passe autour d’elle. Elle est ailleurs. Elle est
prise en charge dans une psychothérapie de soutien essentielle à la
reconstruction de sa personnalité.
La famille cependant est placée par l’EVAM dans une petite
chambre d’un centre collectif. Une femme et deux adolescentes se partagent 4x10
m2. La pièce est encombrée par les deux lits superposés qui occupent
presque la moitié de l’espace. Le reste est meublé d’un petit canapé deux
places, une armoire, un petit buffet, un petit frigo, une petite table de salon
de sorte qu’elles ne peuvent prendre leurs repas qu’en posant leur assiette sur
leurs genoux, et d’une chaise. Il est impossible de se déplacer sans bousculer
ou déranger les autres. Il n’y pas de place de retrait ni d’intimité, pas
d’espace propre à chacune, ni de bureau pour faire ses devoirs. Dans les
couloirs et les lieux collectifs, les toilettes, la cuisine, la jeune fille
doit toujours être accompagnée pour ne pas se trouver confrontée à des
remarques ou des gestes désobligeants des hommes qui ne sont pas de sa famille
et qui habitent également dans le centre. Cela fait des années aussi que les
associations de défense tentent d’expliquer que les centres collectifs mixtes
ne sont pas appropriés pour les femmes victimes de violences sexuelles,
c’est-à-dire la plupart des femmes dans le domaine de l’asile, mais rien n’y
fait. Après deux ans, Gallia demande l’aide de sa mandataire qui sollicite de
l’EVAM l’allocation d’un appartement individuel. L’EVAM répond à côté et alloue
une chambre individuelle à la nièce dans le même centre, deux étages au-dessus.
Avec le soutien de la thérapeute de la jeune fille, la tante supplie l’EVAM de
ne pas séparer l’adolescente très fragile psychiquement, qui se sent
désécurisée et a besoin de la présence continue de sa famille, mais rien n’y a
fait. Elle est placée dans cette chambre et trois jours plus tard,
l’adolescente disparaît. C’était en 2008.
Il faut vivre maintenant avec ce drame. La fille de Gallia
s’accroche. Elle est brillante à l’école et finalement, après 8 ans de séjour
en Suisse l’autorité consent à lui délivrer une autorisation de séjour qui doit
lui permettre de poursuivre ses études.
Maintenant, la mère et la fille n’ont plus le même statut.
Elles sont séparées à leur tour. La fille reçoit une aide sociale du CRS et
accède à un appartement tandis que la mère reste dépendante de l’EVAM qui la
place au centre d’Ecublens, une espèce de bâtiment préfabriqué posé dans une
zone commerciale hideuse loin de la ville. La mère et la fille n’avaient aucune
volonté de vivre séparées. Elles doivent subir ces décisions sur leur vie
familiale que leur impose le traitement de la demande d’asile.
Gallia est menacée d’être renvoyée seule en Russie et
séparée définitivement de sa fille, ce qu’elles ne peuvent envisager ni l’une
ni l’autre.
Nous tentons d’obtenir une régularisation de Gallia, pour la
Xème fois. Le SEM rejette à nouveau la demande, en quelques jours. Ce mois-ci,
il y a encore une petite chance, jusqu’au 2 juillet, nous avons le « droit »
de faire recours.
Déjà ça tourne dans ma tête : et si on tombe sur le mauvais
juge ? C’est l’amende assurée ma chère. Ce sera combien cette fois ?
Jusqu’où le juge pourra-t-il monter les enchères ? Y a-t-il une
limite ? Il faudra bien peser chaque mot du recours. Mais cette précaution
même est vaine. La demande d’asile a déjà été tournée et retournée, et tous les
motifs sont épuisés. J’aimerais pouvoir écrire :
« Si la nièce de Gallia a disparu, c’est la faute de
l’EVAM qui n’a pas pris les mesures appropriées pour la protéger. Les autorités
suisses ont un devoir de réparation d’un drame qu’elles ont provoqué. Cette
réparation, ce ne peut être que la régularisation. Il est incompréhensible
que les autorités n’aient pas réagi immédiatement après la disparition de
l’adolescente en régularisant la famille, et que Gallia doive encore lutter
pour préserver ses liens avec sa fille, et soit menacée de bientôt faire un
séjour en prison d’où il ne sera plus possible d’échapper à l’expulsion, pour
de bon. »
Pour citer ou reproduire cet
article : Condamnée à la prison pour
« séjour illégal », article publié sur le site Droit de rester
pour tou.te.s, juin 2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/