26 juin 2019
Aujourd’hui, même les situations médicales très graves sont aspirées
indifféremment dans le flux général de gestion de l’asile.
Marbella par exemple, a déposé une demande d’asile en Suisse
en octobre 2016 accompagnée de son fils. Ses parents sont venus en juillet 2017.
Son père souffre d’une leucémie et d’un cancer de la prostate. Il est suivi
médicalement de manière régulière ainsi que par la Ligue contre le cancer.
Elle-même souffre d’un cancer du cerveau récidivant. Elle a subi plusieurs
opérations et suit une chimiothérapie depuis de nombreux mois.
Ces traitements sont extrêmes. Ils causent de fortes
angoisses, de grandes souffrances et d’importantes pertes des forces physiques
et psychiques. Les patients doivent en outre faire face à la perspective de
leur propre mort.
Malgré toutes ces difficultés, la famille doit encore
endurer des conditions d’hébergement et d’existence qui ajoutent à la
pénibilité de leur situation. En mars 2018, leur demande d’asile a été rejetée
et le renvoi ordonné. Le recours contre cette décision a rapidement été déclaré
irrecevable de sorte que la famille séjourne à l’aide d’urgence depuis.
L’aide d’urgence rappelons-le est, après la suppression de
l’aide sociale, le « minimum vital pour survivre » selon les termes
du Tribunal fédéral, pour « inciter les intéressés à quitter effectivement
la Suisse », dans les plus brefs délais.
Il va de soi que si Marbella et son père quittent la Suisse,
ils décèdent à bref ou moyen terme et laissent seuls le petit-fils de 7 ans et
sa grand-mère. La famille ne va donc pas spontanément s’éloigner du centre de
soins dont leur existence dépend. Ils n’en ont de toutes les façons pas les
forces. Ils sont régulièrement menacés de renvoi forcé aux guichets du SPOP
lors du renouvellement de leurs documents « d’octroi de l’aide
d’urgence » ce qui les tétanise, instille un stress permanent et de
l’anxiété surtout pendant la nuit où la police est susceptible de surgir sans
préavis.
Les voilà donc à l’aide d’urgence depuis une année. Ils
séjournent dans un centre collectif où ils se partagent deux petites chambres.
Les sanitaires et la cuisine sont communs, toujours encombrés aux heures de
départ à l’école le matin pour les douches, et aux heures de préparation des
repas pour la cuisine. L’hygiène n’est pas adéquate pour les personnes
affaiblies sur le plan immunitaire comme c’est le cas des personnes en
traitement de chimiothérapie.
Les difficultés liées à cette forme d’organisation de l’existence
sont éprouvantes. Il faut toujours porter le nécessaire dans la cuisine,
surveiller ses affaires pour qu’elles ne disparaissent pas et ramener les plats
chauds dans la petite chambre par les couloirs. Les espaces communs ne sont pas
des lieux d’habitation, mais de passage uniquement, où tout doit être réinstallé
et désinstallé à chaque usage. Le plus difficile est le bruit des autres
occupants, surtout la nuit, et les mouvements des uns et des autres qui
perturbent la tranquillité.
Le manque d’espace et d’ameublement empêche également de
créer un centre de vie où la famille pourrait se réunir. Lorsque je les ai
visités, nous étions à l’étroit dans une petite pièce occupée de deux lits,
d’une petite table et de quelques meubles de rangement trop petits pour
recevoir toutes les affaires qui sont amoncelées les espaces disponibles ce qui
crée une sensation de surcharge et de désordre. Marbella et moi discutions à la
petite table où sa mère nous avait servi un café, tandis qu’elle-même et son
père restaient assis sur le lit, où on ne peut pas s’adosser. Marbella n’a que
deux chaises, une par personne attribuée à cette pièce, elle-même et son fils,
qui était à l’école à cette heure. Il n’y a pas de canapé.
Les gens à l’aide d’urgence ne reçoivent pas d’argent en
espèce et doivent prendre de la nourriture choisie par l’EVAM au guichet du
rez-de-chaussée. Ils donnent chaque jour une liste d’aliments cochés et on leur
remet le colis un peu plus tard. Les fruits ne sont pas mûrs, les légumes de
mauvaise qualité, les viandes congelées et il n’y a très vraisemblablement
aucun aliment de production biologique ou locale.
Or, les personnes malades ont besoin de pouvoir choisir
leurs aliments selon leur propre intuition de ce dont ils ont besoin, et d’une
certaine autonomie. Ils doivent pouvoir prendre soin d’eux-mêmes dans un
contexte d’insécurité et d’incertitude quant à leur devenir. Seulement manger
trois fois par jour ne répond pas leur besoin de s’occuper d’eux-mêmes.
L’alimentation est liée à la santé et a des effets curatifs ou thérapeutiques
pour beaucoup de gens. Cette fonction thérapeutique ne peut pas être accomplie
à un guichet via une feuille de biens alimentaires à cocher. Marbella et son
père en particulier sont privés de la possibilité, réelle ou imaginaire, cela
est sans importance, de contribuer par leurs propres choix alimentaires à
l’amélioration ou au maintien de leur état de santé. En ce qui me concerne, je
considère que la distribution alimentaire aux personnes malades porte atteinte
à leur dignité.
Là-dessus, le Tribunal fédéral donne le ton de la plus
grande sévérité, refusant aux diabétiques par exemple un complément de
prestation alimentaire afin qu’ils puissent acheter une nourriture de meilleure
qualité. Le Tribunal fédéral ne voit pas en quoi 8,5 frs par jour ne permettent
pas d’acheter du riz complet ou plus de légumes et de viande rouge (8C_603/2018).
Or, ces aliments précisément coûtent cher et 8,5 frs ne suffisent certainement
pas. Essayez d’acheter trois repas pauvres en glucides rapides avec 8,5
frs ! Sans le soutien de la plus haute cour de justice de ce pays, et
faute de volonté politique de protéger les personnes confrontées à des
difficultés de vie que représente la maladie chronique potentiellement grave,
les conditions d’existence des requérants d’asile malades continuent de se
dégrader, afin de les « inciter » à quitter la Suisse au plus vite.
La dégradation des conditions de vie, le manque d’autonomie et d’espace de vie
propre ou de repos contribuent à l’épuisement et à la dégradation de leur santé
physique et psychique.
Pour moi, l’aide d’urgence imposée aux personnes souffrant
de maladies graves et chroniques, ainsi que la vie en centres collectifs
d’hébergement pour requérants d’asile déboutés, sont un mauvais traitement. Ces
formes d’existence infligent des conditions d’existence qui vont au-delà de ce
que les intéressés ont la force et le ressort de supporter.
Pour citer ou reproduire cet
article : En chimiothérapie et à
l’aide d’urgence, article publié par Droit de rester pour tou.te.s, juin
2019 http://droit-de-rester.blogspot.com/
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